24 juillet 2009
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22:48
Par Jean Paul Baquiast
La question est abominable. Posons là cependant.
Un autre lecteur lui répond immédiatement que ce sont les divers lobbies politico-militaro-industriels (MICC, ou military-industrial-congressional complex, en anglais) qui comme ils l'ont toujours fait, continuent aujourd'hui à gouverner le monde. Il en résulte selonce lecteur qu'aucune force politique ne pourrait leur imposer de renoncer aux profits considérables découlant des contrats militaires.
Ce court petit débat suggère plusieurs questions qui mériteraient d'être approfondies. Bornons nous à les esquisser :
1. Existe-t-il un « ordre du monde » qui se manifesterait d'abord dans le domaine économique et qui différencierait ceux qui produisent les ressources de ceux qui se les approprient et qui les consomment ? Cet ordre du monde se manifesterait corrélativement dans le domaine social, différenciant ceux qui obéissent et ceux qui commandent. Il faudrait être bien naïf pour nier qu'un tel ordre existât et qu'en tant que tel il s'impose à tous. Nous utiliserons ici le terme d'ordre sans le charger de sens moral. Bornons nous à constater qu'il traduit un état actuel dans les rapports de force, état d'ailleurs susceptible de changer au cours de l'évolution. On pourra dire de même qu'il existe un ordre géologique selon lequel les roches sédimentaires récentes se trouvent généralement situées, sauf évolutions dues à la dérive continentale, au dessus des roches cristallines d'origine magmatique.
2. Quelle force pourrait obliger ceux qui (en l'espèce les divers MICC) consomment les richesses produites par les autres (les travailleurs de la base) à ne plus consommer et à distribuer ce qu'ils consomment ? Notre second lecteur répond très simplement : PERSONNE. Nous sommes volontiers de son avis. Ce ne seront pas les institutions politiques ni les ONG ni les travailleurs de la base ni les citoyens aux grandes âmes qui pourraient le faire. Il faudrait que survienne un véritable bouleversement de l'ordre économique et social actuel, autrement dit, une révolution, analogue à une rupture dans la tension entre plaques tectoniques, pour que l'ordre soit modifié. Mais on peut craindre que, pour rester dans notre comparaison avec la géologie (elle vaut ce qu'elle vaut), de nouvelles strates se substituent à celles qui dominaient jusqu'alors les couches géologiques, mais que finalement, on retrouve après le séisme, comme avant, des roches situées au dessus et des roches situées au dessous, les premières écrasant les secondes de leur poids..
- C'est d'ailleurs bien cette conviction qui rend beaucoup de gens sceptiques face aux perspectives de révolutions économiques et sociales. La révolution passée, et les morts enterrés, on retrouverait des dominants et des dominés. Autrement dit, le réformisme prôné par certains mouvements politiques modérés n'aboutirait à rien qu'à des changements superficiels (c'est ce qu'est en train de démontrer Barack Obama et ceux qui le soutiennent). Mais la révolution violente serait encore pire. C'est ce qu'ont amplement démontré les révolutions survenues, après l'URSS et la Chine de Mao, dans les diverses démocraties populaires.
3. Si l'on constate que les volontés, individuelles ou collectives, ne peuvent pratiquement rien faire pour faire évoluer l'ordre du monde dans un sens différent de celui qu'il adopte spontanément, n'est-on pas fondé à ce demander si cet ordre, dont nous déplorons les effets désastreux, en termes écologiques, économiques, sociaux et finalement peut-être en termes de survie à long terme, n'aurait pas des fondements biologiques remontant aux origines mêmes de la vie sur Terre et aux conditions du développement de celle-ci ? Poser cette question fait dire aux gros malins, ceux à qui on ne la fait pas, que sous couvert de science, celui qui s'interroge ainsi se met au service des dominants pour bénéficier de leur protection. Prenons en cependant le risque.
Un ordre stable
Vu sous l'angle, si l'on peut dire, de la thermodynamique des systèmes ouverts, la vie biologique terrestre repose sur l'activité de « travailleurs » qui utilisent leur force de travail pour transformer des éléments chimiques inassimilables directement en éléments organiques dont ils se nourrissent. Depuis l'apparition de la fonction chlorophyllienne chez les premières algues vertes, ces travailleurs sont les végétaux, qui utilisent l'énergie solaire pour transformer le gaz carbonique, disponible en grande quantité mais non directement utilisable, en composés carbonés et en oxygène. Sans les végétaux, que nous pourrions qualifier de travailleurs de la base, pour reprendre la terminologie proposée plus haut, la vie disparaîtrait. Il s'est trouvé cependant, du fait des hasards de l'évolution, que sur cette couche de végétaux se sont installées deux autres couches profitant du travail des premiers. Il s'agit des organismes herbivores, qui se nourrissent de végétaux, et des organismes carnivores ou omnivores, qui se nourrissent des deux autres catégories.
Un ordre stable, de type thermodynamique, s'est alors installé, associant les végétaux qui produisent les richesses et les animaux, herbivores et carnivores, qui les consomment. Dans le cadre de cet ordre, qui n'évolue que lentement, chaque catégorie ne survit que parce que son activité profite à celle des autres. Les herbivores consomment les végétaux en excès, et les carnivores les herbivores en excès, ce qui permet au stock de végétaux de se reconstituer. On peut aussi présenter cet ordre thermodynamique ou si l'on préfère, cet ordre économique, comme un ordre social. Bien que dépendant des végétaux, les animaux, plus mobiles et dotés d'une plus grande quantité de matière grise, apparaissent comme ceux qui commandent, les végétaux apparaissant comme ceux qui obéissent. Mais il ne s'agit que d'une interprétation d'ordre anthropomorphique, puisque les deux catégories sont interdépendantes.
Supposons qu'au sein de cet ordre économique et social du monde, ordre vieux d'au moins 650 millions d'années, quelques bons esprits apparaissent, expliquant par exemple que les carnivores devraient consommer moins et distribuer aux travailleurs de la base, en l'espèce les végétaux, une part plus grande des ressources globalement produites. Ainsi des végétaux survivant à grand peine dans des zones désertiques pourraient-ils s'engraisser et mieux lutter contre l'aridité. Il s'agirait d'une recommandation de bon sens. Outre que son aspect moral serait indiscutable (aider les végétaux à ne pas disparaître), elle ferait appel à l'instinct de conservation de tous, puisque sans végétaux il n'y aurait plus d'animaux. Malheureusement, cette recommandation de bon sens, à supposer que quelqu'un existât pour la formuler, n'aurait pas de chance d'être entendue. Aucune force au monde ne pourrait forcer les herbivores à changer leur nature en diminuant leur consommation de végétaux ni les carnivores à diminuer leur consommation d'herbivores. L'ordre économique et social du monde se poursuivra donc cahin-caha comme il est actuellement, le cas échéant jusqu'à disparition des formes supérieures de vie si les ressources globalement disponibles s'éteignaient par excès de la consommation sur la production.
Si nous considérons les sociétés humaines et leurs relations avec leur environnement naturel comme des formes de vie non radicalement différentes de celles dont nous venons de donner une description sommaire, on en conclura que les fondements biologiques ayant permis le développement des premières formes de vie se retrouvent à la base du développement des formes de vie plus complexes dont nous sommes des représentants. Autrement dit, l'ordre économique et social se caractérisant par l'existence de travailleurs de la base (pour reprendre notre terminologie) se dédiant à la production des ressources et de couches dirigeantes qui consomment ses ressources, en dehors de la part minima affectée à la reproduction de la force de travail, n'a aucune chance d'être modifié. Des révolutions locales pourront remplacer les premiers par les seconds et réciproquement, mais l'ordre social, grâce auquel se distinguent ceux qui produisent et ceux qui consomment, ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ne changera pas.
Une touffe d'herbe accrochée à la falaise
On nous objectera que ce raisonnement ne tient pas, car nous assimilons les humains à des végétaux et, au mieux, à des animaux. Que fait-on de la puissance de leur « raison », soutenue par la grandeur de leur « sens moral » ? Nous répondrons que pour l'heure, l'observation des forces qui se déchirent pour assurer leur domination économique et politique sur le monde, tout en sachant très bien qu'elles conduisent ce même monde à la catastrophe, ne nous permet pas de parler de raison et de sens moral. Nous sommes en présence de déterminismes complexes, ne différant pas beaucoup de ceux ayant accompagné la naissance et le développement de la vie jusqu'à ce jour. Sur le long terme, la vie fut-elle celle représentée par nos sociétés dites développées, est aussi fragile que l'est une touffe d'herbe s'étant installée l'espace d'une saison sur le flanc aride d'une falaise. La prochaine pluie ou la prochaine sécheresse la fera disparaître sans recours.
Les choses pourraient changer si, au hasard de l'évolution stochastique de leurs gènes, quelques organismes, simples ou complexes, découvraient une fonction capable de fournir des ressources nouvelles en aussi grande quantité que celles procurées par la toute nouvelle fonction chlorophyllienne aux premières bactéries aérobies. Mais des mutations de l'ampleur de celles ayant fait apparaître la fonction chlorophyllienne, dont toute notre science d'ailleurs ne nous a pas encore permis de comprendre le mécanisme, ne se commandent pas. Elles surviennent...on non.
La question est abominable. Posons là cependant.
Dans le courrier des lecteurs de notre magazine scientifique favori, un intervenant pose la sempiternelle question ; « Sachant que le dernier rapport annuel du Stockholm
International Peace Reserach Institute évalue à quelques $1.464 milliards les dépenses militaires mondiales, les gouvernements du monde ne pourraient-ils pas s'accorder pour qu'au moins une
petite partie de cette somme soit dépensée en faveur des besoins de survie du tiers-monde?»
Un autre lecteur lui répond immédiatement que ce sont les divers lobbies politico-militaro-industriels (MICC, ou military-industrial-congressional complex, en anglais) qui comme ils l'ont toujours fait, continuent aujourd'hui à gouverner le monde. Il en résulte selonce lecteur qu'aucune force politique ne pourrait leur imposer de renoncer aux profits considérables découlant des contrats militaires.
Ce court petit débat suggère plusieurs questions qui mériteraient d'être approfondies. Bornons nous à les esquisser :
1. Existe-t-il un « ordre du monde » qui se manifesterait d'abord dans le domaine économique et qui différencierait ceux qui produisent les ressources de ceux qui se les approprient et qui les consomment ? Cet ordre du monde se manifesterait corrélativement dans le domaine social, différenciant ceux qui obéissent et ceux qui commandent. Il faudrait être bien naïf pour nier qu'un tel ordre existât et qu'en tant que tel il s'impose à tous. Nous utiliserons ici le terme d'ordre sans le charger de sens moral. Bornons nous à constater qu'il traduit un état actuel dans les rapports de force, état d'ailleurs susceptible de changer au cours de l'évolution. On pourra dire de même qu'il existe un ordre géologique selon lequel les roches sédimentaires récentes se trouvent généralement situées, sauf évolutions dues à la dérive continentale, au dessus des roches cristallines d'origine magmatique.
2. Quelle force pourrait obliger ceux qui (en l'espèce les divers MICC) consomment les richesses produites par les autres (les travailleurs de la base) à ne plus consommer et à distribuer ce qu'ils consomment ? Notre second lecteur répond très simplement : PERSONNE. Nous sommes volontiers de son avis. Ce ne seront pas les institutions politiques ni les ONG ni les travailleurs de la base ni les citoyens aux grandes âmes qui pourraient le faire. Il faudrait que survienne un véritable bouleversement de l'ordre économique et social actuel, autrement dit, une révolution, analogue à une rupture dans la tension entre plaques tectoniques, pour que l'ordre soit modifié. Mais on peut craindre que, pour rester dans notre comparaison avec la géologie (elle vaut ce qu'elle vaut), de nouvelles strates se substituent à celles qui dominaient jusqu'alors les couches géologiques, mais que finalement, on retrouve après le séisme, comme avant, des roches situées au dessus et des roches situées au dessous, les premières écrasant les secondes de leur poids..
- C'est d'ailleurs bien cette conviction qui rend beaucoup de gens sceptiques face aux perspectives de révolutions économiques et sociales. La révolution passée, et les morts enterrés, on retrouverait des dominants et des dominés. Autrement dit, le réformisme prôné par certains mouvements politiques modérés n'aboutirait à rien qu'à des changements superficiels (c'est ce qu'est en train de démontrer Barack Obama et ceux qui le soutiennent). Mais la révolution violente serait encore pire. C'est ce qu'ont amplement démontré les révolutions survenues, après l'URSS et la Chine de Mao, dans les diverses démocraties populaires.
3. Si l'on constate que les volontés, individuelles ou collectives, ne peuvent pratiquement rien faire pour faire évoluer l'ordre du monde dans un sens différent de celui qu'il adopte spontanément, n'est-on pas fondé à ce demander si cet ordre, dont nous déplorons les effets désastreux, en termes écologiques, économiques, sociaux et finalement peut-être en termes de survie à long terme, n'aurait pas des fondements biologiques remontant aux origines mêmes de la vie sur Terre et aux conditions du développement de celle-ci ? Poser cette question fait dire aux gros malins, ceux à qui on ne la fait pas, que sous couvert de science, celui qui s'interroge ainsi se met au service des dominants pour bénéficier de leur protection. Prenons en cependant le risque.
Un ordre stable
Vu sous l'angle, si l'on peut dire, de la thermodynamique des systèmes ouverts, la vie biologique terrestre repose sur l'activité de « travailleurs » qui utilisent leur force de travail pour transformer des éléments chimiques inassimilables directement en éléments organiques dont ils se nourrissent. Depuis l'apparition de la fonction chlorophyllienne chez les premières algues vertes, ces travailleurs sont les végétaux, qui utilisent l'énergie solaire pour transformer le gaz carbonique, disponible en grande quantité mais non directement utilisable, en composés carbonés et en oxygène. Sans les végétaux, que nous pourrions qualifier de travailleurs de la base, pour reprendre la terminologie proposée plus haut, la vie disparaîtrait. Il s'est trouvé cependant, du fait des hasards de l'évolution, que sur cette couche de végétaux se sont installées deux autres couches profitant du travail des premiers. Il s'agit des organismes herbivores, qui se nourrissent de végétaux, et des organismes carnivores ou omnivores, qui se nourrissent des deux autres catégories.
Un ordre stable, de type thermodynamique, s'est alors installé, associant les végétaux qui produisent les richesses et les animaux, herbivores et carnivores, qui les consomment. Dans le cadre de cet ordre, qui n'évolue que lentement, chaque catégorie ne survit que parce que son activité profite à celle des autres. Les herbivores consomment les végétaux en excès, et les carnivores les herbivores en excès, ce qui permet au stock de végétaux de se reconstituer. On peut aussi présenter cet ordre thermodynamique ou si l'on préfère, cet ordre économique, comme un ordre social. Bien que dépendant des végétaux, les animaux, plus mobiles et dotés d'une plus grande quantité de matière grise, apparaissent comme ceux qui commandent, les végétaux apparaissant comme ceux qui obéissent. Mais il ne s'agit que d'une interprétation d'ordre anthropomorphique, puisque les deux catégories sont interdépendantes.
Supposons qu'au sein de cet ordre économique et social du monde, ordre vieux d'au moins 650 millions d'années, quelques bons esprits apparaissent, expliquant par exemple que les carnivores devraient consommer moins et distribuer aux travailleurs de la base, en l'espèce les végétaux, une part plus grande des ressources globalement produites. Ainsi des végétaux survivant à grand peine dans des zones désertiques pourraient-ils s'engraisser et mieux lutter contre l'aridité. Il s'agirait d'une recommandation de bon sens. Outre que son aspect moral serait indiscutable (aider les végétaux à ne pas disparaître), elle ferait appel à l'instinct de conservation de tous, puisque sans végétaux il n'y aurait plus d'animaux. Malheureusement, cette recommandation de bon sens, à supposer que quelqu'un existât pour la formuler, n'aurait pas de chance d'être entendue. Aucune force au monde ne pourrait forcer les herbivores à changer leur nature en diminuant leur consommation de végétaux ni les carnivores à diminuer leur consommation d'herbivores. L'ordre économique et social du monde se poursuivra donc cahin-caha comme il est actuellement, le cas échéant jusqu'à disparition des formes supérieures de vie si les ressources globalement disponibles s'éteignaient par excès de la consommation sur la production.
Si nous considérons les sociétés humaines et leurs relations avec leur environnement naturel comme des formes de vie non radicalement différentes de celles dont nous venons de donner une description sommaire, on en conclura que les fondements biologiques ayant permis le développement des premières formes de vie se retrouvent à la base du développement des formes de vie plus complexes dont nous sommes des représentants. Autrement dit, l'ordre économique et social se caractérisant par l'existence de travailleurs de la base (pour reprendre notre terminologie) se dédiant à la production des ressources et de couches dirigeantes qui consomment ses ressources, en dehors de la part minima affectée à la reproduction de la force de travail, n'a aucune chance d'être modifié. Des révolutions locales pourront remplacer les premiers par les seconds et réciproquement, mais l'ordre social, grâce auquel se distinguent ceux qui produisent et ceux qui consomment, ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ne changera pas.
Une touffe d'herbe accrochée à la falaise
On nous objectera que ce raisonnement ne tient pas, car nous assimilons les humains à des végétaux et, au mieux, à des animaux. Que fait-on de la puissance de leur « raison », soutenue par la grandeur de leur « sens moral » ? Nous répondrons que pour l'heure, l'observation des forces qui se déchirent pour assurer leur domination économique et politique sur le monde, tout en sachant très bien qu'elles conduisent ce même monde à la catastrophe, ne nous permet pas de parler de raison et de sens moral. Nous sommes en présence de déterminismes complexes, ne différant pas beaucoup de ceux ayant accompagné la naissance et le développement de la vie jusqu'à ce jour. Sur le long terme, la vie fut-elle celle représentée par nos sociétés dites développées, est aussi fragile que l'est une touffe d'herbe s'étant installée l'espace d'une saison sur le flanc aride d'une falaise. La prochaine pluie ou la prochaine sécheresse la fera disparaître sans recours.
Les choses pourraient changer si, au hasard de l'évolution stochastique de leurs gènes, quelques organismes, simples ou complexes, découvraient une fonction capable de fournir des ressources nouvelles en aussi grande quantité que celles procurées par la toute nouvelle fonction chlorophyllienne aux premières bactéries aérobies. Mais des mutations de l'ampleur de celles ayant fait apparaître la fonction chlorophyllienne, dont toute notre science d'ailleurs ne nous a pas encore permis de comprendre le mécanisme, ne se commandent pas. Elles surviennent...on non.