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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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24 juillet 2009 5 24 /07 /juillet /2009 22:48
Par Jean Paul Baquiast

La question est abominable. Posons là cependant.
Dans le courrier des lecteurs de notre magazine scientifique favori, un intervenant pose la sempiternelle question ; «  Sachant que le dernier rapport annuel du Stockholm International Peace Reserach Institute évalue à quelques $1.464 milliards les dépenses militaires mondiales, les gouvernements du monde ne pourraient-ils pas s'accorder pour qu'au moins une petite partie de cette somme soit dépensée en faveur des besoins de survie du tiers-monde?»

Un autre lecteur lui répond immédiatement que ce sont les divers lobbies politico-militaro-industriels (MICC, ou military-industrial-congressional complex, en anglais) qui comme ils l'ont toujours fait, continuent aujourd'hui à gouverner le monde. Il en résulte selonce lecteur  qu'aucune force politique ne pourrait leur imposer de renoncer aux profits considérables découlant des contrats militaires.   

Ce court petit débat suggère plusieurs questions  qui mériteraient d'être approfondies. Bornons nous à les esquisser :

1.    Existe-t-il un « ordre du monde » qui se manifesterait d'abord dans le domaine économique et qui différencierait ceux qui produisent les ressources  de ceux qui se les approprient et qui les consomment ? Cet ordre du monde se manifesterait corrélativement dans le domaine social, différenciant ceux qui obéissent et ceux qui commandent. Il faudrait être bien naïf pour nier qu'un tel ordre existât et qu'en tant que tel il s'impose à tous. Nous utiliserons ici le terme d'ordre sans le charger de sens moral. Bornons nous à constater qu'il traduit un état actuel dans les rapports de force, état d'ailleurs susceptible de changer au cours de l'évolution. On pourra dire de même qu'il existe un ordre géologique selon lequel les roches sédimentaires récentes se trouvent généralement situées, sauf évolutions dues à la dérive continentale, au dessus des roches cristallines d'origine magmatique.

2.    Quelle force pourrait obliger ceux qui (en l'espèce les divers MICC) consomment les richesses produites par les autres (les travailleurs de la base) à ne plus consommer et à distribuer ce qu'ils consomment ? Notre second lecteur répond très simplement : PERSONNE. Nous sommes volontiers de son avis. Ce ne seront pas les institutions politiques ni les ONG ni les travailleurs de la base ni les citoyens aux grandes âmes qui pourraient le faire. Il faudrait que survienne un véritable bouleversement de l'ordre économique et social actuel, autrement dit, une révolution, analogue à une rupture dans la tension entre plaques tectoniques, pour que l'ordre soit modifié. Mais on peut craindre que, pour rester dans notre comparaison avec la géologie (elle vaut ce qu'elle vaut), de nouvelles strates se substituent à celles qui dominaient jusqu'alors les couches  géologiques, mais que finalement, on retrouve après le séisme, comme avant, des roches situées au dessus et des roches  situées au dessous, les premières écrasant les secondes de leur poids..

-    C'est d'ailleurs bien cette conviction qui rend beaucoup de gens sceptiques face aux perspectives de révolutions économiques et sociales. La révolution passée, et les morts enterrés, on retrouverait des dominants et des dominés. Autrement dit, le réformisme prôné par certains mouvements politiques modérés n'aboutirait à rien qu'à des changements superficiels (c'est ce qu'est en train de démontrer Barack Obama et ceux qui le soutiennent). Mais la révolution violente serait encore pire. C'est ce qu'ont amplement démontré les révolutions survenues, après l'URSS et la Chine de Mao, dans les diverses démocraties populaires.   

3.   Si l'on constate que les volontés, individuelles ou collectives, ne peuvent pratiquement rien faire pour faire évoluer l'ordre du monde dans un sens différent de celui qu'il adopte spontanément, n'est-on pas fondé à ce demander si cet ordre, dont nous déplorons les effets désastreux, en termes écologiques, économiques, sociaux  et finalement peut-être en termes de survie à long terme, n'aurait pas des fondements  biologiques remontant aux origines mêmes de la vie sur Terre et aux conditions du  développement de celle-ci ? Poser cette question fait dire aux gros malins, ceux à qui on ne la fait pas, que sous couvert de science, celui qui s'interroge ainsi se met au service des dominants pour bénéficier de leur protection. Prenons en cependant le risque.  

Un ordre stable


Vu sous l'angle, si l'on peut dire, de la thermodynamique des systèmes ouverts, la vie biologique terrestre repose sur l'activité de « travailleurs » qui utilisent leur force de travail pour transformer des éléments chimiques inassimilables directement en éléments organiques dont ils se nourrissent. Depuis l'apparition de la fonction chlorophyllienne chez les premières algues vertes, ces travailleurs  sont les végétaux, qui utilisent l'énergie solaire pour transformer  le gaz carbonique, disponible en grande quantité mais non directement utilisable, en composés carbonés et en oxygène. Sans les végétaux, que nous pourrions qualifier de travailleurs de la base, pour reprendre la terminologie proposée plus haut, la vie disparaîtrait. Il s'est trouvé cependant, du fait des hasards de l'évolution, que sur cette couche de végétaux se sont installées deux autres couches profitant du travail des premiers. Il s'agit des organismes herbivores, qui se nourrissent de végétaux, et des organismes carnivores ou omnivores, qui se nourrissent des deux autres catégories.

Un ordre stable, de type thermodynamique, s'est alors installé, associant les végétaux qui produisent les richesses et les animaux, herbivores et carnivores, qui les consomment. Dans le cadre de cet ordre, qui n'évolue que lentement, chaque catégorie ne survit que parce que son activité profite à celle des autres. Les herbivores consomment les végétaux en excès, et les carnivores les herbivores en excès, ce qui permet au stock de végétaux de se reconstituer. On peut aussi présenter cet ordre thermodynamique ou si l'on préfère, cet ordre économique, comme un ordre social.  Bien que dépendant des végétaux, les animaux, plus mobiles et dotés d'une plus grande quantité de matière grise, apparaissent comme ceux qui commandent, les végétaux apparaissant comme ceux qui obéissent. Mais il ne s'agit que d'une interprétation d'ordre anthropomorphique, puisque les deux catégories sont interdépendantes.

Supposons qu'au sein de cet ordre économique et social du monde, ordre vieux d'au moins 650 millions d'années, quelques bons esprits apparaissent,  expliquant par exemple que les carnivores devraient consommer moins et distribuer aux travailleurs de la base, en l'espèce les végétaux, une part plus grande des ressources globalement produites. Ainsi des végétaux survivant à grand peine dans des zones désertiques pourraient-ils s'engraisser et mieux lutter contre l'aridité. Il s'agirait d'une recommandation de bon sens. Outre que son aspect moral serait indiscutable (aider les végétaux à ne pas disparaître), elle ferait appel à l'instinct de conservation de tous, puisque sans végétaux il n'y aurait plus d'animaux. Malheureusement, cette recommandation de bon sens, à supposer que quelqu'un existât pour la formuler, n'aurait pas de chance d'être entendue. Aucune force au monde  ne pourrait forcer les herbivores à changer leur nature en diminuant leur consommation de végétaux ni les carnivores à diminuer leur consommation d'herbivores. L'ordre économique et social du monde se poursuivra donc  cahin-caha comme il est actuellement, le cas échéant jusqu'à disparition des formes supérieures de vie si les ressources globalement disponibles s'éteignaient  par excès de la consommation sur la production.

Si nous considérons les sociétés humaines et leurs relations avec leur environnement naturel comme des formes de vie non radicalement  différentes de celles dont nous venons de donner une description sommaire, on en conclura que les fondements biologiques ayant permis le développement des premières formes de vie se retrouvent à la base du développement des formes de vie plus complexes dont nous sommes des représentants. Autrement dit, l'ordre économique et social se caractérisant par l'existence de travailleurs de la base (pour reprendre notre terminologie) se dédiant à la production des ressources et de couches dirigeantes qui consomment ses ressources, en dehors de la part minima affectée à la reproduction de la force de travail, n'a aucune chance d'être modifié. Des révolutions locales pourront remplacer les premiers par les seconds et réciproquement, mais l'ordre social, grâce auquel se distinguent ceux qui produisent et ceux qui consomment, ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ne changera pas.

Une touffe d'herbe accrochée à la falaise

On nous objectera que ce raisonnement ne tient pas, car nous assimilons les humains à des végétaux et, au mieux, à des animaux. Que fait-on de la puissance de leur « raison », soutenue par la grandeur de leur « sens moral » ? Nous répondrons que pour l'heure, l'observation des forces qui se déchirent pour assurer leur domination économique et politique sur le monde, tout en sachant très bien qu'elles conduisent ce même monde à la catastrophe, ne nous permet pas de parler de raison et de sens moral. Nous sommes en présence de déterminismes complexes, ne différant pas beaucoup de ceux ayant accompagné la naissance et le développement de la vie jusqu'à ce jour. Sur le long terme, la vie fut-elle celle représentée par nos sociétés dites développées, est aussi fragile que l'est une touffe d'herbe s'étant installée l'espace d'une saison sur le flanc aride d'une falaise. La prochaine pluie ou la prochaine sécheresse la fera disparaître sans recours.

Les choses pourraient changer si, au hasard de l'évolution stochastique de leurs gènes, quelques organismes, simples ou complexes, découvraient une fonction capable de fournir des ressources nouvelles en aussi grande quantité que celles procurées par la toute nouvelle fonction chlorophyllienne aux premières bactéries aérobies. Mais des mutations de l'ampleur de celles ayant fait apparaître la fonction chlorophyllienne, dont toute notre science d'ailleurs ne nous a pas encore permis de comprendre le mécanisme, ne se commandent pas. Elles surviennent...on non.  
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commentaires

J
Réponse à JCM. Ce que vous écrivez est tout à fait juste et correspond très largement à ce que je crois possible et probable. Mais mon article avait pour objet d'explorer une hypothèse parmi d'autres.
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J
Bonjour,Curieux que vous considériez la voie majoritairement empruntée par nos sociétés depuis longtemps pour que nous en arrivions à l'état actuel du monde comme LA solution "naturelle" inévitable qui excluerait tout autre possibilité d'évolution.D'autre types de sociétés ont existé au fil du temps dans le monde, celle dans laquelle nous baignons est devenue souveraine et a éliminé la plupart des autres formes, bien qu'il existe encoore ici ou là des formes d'organisations différentes qui perdurent.Faut-il considérer comme définitif le fait que le monde ait pris le pli actuel ou ne peut-on pas supposer que nous ne sommes qu'à un moment du développement de l'humanité tel que certains changements sont possibles SANS "révolution" (qui pourrait être vue comme une tentative de bouleverser "l'ordre naturel des choses") ?Nos sociétés actuelles ne sont pas parfaitement homogènes, et pour ne prendre que le sujet de l'entreprise s'il existe des sociétés détenues par des entités "ègoïstes" (particuliers, fonds de pensions...) il existe aussi des SCOP qui reposent sur d'autre ressorts.Doit-on considérer que ces SCOP sont un vestige déclinant d'un temps révolu ou ne peut-on penser que sous certaines conditions elles ne pourraient pas se multiplier et, petit à petit, changer la structure de nos sociétés et les caractéristiques du système économique sur lequel elles reposent ?Nous avons vu récemment, avec la "crise" économique et financière, que l'on pouvait imaginer la nécessité de régulations et de modification de certains éléments du système (certes rien de bien convaincant n'a été fait à ce jour) : cela signifie que l'on peut envisager, et probablement réaliser, des transformations susceptibles de bouleverser certains des "équilibres" actuels, avec des influences sur la structure socio-économique.Il est tout à fait envisageable par ailleurs que certaines contraintes (évolution climatique par exemple) viennent bouleverser avec plus ou moins de violence la répartition des richesses actuellement constatée : cela pourrait être l'occasion d'une certaine déstructuration qui serait suivie de l'établissement d'un nouvel ordre qui reprendrait, ou non, le schéma de l'ordre qui prévalait auparavant.Cette éventuelle transition vers une nouvelle forme d'ordre pourrait correspondre à une réponse circonstanciée à des besoins nouveaux (ou qui s'exprimaient auparavant à une nécessité moins impérieuse) et conduire à une nouvelle structure de société.Que l'on pense à des évolutions de type "catastrophiques" intenses et généralisées, avec par exemple un effondrement des systèmes de couverture des risques (l'organisation financière des compagnies d'assurance et de réassurance s'effondre sous l'effet des enchaînements de catastrophes) : cela conduirait à de profonds changements dans la répartition des richesses, avec quelles conséquences ?Il faudrait, en réponse, qu'une nouvelle mécanique se mette en place pour, au minimum, assurer une transition qui ne soit pas trop dramatique : quelle seraient les caractéristiques de cette mécanique (éventuellement un retour à plus de solidarité et d'entre aide) et perdurerait-elle après la tempête ?En résumé je ne crois pas qu'il y ait UNE "solution naturelle" unique d'évolution de nos sociétés, qui serait celle que nous avons empruntée, mais bien plutôt que nous avons privilégié une des voies possibles.L'exploration éventuelle d'autres voies viendra (peut-être) du fait que les inconvénients de la solutions actuelle deviendront par trop insupportables (révolution éventuelle ou évolution décidée) ou du fait que la solution actuelle s'avèrera inadaptée à répondre à de nouvelles contraintes.Pensons que demain peut-être nous pourrions être contraints à polliniser manuellement (cela se fait déjà dans certaines régions du monde pour certaines cultures) la plupart des végétaux (que nous voudrions continuer à utiliser) du fait d'une éventuelle disparition plus ou moins complète des abeilles.Les conséquences socio-économiques et environnementales de cette nouvelle nécessité pourraient nous conduire à celle d'inventer des formules d'organisation nouvelles, en tenant compte du fait que des pans entiers de la biodiversité seraient gravement menacés à très court terme, nous menaçant nous mêmes bien plus gravement encore que nous ne le sommes aujourd'hui...Rien n'est définitivement écrit...
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