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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 16:11


Jean-Paul Baquiast 17/12/2012

Chacun croit savoir ce qu'est la science: on désigne généralement par ce terme le produit de l'activité des cerveaux humains en société qui permettent de s'accorder sur un certain nombre de représentations communes du monde, provenant de l'expérience des sens et des instruments d'observation qui les prolongent. L'ensemble de ces données et de leurs relations considérées d'un commun accord comme les plus conformes possibles à l'expérience constitue le savoir scientifique. Celui-ci est par définition susceptible de modifications à la suite de nouvelles expérimentations. Cependant, et du fait de cette évolutivité même, il est perçu comme l'outil le plus utile possible à l'humanité dans sa lutte pour s'adapter à l'évolution du monde.

La science se distingue donc des différents produits de l'imaginaire. Ceux-ci résultent également de l'activité des cerveaux humains, mais ils diffèrent des produits de la science par le fait, d'une part qu'ils ne recherchent pas systématiquement la vérification de l'expérience, et d'autre part qu'ils n'ont jamais réussi à susciter comme la science des consensus universels.

Forte de cette ambition à l'objectivité et à l'universalité, la science, à travers ses différentes formes, est devenue depuis le siècle des Lumières, le symbole de l'activité industrieuse et transformatrice des humains, sous ses aspects les plus ambitieux et les plus nobles. On lui doit un monde progressivement débarrassé de divers maux naturels contre lesquels sans elle l'humanité était désarmée. On lui doit aussi un horizon des possibles qui ne cesse de s'élargir, que ce soit sur la Terre ou dans l'espace.

Nouvelles formes de contestation

Depuis quelques décennies cependant, la science a cessé d'être, y compris au sein des sociétés qu'elle a profondément transformées, un objet incontesté de respect et d'émulation. D'une part les religions qui se sont toujours opposées à elle se font de plus en plus entendre. Elles y voient, plus que jamais et à juste titre, la seule parole susceptible de remettre en cause avec succès les « vérités » prétendument révélées dont elles font commerce. Mais d'autre part la discussion est venue du sein même des sociétés dites scientifiques.

Avec la généralisation des armes savantes, depuis deux siècles, la science était apparue comme l'instrument des guerres de conquête et de destruction. Aujourd'hui, même en ce qui concerne ses activités les plus désintéressées, il est devenu courant de dénoncer les menaces qu'elle fait courir à l'humanité et à l'environnement, dans un monde dont les ressources sont de plus en plus rares, les équilibres de plus en plus fragilisés. Les applications scientifiques les mieux intentionnées peuvent ainsi apparaître comme générant des risques inacceptables. Ainsi on évoque de plus en plus désormais les contreparties négatives des progrès de la médecine. La diminution de la mortalité en résultant, bien que souhaitable en elle-même, peut induire des tensions démographiques génératrices de conflits et guerres. Il n'y a plus aujourd'hui de domaines de la science qui, en dépit de leurs aspects constructeurs, ne fassent l'objet de critiques de plus en plus vives provenant de censeurs et d'activistes variés.

Qu'en conclure concernant la question qui nous préoccupe dans ce livre, l'avenir de la science dans les prochaines décennies? Perdra-t-elle du terrain face à des oppositions de plus en plus militantes, s'ajoutant aux offensives jamais désarmées des différents irrationalismes. Sera-t-elle considérée au mieux comme une arme à double tranchant, une sorte de Janus bi-frons dont il faudra accepter les effets potentiellement destructeurs au regard de ses effets bénéfiques?

Des systèmes anthroposcientifiques

Pour notre part, nous croyons indispensable de jeter sur la science un regard nouveau. Il faudrait cesser de la considérer en elle-même, comme une activité relativement indépendante des sociétés humaines où elle émerge et des moyens technologiques qu'elle conduit à déployer. Nous avons proposé dans un travail précédent le concept de système anthropotechnique. (J.P.Baquiast. Le paradoxe du Sapiens, éditions J.P. Bayol, 2000).

On considère généralement que les hominiens se sont différenciés des autres primates lorsqu'ils ont acquis, dans le cadre d'une « mutation » réussie, la capacité d'utiliser des outils. Avec l'utilisation des outils s'est mise en place une véritable révolution jamais vue auparavant dans l'histoire de la biologie. Des êtres nouveaux hybrides sont apparus, sous la forme de super-organismes associant en symbiose des composants biologiques et anthropologiques, d'une part, des composants technologiques, d'autre part. Dès leur apparition, ces systèmes anthropotechniques sont entrés en compétition darwinienne pour la conquête des ressources et du pouvoir, éliminant ce faisant une partie des autres systèmes vivants

En application de cette hypothèse, qui s'est révélée fructueuse dans de nombreux domaines, nous voudrions suggérer ici de considérer les nombreux super-organismes associant des humains enrichis de savoirs scientifiques et des technologies provenant elles-mêmes de la recherche scientifique comme des systèmes anthropotechniques. Pour les distinguer des autres, on les nommera des systèmes anthroposcientifiques.

Dans cette optique, la science ne serait pas simplement une arme qu'utiliseraient les systèmes anthropotechniques dans leurs compétitions pour la maitrise du monde. Elle serait le produit global d'un ensemble très diversifié de systèmes de type anthroposcientifique , résultant de la symbiose permanente entre les humains qui la produisent ou l'utilisent, et les technologies qui se développent de plus en plus spontanément à cette occasion.

Les deux catégories d'acteurs impliqués dans le développement des systèmes anthroposcientifiques, humains et technologies scientifiques, ont évolué au cours de l'histoire selon des modalités et à des rythmes comparables. Aujourd'hui cependant, et sans doute pour le futur, il semblerait que les technologies scientifiques aient acquis une aptitude à la prolifération tous azimuts qui font d 'elles un moteur désormais dominant de l'évolution plus globale de la planète. Elles maîtrisent de plus en plus les humains, dont les capacités à les rationaliser et les mettre en oeuvre n'évoluent pas suffisamment vite.

Ces technologies, produits de la science, transforment aussi profondément la science elle-même, dans ses moteurs et ses fondements comme dans ses applications. Elles répandent notamment, partout dans le monde, à un rythme de plus en plus soutenu, des instruments nouveaux d'observation de démonstration et de calcul dont les résultats s'imposent désormais aux humains, laboratoires et chercheurs, d'abord, décideurs politiques ensuite et finalement citoyens.

Pour approfondir le concept de système anthroposcientifique, il faut l'examiner d'abord au plan théorique, afin de le préciser. Ceci permettra d'apprendre à percevoir  parmi nous la présence d'agents en grande partie invisibles dont nous sommes des produits inconscients.

A cette lumière, il sera possible d'évoquer pour mieux les comprendre les trois grandes révolutions que prépare le développement convergent et accéléré (selon les termes de Ray Kurzweil) des systèmes anthroposcientifiques: de nouvelles formes de vie et d'intelligence, de nouveaux équilibres géopolitiques et, peut-être, de nouvelles visions du cosmos, cet infra-cosmos que le physicien quantique David Deutsch a nommé « l 'étoffe de la réalité ».

 

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19 octobre 2012 5 19 /10 /octobre /2012 21:29


Reality, A Very Short Introduction

par Jan Westerhoff

Oxford University Press 2011

Présentation et discussion par Jean-Paul Baquiast
17/10/2012

 

 

Jan Westerhoff enseigne la philosophie des sciences et des religions orientales à l'université de Durham et à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres

Pour en savoir plus

voir http://en.wikipedia.org/wiki/Jan_Westerhoff

 

La collection A Very Short Introduction de l'OUP est un peu comme notre Que sais-je. Elle comporte des centaines de textes abordant sous des signatures reconnues tous les domaines de la science et de la philosophie. Sous un court volume (110 pages), le travail présenté ici offre une synthèse des questions posées aux scientifiques matérialistes par le concept de Réalité, le plus employé et aussi le plus mystérieux de tous ceux qu'utilise la pensée rationaliste, ceci depuis ses origines jusqu'aux problématiques récentes nées de la physique quantique.

Nous allons dans un première partie résumer le texte de l'auteur. Ceci ne nous paraît pas inutile, car ce dernier, bien que s'appuyant sur un grand nombre de références précises, utilise un vocabulaire un peu personnel, qui ne contribue pas selon nous à éclairer le sujet. Dans une seconde partie, nous présenterons nos propres hypothèses.

1. La Réalité à travers les principales approches de la science contemporaine, selon Jan Westerhoff

La Réalité est pour la science matérialiste aussi difficile à définir que le concept de Dieu pour les théologiens. Tout le monde est persuadé de son existence (étant entendu que peu de scientifique nient complètement celle-ci), mais personne ne peut en donner une définition précise et univoque. Les théologiens répondent à la question de Dieu en expliquant qu'il s'agit d'un Mystère que le croyant doit accepter sans chercher à le comprendre. Les scientifiques ne renoncent pas à proposer des définitions aussi précises que possible de la Réalité. Mais ils conviennent eux-mêmes que ces définitions n'épuisent pas les questions qui se posent. Une grande part d'inconnu, sinon d'inconnaissable, demeure, comme nous l'avons montré dans un article précédent (Qu'est-ce que la Réalité? Jean-Paul Baquiast 08/10/2012 ).

Dans cet article, nous rappelions, en commentant un article du NewScientist consacré à ce thème, où intervient d'ailleurs le même Jan Westerhoff, que le concept de Réalité (que nous ne distinguerons pas ici de celui de Réel) convient parfaitement pour désigner des faits d'expérience quotidienne. Il s'agit de ceux auxquels se référait le Dr Johnson en discutant de l'immatérialisme ou solipsisme défendu par l'évêque Georges Berkeley (1685-1753): « le Réel est comme ce rocher qui me blesse si je lui donne un coup de pied un peu violent ». Mais aux deux extrêmes de ce même réel, le microscopique et le macroscopique, on trouve deux réalités d'expérience, qui se rejoignent d'ailleurs peut-être, et dont la science ne peut pas encore donner de définitions précises. Appelons-les le vide quantique et le vide cosmologique. Il n'empêche que les physiciens les utilisent en permanence. Ils appliquant la consigne « calcule et tais-toi » dont le caractère théologal n'échappe à personne.

Le livre de Jan Westerhoff est, pour l'essentiel, consacré à une présentation des différents acceptions données au terme de Réalité par les grandes disciplines scientifiques. Il s'agit nécessairement d'une introduction sommaire. Mais elle est néanmoins très éclairante. Dans un premier chapitre, il examine les hypothèses, assez en vogue aujourd'hui, selon lesquelles la Réalité dont nous croyons constater l'existence serait le résultat de rêves ou de simulations dont nous serions des agents involontaires. Nous ne pensons pas utile de discuter ici ces hypothèses. Les progrès permanents de la réalité virtuelle encouragent leur diffusion, mais le thème nous paraît cependant relever davantage encore de la science fiction que de la science. Trois autres chapitres plus substantiels sont consacrés à la Réalité, celle de la matière, celle du Moi (ou de la personne) et celle du Temps. Nous allons en dire quelques mots

La réalité de la matière.

L'auteur propose 4 définitions du Réel matériel. Dans son vocabulaire un peu particulier, il nomme la première Matrix definition. Il s'agit de ce qui apparaît à nos sens. La définition n'est évidemment pas suffisante car elle inclut le produit de toutes les illusions des sens ou de l'imaginaire. C'est néanmoins sur elle que nous nous appuyons dans la vie ordinaire. Il nomme la seconde 1984 definition, en allusion à l'ouvrage de Georges Orwell « 1984 ». Il s'agit de tout ce qui fait l'objet de convictions partagées au sein d'une communauté donnée. Ce concept est utilisé couramment dans les travaux scientifiques. Si le chercheur ne peut se prévaloir en général d'une objectivité indiscutable, il s'efforce d'être conforme à une subjectivité qu'il partage avec ses collègues, autrement dit une intersubjectivité.

L'inconvénient de ces deux définitions est qu'elles évacuent d'emblée la prise en considération d'une Réalité qui existerait indépendamment d'humains pour en traiter. Mais après tout, dira-t-on, qu'est-ce qui nous autorise à supposer qu'il existe dans des mondes dépourvus d'humains pour l'observer une réalité comparable à celle que nous observons? . Nous reviendrons plus bas sur ce point capital

.La troisième définition de la Réalité proposé par Westerhoff est nommée par lui Johnson's definition, en allusion à la réfutation du solipsisme proposée par le Dr Johnson, à laquelle nous avons fait allusion ci-dessus. La réalité est alors ce qui nous résiste. Elle peut contredire nos hypothèses, démentir nos expériences, et demeurer indépendamment de nous si nous ne sommes pas là pour la mettre à l'épreuve. Mais alors qu'en est-il des rêves, qui nous résistent même si nous ne leur reconnaissons pas de caractère réel? Et qu'en est-il des marchés boursiers? Sont-ils réels? Non, car ils ne résisteraient pas au fait que nous cessions de croire en eux?

On retrouve cependant l'objection précédente. C'est le regard de l'humain qui constate les résistances de la réalité. Ces résistances proviennent le plus souvent de postulats ou préalables posés par l'humain. Si le Dr Johnson avait connu la mécanique quantique, il aurait pu supposer que son pied, réduit à la dimension de quelques atomes, aurait pu traverser sans obstacles les atomes du rocher. Il reste que la sanction de l'expérimentation, c'est-à-dire la mise en évidence d'éventuelles résistances de la nature à telle ou telle hypothèse, est inséparable de l'élaboration des théories scientifiques, tout au moins dans le domaine des sciences expérimentales.

La quatrième définition proposée est dite Apocalyptic definition. Ce terme bizarre désigne le monde tel qu'il est supposé exister, qu'il y ait ou non des humains pour l'observer et des consciences humaines pour l'interpréter. Elle élimine tout ce que nous nommons des réalités sociales, mais elle permet d'inclure l'ensemble du monde, observable, non encore observé ou inobservable. C'est selon Westerhoff la définition la plus convenable pour la recherche scientifique. Encore faudrait-il que la science sache s'arrêter à la frontière de l'affabulation (qui peut prendre en ce cas le visage de théories non susceptibles de vérifications expérimentales). Sous cette réserve, cette définition est indispensable pour l'élaboration d'hypothèses concernant le monde momentanément ou même définitivement hors de portée de l'homme, par exemple en cosmologie.

Plus bizarre encore est la cinquième définition proposée par le livre, dite Turtle definition . En clair il s'agit de désigner le point au delà duquel ceux qui cherchent à décrire le réel se refusent à aller, parce que les éléments pertinents leur manquent alors. On se borne à postuler qu'il existe quelque chose, une sorte de cause première, pouvant expliquer l'existence des réalités perceptibles. Mais on s'en tient là. Le terme fait allusion à la tortue mythique sur laquelle le monde était censée reposer, et que l'on renonce à décrire, sauf à faire allusion à une chaine infinie de tortues analogues. Le réel serait ainsi ce qui se trouve « en dessous » ou au delà de toutes les descriptions scientifiques, un facteur dont la science confesse le caractère au moins temporairement inconnaissable.

On pourrait aussi parler d'un point au delà duquel cessent les spéculations et les paris, faute de pouvoir aller plus loin (Real is where the buck stops, selon la devise inspirée du poker et inscrite sur le bureau du président Truman « The Buck stops here »). Cette définition pourrait convenir à ce que nous disions du vide quantique et du vide cosmologique, concepts qui marquent la limite actuelle des spéculations scientifiques vers l'infiniment petit et l'infiniment grand, et qui désigne cependant ce que les physiciens n'ont pas renoncer à nommer une réalité.

Westerhoff termine ce chapitre consacré à la réalité de la matière en rappelant les problématiques bien connues soulevées par les interprétations de la mécanique quantique, le rôle supposé de l'observation dans la décohérence d'un objet quantique et celui supposé de la conscience humaine dans cette observation. Nous n'y reviendrons pas ici. Le lecteur en trouvera un résumé, fait par l'auteur lui-même, sur le site du NewScientist

La réalité du Moi ou de la Personne

Le postulat du Moi, c'est-à-dire la croyance à la réalité d'une entité répondant à cette définition, est incontournable dans les cultures occidentales, qu'elles soient d'ailleurs scientifiques ou religieuses. Mais il s'agit sans doute d'une création relativement récente. Des cultures plus primitives s'intéressaient plus au Moi collectif qu'au moi individuel. Le concept de Moi pourrait être confondu avec celui de Moi conscient, et plus généralement avec celui de conscience, qu'elle soit dite « primitive » (courante chez la plupart des animaux) ou « supérieure ». Mais l'auteur n'entre pas dans ces distinctions. Rappelons que nous avons précédemment consacré de nombreux développements à la question du Moi et à celle de la conscience, qui implique aussi le concept éminemment controversé du Moi ou conscience volontaire, éventuellement doté de libre-arbitre.

Dans ce 3e chapitre, l'auteur mentionne un certain nombre d'expériences, cliniques ou relevant des neurosciences, permettant de mieux comprendre comment le cerveau, associé au corps, construit le Moi. Il rappelle aussi les facteurs, certains apparemment insignifiants, pouvant perturber cette construction, nous rendant plus ou moins inaptes à la vie sociale ou intellectuelle. Il évoque à cette occasion les expériences déjà anciennes de Benjamin Libet, montrant un décalage entre le début de l'exécution d'un acte et la prise de conscience de cette action. A propos du rôle de la réduction de la fonction d'onde par la conscience, il évoque très superficiellement l'hypothèse des univers multiples, dite aussi en ce cas des « multi-minds », selon laquelle le Moi procédant à un choix se duplique entre deux branches d'univers, l'une comportant le Moi ayant fait tel choix et l'autre le Moi ayant fait le choix contraire. On peut évidemment se demander que devient alors le Moi initial. Nous pensons avec Westerhoff que ces supputations n'ont guère d'intérêt pratique.

Le Moi peut légitimement être considéré comme un facteur d'unification des multiples états neuronaux intéressant le cerveau en interaction avec le corps et son environnement. On parle aussi d'un centre de contrôle global. Mais on sait que la localisation précise de cette fonction importante n'apparait pas. Elle semble résulter de la coopération d'un grand nombre d'aires cérébrales. Elle est aussi, comme nous l'avons rappelé, à la merci du moindre accident neurologique. Signalons à ce sujet la sortie du dernier livre du neurologue Oliver Sacks, « Hallucinations » qui explore un certain nombre d'états de conscience donnant du monde extérieur des représentations déformées, considérées comme anormales, sauf en ce qui concerne la création artistique. Ce chapitre évoque aussi en quelques mots les hypothèses de la mémétique, elles-aussi bien connues de nos lecteurs. On dira en simplifiant que pour les méméticiens se sont des mêmes en compétition pour la survie qui construisent les contenus mentaux les plus favorables à leur reproduction. Ceci avait été dit précédemment d'une façon plus simples: ce sont nos idées et nos préjugés qui nous façonnent, et non l'opposé. Le chapitre conclue comme l'on pouvait s'y attendre, au terme de cette trop sommaire exploration, que le Soi, impossible à mettre en doute, est également indéfinissable. Il s'agit d'un autre exemple de la « Turtle definition » évoquée précédemment à propos des « réalités » du monde de la physique.

La réalité du temps.

De nombreuse légendes traditionnelles ont exprimé l'idée que le temps n'était pas une réalité immuable, malgré la conviction bien implantée chez les individus psychiquement normaux qu'il existe une flèche du temps s'écoulant du passé vers le futur, en passant par un point, indéfinissable en termes précis, qui est le présent. Cette question du temps, depuis les propositions de la relativité restreinte d'Einstein, est devenue inséparable de tous les modèles d'univers. Elle est généralement liée à celle d'espace.

Si cependant l'espace-temps, où si l'on préfère un temps sans réalité objective, peut très bien se concevoir en termes mathématiques, il ne correspond à aucune de nos expériences pratiques. Peut-on alors considérer comme « réel » le seul passé, étant entendu que le futur est encore à naître. Là encore, si différentes sciences peuvent parler du passé en termes relativement objectifs, la mécanique quantique nous a appris qu'il n'en était rien. Dans les expériences inspirées des fentes de Young, l'observation d'une particule ayant déjà interagi avec une autre pour construire une frange d'interférence peut rétroactivement détruire cette frange.

Quant au présent, une autre série d'expériences dues elles aussi à Benjamin Libet, et citées dans le livre, montrent qu'il existe un décalage de 500 millisecondes entre la perception par le sujet d'une stimulation produite directement dans son cerveau par l'intermédiaire d'une électrode, et la prise de conscience de l'effet de cette stimulation. Ces décalages sont aujourd'hui exploités couramment par le cinéma pour créer, grâce à des images se succédant à un rythme trop rapide pour être détecté consciemment, des effets de conscience dont le sujet ne perçoit pas l'origine. La sensation de « présent » ne peut donc pas être considérée comme correspondant à une réalité objective.

Il en sera de même des prévisions relatives au futur. Le paradoxe d'Andromède, que nous ne développerons pas ici, présenté par Roger Penrose, montre que deux personnes peuvent avoir d'un même phénomène se produisant à distance, des visions différentes selon que l'une sera immobile et l'autre en mouvement () . Là encore, le futur sera relatif aux conditions de l'observation et au statut de l'observateur.

Le lecteur objectera que toutes ces considérations sont intuitivement admises par les humains. Ils n'attribuent que des valeurs relatives à ce qu'ils nomment le passé, le présent et le futur. Il reste que parallèlement, ils se refusent à dénier toute réalité objective à ces concepts. On se retrouve là, comme dans les cas précédemment évoqués, confronté à une réalité indescriptible sur laquelle s'appuient les pyramides de nos croyances à la réalité.

Six catégories de théories

Dans un chapitre conclusif, l'auteur propose de classer les croyances en la réalité en 6 grandes catégories. Selon la première, qu'il nomme « universalisme », tout est réel, les électrons, les esprits, les nombres. Selon la seconde, le solipsisme, les choses n'ont de réalité que dans nos esprits. Selon la troisième, qu'il nomme anti-solipsisme, tout est réel, sauf le sujet pensant. Pour une 4e conception, qu'il nomme le réalisme sélectif, un certain nombre de choses sont réelles, mais d'autres ne le sont pas. Les théories scientifiques peuvent faire des choix entre elles. Ainsi, pour certains mathématiciens, les nombres existent dans un monde réel, distinct du monde de la réalité matérielle. On parle d'une réalité platonicienne. Pour d'autres, les nombres sont des créations de l'esprit ou, plus précisément du cerveau.

Enfin, à l'intérieur du réalisme sélectif, il propose de distinguer deux catégories de théories. Les premières élimineraient le concept d'esprit. Rien de ce dont nous sommes conscients ne serait réel. Il s'agirait dans tous les cas de diverses formes d'illusions. A l'opposé, on distinguerait les théories pour qui n'ont de réalité que les choses dont nous sommes conscients, autrement dit celles ayant une réalité dans notre cerveau. Mais ces deux classes soulèvent leur propres difficultés. Dans la première, comment expliquer que la conscience puisse surgir dans un monde sans esprit. Dans la seconde, comment expliquer que la matière puisse surgir en dehors de cerveaux lui ayant donné sa réalité?

2. Nos propres hypothèses relatives à la réalité de la réalité

Jan Westerhoff a la sagesse de ne pas proposer de solutions qui lui soient propres, dans le labyrinthe de choix qu'il nous a décrit. Nous voudrions pour notre part, abandonnant toute sagesse, formuler nos propres hypothèses relatives à la réalité de la réalité. Ceci d'autant plus qu'elles pourraient s'insérer dans une approche, ressortissant de ce que certains nomment le constructivisme, qu'il n'a pas développée.

La création de la réalité par des robots

Imaginons un groupe de robots présentant les caractères les plus évolués de ceux que proposent la robotique et l'intelligence artificielle actuelle. Il ne s'agit pas de science fiction car de tels robots sont mis au point et étudiés, soit dans des laboratoires travaillant pour la défense (mais il est difficile d'en parler compte tenu des restrictions de communication imposées dans ces domaines) soit par des firmes civiles telles que Sony ou Aldebaran Robotics (image, robots Nao), au moins si celles-ci disposent de crédits de recherche en quantité suffisante. Nous y avons consacré plusieurs articles il y a quelques années. (voir par exemple un entretien avec Fredéric Kaplan ).. On mentionnera aussi les modèles de conscience artificielle établis par Alain Cardon, mais ceux-ci, faute de crédits, sont restés pour l'essentiel théoriques.

Chacun de ces robots peut être considéré comme un système cognitif, autrement dit capable de se donner des représentations du monde lui permettant d'optimiser son comportement dans ce monde. Il dispose en cela (comme les animaux et les humains) d'organes sensoriels (dits d'entrée) et d'organes effecteurs (dits de sortie). Il possède par ailleurs, un système coordinateur d'ensemble (système nerveux), dont la mémoire centrale gère ces représentations. Autrement dit, à partir de ces dispositifs, il peut générer des hypothèses relative au monde, sur un mode éventuellement aléatoire, qu'il soumet à l'expérience par l'intermédiaire de ses organes d'entrée-sortie. Il ne conserve que celles de ces hypothèses qui sont vérifiées par l'expérience. Il les agrège alors à sa mémoire afin de s'en servir comme d'une base permettant de qualifier de nouvelles perceptions et suggérer de nouvelles hypothèses. On parlera de système cognitif artificiel pour marquer qu'en principe le robot ainsi décrit n'a pas besoin de faire appel à la collaboration de systèmes cognitifs biologiques.

Un tel système cognitif, aussi perfectionné qu'il soit, serait cependant sans moteur, autrement dit sans impulsion à découvrir, s'il n'était pas soumis à une compétition darwinienne pour l'accès aux ressources et par conséquent pour survivre. Cette compétition peut provenir d'autres entités non robotiques, par exemple des animaux lui disputant l'espace et l'énergie. Mais dans un premier temps elle proviendra de robots analogues (ou très voisins) travaillant en groupe avec lui. On parle parfois d'essaim ou de meute. Le groupe ainsi formé générera de la compétition entre ses membres, pour l'accès, là aussi, à l'espace et aux ressources. Cette compétition n'exclura pas la coopération, surtout si le groupe tout entier est soumis à d'autres compétiteurs extérieurs menaçant sa survie.

Les expériences menées en ce domaine montrent que les robots individuels acquièrent par essais et erreurs, à partir de leurs organes d'entrée/sortie, la capacité d'élaborer des proto-langages reposant eux-mêmes sur des concepts et des syntaxes. Les "concepts" s'étant révélés les plus pertinents pour décrire le monde extérieur et y agir efficacement sont alors mémorisées dans des bases de données dont chaque robot peut détenir une version, en l'absence de mémoires externes sur le modèle de nos bibliothèques. Avant même la production de concepts abstraits, le groupe élabore des répertoires de comportements modèles qui sont les premiers éléments de ces langages. Ces comportements, dont la signification est particulièrement facile à saisir, sont les premiers éléments des langages collectifs ainsi produits. Là encore, ils sont générés par essais et erreurs. Ils ne sont conservés qu'en cas de succès, à la lumière de l'expérience acquise par le groupe.

On conçoit que l'aptitude de tels groupes de robots cognitifs à produire des représentations pertinentes du monde leur sera précieuse quand ces robots auront été déposés par des humains sur des planètes mal connues, suffisamment lointaines pour ne pas permettre une communication à court temps de réponse avec le centre de contrôle terrestre. Ils devront alors « cartographier » cet environnement, qualifier les objets ou phénomènes qu'ils y rencontrent et utiliser leurs ressources afin d'y survivre le plus efficacement possible. Ils pourront à cette occasion élaborer de nouveaux comportements ou de nouveaux langages leur permettant de s'adapter spécifiquement à ce qu'ils découvriront (ci-contre la lune de Mars Phobos, susceptible de devenir un prochain objectif d'exploration robotique sur le modèle décrit ici)

Une découverte efficace de ces nouveaux mondes supposera que de tels meutes de robots soient capables de jeter des regards originaux sur ces mondes, sans se référer à ce qu'ils auraient pu apprendre auparavant, y compris sur Terre. Ils devront donc être capables d'ouverture, d'imagination et finalement d'invention – ceci toujours sur un mode essais et erreurs adapté à leurs capacités technologiques et cognitives. Si ces fonctions sont bien exécutées, ces robots pourront créer un « monde nouveau », n'existant jusqu'alors ni sur la Terre ni sur la planète explorée. On pourrait ainsi envisager que, combinant au hasard certaines molécules rencontrés sur cette planète, ils produisent des structures matérielles originales, éventuellement réplicatives.

Systèmes cognitifs artificiels et réalité

Tout ceci est sans doute encore peu à la portée des générations actuelles de robots, d'autant plus que les financements actuels visent surtout à développer leurs capacités de se comporter en systèmes d'armes autonomes, pour détruire et non pour construire. Mais la compétition des grandes puissances dans la découverte de l'espace, et l'incapacité d'envoyer partout des humains, en feront rapidement des « pseudopodes » des terriens, à condition que ceux-ci ne se soient pas anéantis réciproquement dans l'intervalle.

Que seront les « réalités » de ces robots? Reprenons pour en juger les grandes catégories proposées par Jan Westerhoff. Concernant la matière (celle de l'environnement physique) celle-ci sera définie par l'interaction entre les organes du robot et le monde extérieur. Elle ne sera « observée » que dans les limites des capacités instrumentales du robot. Elle ne sera « qualifiée » ou « nommée »  que dans les limites de leurs capacités langagières. Toute autre production conceptuelle ne serait que divagation, vite éliminée. Nous avons vu cependant que les robots, poussés par leur compétition pour la survie, suggéreront sans cesse de façon aléatoire un grand nombre d'hypothèses « théoriques ». Rien n'exclut que certaines de ces hypothèses, mises à l'épreuve systématiquement, loin de disparaître du fait de leur adéquation, se révèlent fructueuses, donnant naissance à de nouvelles formes matérielles.

Dans ce cas, elles élargiront le mécanisme de découverte de la « réalité » auquel se livrent les robots. Ceux-ci pourront dans leur langage parler d'un processus constructif de la réalité, non pas d'une réalité objective ou en soi, mais d'une réalité « relative ». Elle sera relative à l'observateur-acteur, à ses instruments et aux concepts symboliques qu'il a acquis pour les nommer. Ce ne sera donc pas une réalité indépendante de l'observateur mais pas davantage une réalité liée à celui-ci et indépendante du monde extérieur. La réalité, encore une fois relative, à prendre en considération pourra être définie comme le résultat de la superposition de ces deux illusions de réalité.

Le fait cependant que l'environnement extérieur non qualifié puisse comme nous l'avons vu répondre dans tel ou tel sens à telle ou telle des hypothèses générées par les robots devrait logiquement faire émerger au sein de leurs bases de données conceptuelles l'hypothèse d'un « extérieur » indéfinissable a priori mais constituant une réalité ultime. Il s'agira de la tortue décrite par la turtle definition   de Jan Westerhof. Rien n'interdirait évidemment de chercher à repousser les frontières de l'indéfinissable, par la construction à partir des processus évoqués plus haut de nouveaux éléments pouvant prétendre à s'intégrer dans les réalités matérielles, mais la frontière de l'indéfinissable sera reculée d'autant, sans que celui-ci disparaisse. Autrement dit, si ces robots réussissaient à décrire une première tortue jusqu'alors considérée par eux comme indescriptible, ils découvriraient une colonne d'autres tortues sur les carapaces desquelles la première était juchée.

Il n'est pas nécessaire de développer ici d'autres considérations, concernant la réalité du Moi et du Temps aux yeux des robots évolutionnaires que nous avons décrits. Ce seront comme en ce qui concerne la matière le produit d'interaction entre le monde extérieur a priori inconnaissable et leurs dispositifs d'acquisition de connaissance. La conscience de soi, dite aussi conscience primaire chez les animaux, est le premier produit du fonctionnement de tout robot, ne fut-il doté que de capacités limitées. Elle lui sert de référence permanente pour qualifier le résultat de ses activités exploratoires. Mais où elle-elle située? Certainement au sein du système nerveux central, mais aussi répartie dans les différents organes du robot, à l'occasion de la production des activités du système global. En fait, il s'agit là, comme précédemment, d'une « réalité » relative. Elle est en cours de construction, et donc de définition, permanente.

Concernant le Temps, enfin, il est lui aussi le produit du fonctionnement de tout robot, même élémentaire. Son passé s'inscrit dans les couches de mémoires successives résultant de son activité. Quant à son futur, il le postule implicitement en procédant à des hypothèses sur le monde qu'il met à l'épreuve de ses expérimentations. Le présent du robot, enfin, c'est ce qu'est ce robot au temps t zéro des équations qu'il pourrait utiliser s'il s'agissait d'un robot doté de symbolique mathématique.

On remarquera que tout ce que nous venons de résumer concernant la représentation de la réalité par des groupes de robots cognitifs est très voisin, sinon comparable, à la façon dont le physicien quantique décrit la réalité quand il se hasarde à le faire en prenant un recul épistémologique avec les formalismes mathématiques qu'il utilise. La Méthode de Conceptualisation Relativisée (MCR) présentée par Mme Mugur-Schächter, souvent référencée sur ce site, en donne une description excellente. (Voir notamment Mioara Mugur-Schächter " L'infra-mécanique quantique " .

Nous avons pour notre part proposé d'étendre cette méthode à l'ensemble des sciences macroscopique, y compris les sciences dites molles. Il n'y a pas de raison, à la lumière des acquis de la physique quantique, de bâtir de frontières épistémologiques dans le domaine des connaissances.

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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 20:56

 


Jean-Paul Baquiast 08/10/2012

newscientist.jpgAu fur et à mesure que progresse la physique, les scientifiques, et le grand public avec eux, sont conduits à se reposer cette question vieille comme la philosophie. C'est précisément ce que vient de faire la revue NewScientist, réputée pour son sérieux. Elle consacre un numéro spécial, en date du 29 septembre, à l'exposé du problème. http://www.newscientist.com/special/reality

Nos lecteurs ne manqueront pas de se référer aux articles proposés par ce numéro. La rédaction y présente diverses hypothèses concernant la « réalité » de l'univers, au delà des considérations classiques concernant les interprétations de la physique quantique et le rôle de la conscience humaine pour réduire les fonctions d'ondes. Les questions suivantes sont abordées: un univers fait de de nombres; un univers fait d'informations, un univers holographique... Que pourrait-on ici ajouter à ces articles ?

Rappelons peut-être que la physique des particules, comme la cosmologie, débouchent aujourd'hui sur un vaste point d'interrogation concernant non seulement la nature de la réalité, mais son existence même. La physique des particules repose sur ce que l'on pourrait appeler une approche réductionniste: rechercher les constituants les plus petits possibles de la matière. Or aujourd'hui, au delà des quarks, des gluons et des électrons, la mécanique quantique, qui prend le relais à ces échelles, évoque un univers d'énergie, non descriptible en termes de temps et d'espace, nommé quelquefois le vide quantique. Provenant des instabilités du vide quantique peuvent à tous moments surgir des formes de matière conformes au modèle standard des particules. Mais rien n'interdit de penser que d'autres formes de matière, susceptibles de composer des univers différents de ceux que nous observons actuellement, ne puissent pas aussi en surgir. Pourrions-nous jamais les connaitre? Plus fondamentalement, comment qualifier cette « réalité » ultime, mère possible de toutes les réalités, correspondant à ce concept de vide quantique.

La cosmologie pour sa part conduit, à l'échelle de l'infiniment grand, à une interrogation analogue. Les hypothèses relatives à l'histoire de l'univers évoquent un point zéro, de densité et d'énergie quasi infinies, qui aurait été à l'origine du Big Bang. On parle de Singularité pour exprimer qu'à ces échelles, aucune loi reconnue par la physique actuelle ne pourrait s'appliquer. Beaucoup de physiciens admettent que la « réalité » correspondant à l'existence de cette singularité pourrait donner naissance à des univers très différents du nôtre, où notamment ce que nous nommons les lois fondamentales seraient profondément différentes.

A une échelle plus réduite, celle des trous noirs, on retrouve ce concept de singularité. Les trous noirs, comme l'a rappelé récemment Caleb Scharf, sont considérés comme participant activement au « tissu de la réalité ». Ils donneraient ainsi naissance, dans notre univers, à la physique des particules et à toutes les constructions atomiques en découlant. Mais d'où provient la matière qu'ils éjectent? Et, plus crucialement, où va la matière qu'ils absorbent. Là encore, on pourrait évoquer le concept de Singularité. De plus, il y aurait dans l'univers observable des trillions de trous noirs, chacun porteur de sa propre singularité. Ces singularités seraient-elles, si l'on peut dire, toute de la même essence, ou renverrait-elles à des « réalités potentielles » différentes? Si les trous noirs s'évaporent, peut-on admettre l'hypothèse formulée par Leonard Susskind et Gerard 't Hooft , reprise par Craig Hogan, selon laquelle l'information sur l'univers qu'ils contiennent pourrait se retrouver à l'horizon de l'univers entier sous forme d'une projection holographique? Nous rencontrons à nouveau la question précédente: comment qualifier cette « réalité » ultime, mère possible de toutes les réalités, correspondant à ce concept de singularité, qui serait très comparable à celui de vide quantique.

Au dela de ces questions s'en pose une autre, rarement évoquée: peut-on faire confiance à notre cerveau (ou notre esprit) qui nous suggère ces diverses hypothèses, sans généralement proposer des expérimentations permettant de les mettre à l'épreuve. Quelques chercheurs répondent pas la négative. Pour eux, nous devrions admettre que notre cerveau, formé par des millénaires d'évolution imposant de résoudre des questions pratiques; liées à la matière quotidienne, devrait reconnaître franchement son incapacité à aller au delà. Si le « réalisme des essences » est une illusion comme le suggère la Méthode de conceptualisation relativisée proposée par Miora Mugur-Sächter, il serait tout à fait légitime de penser que la conjonction de nos cerveaux et de nos instruments puisse rencontrer des obstacles « matériels » insurmontables dans l'effort pour conceptualiser de nouvelles formes d'univers.

Ne pas renoncer

En ce cas, des réponses originales aux questions précédentes ne pourraient provenir que de mutations neuronales ou de progrès inattendus des systèmes cognitifs artificiels que nous produisons par ailleurs,. On pourrait envisager aussi une rencontre, plus qu'hypothétique, avec des extraterrestres plus avancés que nous ayant depuis longtemps résolus les problèmes qui nous arrêtent.

Mais faut-il prématurément renoncer à voir nos cerveaux, ou plus précisément le système évolutionnaire que constituent ceux-ci et nos connaissances scientifiques en réseau, faire émerger de façon aléatoire, un prochain jour, des solutions aux questions sur la réalité évoquées ici. Ces solutions nous paraîtraient alors évidentes. T

Des mutations inattendus dans nos cerveaux et dans les connaissances qu'ils produisent, qu'elles soient théoriques ou pratiques, sont peut-être déjà en train de s'amorcer, sans que nul, aveuglé par le discours académique dominant, ne s'en rende compte. Rappelons d'abord que quelques chercheurs n'ont pas renoncé à mettre en évidence des « variables cachées non locales » qui permettraient de décrire une réalité que la physique quantique persiste à refuser d'aborder autrement qu'en termes de fonctions d'onde. Mais il y a plus. Il est surprenant de voir l'incroyable ébullition qui agite les cerveaux de myriades de physiciens. Des sites comme http://vixra.org/ ou
http://fqxi.org/community/forum/category/31418 en donnent la preuve. Nous sommes évidemment bien incapables de juger de la pertinence de telles approches. On peut même se risquer à penser que nul, aussi savant soit-il, ne prend la peine de les évaluer et de chercher à les prolonger.

souplex.jpgD'où l'hypothèse sans doute un peu optimiste que nous formulons ici: de tout ce magma (certains parleront à tort de fatras), ne surgira-t-il pas un jour un éclairage non seulement fécond mais révolutionnaire sur ce que serait la réalité, celle de l univers et la nôtre? Alors tels Raymond Souplex, nous pourrions nous écrier en nous frappant le front « Mais c'est bien sûr.Que n'y avions nous pensé? » 


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18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 15:42

 



A propos de Mindful Universe, Quantum Mechanics and the Participating Observer, de Henry Stapp (2e édition, Springer, 2011)

Jean-Paul Baquiast 17/07/2012

 

 

1. Position du problème

Nous avons plusieurs fois discuté sur ce site le thème de la conscience, à l'occasion de la présentation des nombreuses recherches scientifiques récentes qui lui ont été consacrées. D'une façon générale, nous en avions tiré la conclusion que la conscience, et les décisions conscientes en découlant, n'ont pas d'effets premiers. Elles n'ont que ce que l'on pourrait appeler des effets seconds ou induits. Il en est de même du libre-arbitre, souvent évoqué à propos de la conscience humaine. On dit parfois que la conscience n'est pas primo-décisionnaire, malgré ce que peut en penser le sujet conscient. Si je prends peur à la vue d'un danger, c'est en général l'ensemble de mon système cognitif inconscient, incluant ses entrées-sorties sensorielles et ses traitements cérébraux, qui génère un sentiment de danger puis de peur. C'est aussi lui qui peut prendre les décisions d'évitement me permettant de fuir le danger, ceci avant toute prise de conscience explicite.

Néanmoins cette prise de conscience peut survenir, si la peur est suffisante pour envahir l'espace neural conscient. Dans ce cas, la prise de conscience n'est pas un simple épiphénomène d'accompagnement, comme il avait été souvent suggéré par des behavioristes. La prise de conscience, par le sujet conscient, successivement, du danger ou risque possible, du sentiment de peur et des conduites d'évitement spontanées induites en lui, peut conduire ce sujet à prendre consciemment (il dira peut-être volontairement) des décisions qui ne sont pas déterminées de façon simplement linéaire par l'ordre de ces évènements. Ainsi il pourra décider de résister à la peur ou de mieux analyser le risque perçu et les façons d'y faire face.

S'organisera alors en lui une approche plus globale du problème, faisant appel au niveau de l'espace neural de travail conscient (Baars), à ses souvenirs également conscients, ou à des données d'expériences mémorisées au niveau du groupe et accessibles par le langage. On pourra dire alors que les décisions découlant de cette prise de conscience globale sont des décisions volontaires, produit du libre-arbitre du sujet. Mais cela ne voudra pas dire qu'elles sans cause, ou provenant d'une inspiration spirituelle qui ne serait pas concevable dans le cadre d'une analyse matérialiste. On ne pourra pas dire non plus qu'elles seraient aléatoires, comme si elles résultaient d'un tirage au sort. Elles seront déterminées au cours d'un processus complexe, mêlant le conscient et l'inconscient et nécessitant pour être explicité des analyses au cas par cas.

Plus concrètement, évoquer l'intervention de la conscience volontaire voudra signifier que le processus de décision finale ne sera pas déterminé de façon linéaire, mais par des aller-retours permettant la prise en compte de nombreux souvenirs et arguments qui auraient été négligés par une décision d'évitement de type réflexe. L'appel à cette conscience volontaire, ou conscience élargie, ne sera pas pour autant le résultat d'une libre-décision antérieure. Il pourra se produire spontanément, soit même ne pas se produire, pour des raisons extérieures au sujet, tenant par exemple à un fort effet de surprise. Mais d'une façon général, le sujet capable de prise de conscience ne pourra pas éviter de recourir à cette faculté. Selon l'expression courante, on ne peut pas s'empêcher de réfléchir. On voit immédiatement l'avantage sélectif d'un tel processus d'élargissement du cadre de référence décisionnelle, au profit des animaux humains en ayant acquis la capacité lors de l'évolution. Ils peuvent éviter les pièges de l'immédiateté dans lesquels tombent les animaux disposant de capacités de conscience plus réduites.

Ceci dit, les considérations précédentes n'ont rien d'original pour les cognitivistes matérialistes. Il ne serait pas utile de les rappeler ici si la question de l'intervention de la conscience dans les processus de la physique quantique n'avait pas été posée par les fondateurs de cette physique, dans les années 1930, et périodiquement rappelée depuis. D'intenses débats en avaient résulté, sans d'ailleurs recevoir de réponses précises. Le problème résumé par le paradoxe du chat de Schrödinger semblait insoluble en termes neurologiques ou philosophique: de quelle façon mon choix personnel (celui de ma conscience ou celui de mon cerveau) peut-il sauver ou tuer le malheureux chat? Plus exactement, selon les interprétations de la physique quantique, des réponses très différentes en termes épistémologiques pouvaient lui être apporté, entre lesquelles il n'est pas encore possible d'apporter des réponses expérimentales. Il semble évident que les liens possibles entre le fonctionnement « matériel » du cerveau de l'observateur et son influence sur le résultat des mesures en physique sont loin d'être élucidés, ceci plus particulièrement en ce qui concerne l'observation des entités du monde quantique, particules ou ondes.

Plus précisément, ni les physiciens ni les neurologues ne peuvent expliquer clairement (ou ne cherchent pas à expliquer) ce qui se produit dans la nature quand la conscience d'un observateur/expérimentateur résout l'indétermination d'un système quantique en l'observant, autrement dit en apportant une réponse particulière à l'infinité des solutions possibles décrites en termes statistiques par sa fonction d'onde, c'est-à-dire par le seul moyen mathématique disponible pour appréhender l'état de ce système. Que se passe-t-il dans le cerveau de l'observateur? Les neurones de celui-ci interagissent-ils et comment avec le système quantique? Que se passe-t-il simultanément au niveau du système qui se trouve ainsi « matérialisé » par réduction de sa fonction d'onde? Cette matérialisation permet certainement au système de s'agréger, par l'intermédiaire de sa matérialisation, à l'ensemble immense des constructions matérielles ayant résulté de l'interaction, depuis qu'ils existent, des cerveaux humains avec un hypothétique soubassement quantique indéterminé. Mais de quel façon exactement? La question est de temps en temps encore évoquée par certains physiciens ou neurologues, au grand intérêt on le comprend des philosophes et même des cogniticiens pour qui le phénomène de la conscience humaine n'est pas si simple qu'il pourrait être compris par la seule analyse déterministe des échanges entre neurones du cerveau.

Nous sommes de ceux qui pensent, conjointement avec la physicienne Mioara Mugur-Schächter, souvent citée sur ce site, que la façon dont les cerveaux conscients se représentent aujourd'hui la nature, à la suite des apports incontournables de la physique quantique dans le domaine de ce que l'on appelle pour simplifier le microscopique, pourrait être utilement étendue au domaine de l'univers macroscopique ordinaire, celui composé de la matière physique ou biologique de la vie quotidienne, comme au domaine de la cosmologie – où l'on retrouve d'ailleurs la physique quantique. Concrètement cette proposition signifie qu'existent aujourd'hui de bons arguments pour remettre en doute les postulats des scientifiques « réalistes » ou objectivistes qui considèrent, après Newton, que la bonne science ne peut se faire qu'en éliminant l'esprit de l'observateur, introductif de subjectivité. En ce sens, la science, pour les scientifiques « réalistes », se doit d'être objective et non subjective. A leurs yeux, les sciences macroscopiques étudient un « réel en soi » qu'elles doivent collectivement s'attacher à faire apparaître, en éliminant toutes références aux cerveaux et esprits des chercheurs, ainsi qu'aux valeurs et motivations personnelles portées par eux.

On peut montrer au contraire qu'un tel « réel en soi supposé » n'a rien de stable et d'objectif. C'est une construction constamment remise en cause et enrichie par les pratiques scientifiques, c'est-à-dire par les hypothèses, expérimentations et conclusions produites par les cerveau des chercheurs, en interaction avec l'univers. Il s'agit d'une construction subjective, ou plus exactement intersubjective, dans la mesure où la science tire sa puissance des discussions collectives s'établissant à l'occasion de la production de ses résultats. Les descriptions scientifiques du « réel », si l'on tient à conserver ce terme de réel pour désigner ce qui est extérieur à la science et qu'elle se donne pour mission de comprendre, ne font pas appel d'hypothétiques lois fondamentales régissant l'univers, qu'il suffirait d'appliquer. Elles résultent d'un questionnement permanent, produit du cerveau humain et s'adressant, à travers les sens et aujourd'hui à travers les instruments scientifiques, eux mêmes construits par la science, à un univers ayant "émergé" du monde quantique, lequel reste indescriptible dans son essence, à supposer même qu'il existât (qu'il y eut « quelque chose plutôt que rien »).

Ce ne sera pas une raison cependant pour refuser ces constructions de la science expérimentale, hypothèses, théories, observations, puisque ce sont les seules dont nous disposions, non seulement pour essayer de comprendre le monde, mais aussi essayer de nous comprendre nous-mêmes. Il faudra seulement ne pas y voir des fenêtres miraculeusement ouvertes sur la « réalité » d'un univers qui nous dépasserait. La démarche proposée par Mme Schächter, sous le nom de Méthode de conceptualisation relativisée (MCR), doit pouvoir permettre d'éliminer, y compris dans les sciences du macroscopique, les pièges d'un « réalisme » où chacun projetterait ses propres définitions du réel, celles servant finalement en priorité ses intérêts personnels ou ceux de son groupe d'appartenance.

Mais alors comment éviter le solipsisme, c'est-à-dire la tentation philosophique consistant à affirmer que les seules réalités qui comptent sont les constructions intellectuelles de notre cerveau, celles-ci incluant nos hypothèses et nos expérimentations ? On pourra le faire en réintroduisant dans la science macroscopique les interprétations de la physique quantique, selon lesquelles l'indétermination s'impose à toute description de la nature au niveau microscopique. L'indétermination, dans cette optique, sera comprise comme supposant que l'esprit humain, à travers notamment le fonctionnement de ses neurones, peut poser au monde quantique microscopique, comme au monde macroscopique des questions dont les solutions ne sont pas données d'avance. Elles résulteront des façons toujours nouvelles de spécifier tel entité (tel observable) et, en l'observant, c'est-à-dire en réduisant sa fonction d'onde, de l'intégrer à l'édifice du monde matériel déjà construit, autrement dit en enrichissant ou modifiant cet édifice, dont la vie et nous-mêmes sommes des formes particulières.

En poussant à l'extrême l'approche constructiviste, on pourrait être conduit à suggérer que les constructions du cerveau humain, se matérialisant en interagissant en permanence, au delà du monde matériel, avec le monde quantique, construirait sur la Terre un univers microscopique et macroscopique, le seul que nous puissions percevoir, se superposant ou se juxtaposant à d'autres processus constructivistes cosmologiques qui nous demeureraient inconnus. Il s'agirait alors d'une sorte de solipsisme érigé en solution cosmologique. Les seules réalités du monde qui compteraient pour nous seraient les constructions résultant de l'activité de nos organismes, cerveaux et corps inclus. une vaste construction générée par nos organismes et que nous habiterions.

L'humain n'aurait évidemment pas le monopole d'un tel pouvoir. Tous les organismes vivants, à leur échelle, feraient de même. Dans certains cas, ils procéderaient en symbiose avec nous, dans d'autres cas en nous ignorant ou en nous combattant. Par ailleurs l'extension de la cognition humaine à l'échelle du cosmos, proche ou lointain, grâce à l'enrichissement des technologies spatiales, élargirait les capacités constructivistes des sociétés anthropotechniques que nous formons en association avec des technosciences proliférantes.

Dans cette perspective, il serait important de montrer que les organismes biologiques peuvent interagir directement avec le monde quantique, en dehors de tout appel à des techniques scientifiques. Nous avons ici même évoqué le nombre de plus en plus grand d'études portant sur l'éventuelle intervention de particules ou entités quantiques dans un certain nombre de mécanismes fondamentaux intéressant le vivant 1) . Dans le domaine du cerveau, les scientifiques s'intéressant à cette perspective pensent pouvoir faire apparaître le rôle de l'attention renforcée, sur le mode dit « volontaire », pour rendre durables d'éventuelles constructions quantiques au sein du cerveau, à travers ce qui est nommé l'effet Zenon quantique (quantum Zeno effect) 2)

Ce terme introduit en 1977, désigne une situation (encore discutée) dans laquelle une particule instable (quantique) peut ne pas se détruire si elle est observée continuellement. Plus généralement il serait possible de geler l'évolution d'un système en le mesurant suffisamment fréquemment. Si l'on peut prouver que les neurones individuels ou des parties de ceux-ci, notamment les synapses, se comportent comme des entités quantiques, on pourrait admettre que l'observation de leurs constructions par d'autres éléments du cerveau ou du corps pourrait pérenniser ces constructions. Celles-ci entreraient alors dans le cycle de la construction par la conscience volontaire de nouveaux états du monde. JohnJoe Mac Fadden a fait appel au même mécanisme pour expliquer le rôle au service de la conservation de la vie des mutations adaptatives se produisant au sein de l'ADN, dont les composants de base, atomiques ou sub-atomiques, pourraient être assimilés à des particules quantiques. Nous conseillons vivement aux lecteurs de relire les articles que nous avions consacré à ce chercheur, notamment son interview, traduit en français 3).


2) L'apport de Henry Stapp

Un des théoriciens de ce réflexion sur la conscience à la lumière de la physique quantique, selon nous le plus actuel et le plus crédible, est le physicien américain Henry Stapp 4), qui vient de rééditer, avec plusieurs ajouts, sous le titre de Mindful Universe, Quantum Mechanics and the Participating Observer 2011, son ouvrage séminal de 2009, Mind, Matter and Quantum Mechanics, ouvrage résumant lui-même de nombreux articles antérieurs.

Henry Stapp se défend de toute inspiration spiritualiste, telle celle de J.C Eccles (auteur de How the Self controls its Brain 1994) ou de toute approche mystique ou New Age, comme l'avait été celle de nombreux physiciens américains dans les années 1970, par exemple Fritjof Capra (auteur du Tao de la Physique . 1975). Il refuse cependant le matérialisme neural du psychologue évolutionniste Michael Gazzaniga (auteur, entre autres de The Ethical Brain 2005 et de Human.The Science behind what makes us unique 2008 5) ou de Daniel Dennett (auteur, entre autres de Conciousness explained, 1991 6) pour qui la conscience humaine est un simple épiphénomène.

Parmi ceux qui se sont intéressé de près, comme lui, à d'éventuelles interactions des neurones avec le monde quantique sous-jacent, Henry Stapp ne retient pas les hypothèses de Roger Penrose (auteur, notamment de Shadows of the Mind 1994) ou même de David Chalmers (auteur de Explaining Consciousness, the Hard problem 1995). Curieusement, enfin, il ne cite pas les recherches sur la biologie quantique du généticien JohnJoe Mac Fadden, dont nous avions présenté ici l'ouvrage Quantum Evolution, The new science of life 2000 (voir aussi l'interview qu'il nous a accordé, précité 3) , très explicite, notamment en ce qui concerne l'effet Zénon et les pénomènes quantiques au sein des celules biologiques

Henry Stapp trouve son inspiration, non seulement dans les écrits des pères fondateurs de la mécanique quantique, notament Bohm, Bohr, Heinsenberg, Pauli, mais surtout dans ceux, un peu moins connus, du mathématicien J. Von Neumann (auteur de Mathematical Foundations of Quantum Mechanics, 1932, 1955). Au plan philosophique, il s'appuie notamment sur A.N Whitehead (auteur notamment de Process and Reality, 1929), peu lu en France mais qui semble avoir eu des idées pénétrantes sur la question, avant qu'elle n'ait été abordée par les physiciens.

Le point de départ de Henry Stapp consiste à montrer que les inventeurs de la mécanique quantique (MQ), notamment ceux regroupés au sein de l'école de Copenhague, ont par cette nouvelle science obligé à l'abandon des postulats de la science classique, c'est-à-dire l'existence d'un réel indépendant des observateurs et la nécessité pour comprendre ce réel de le détacher de toute subjectivité, c'est-à-dire toute référence à l'observateur et à son esprit (mind).

Il est certain que les applications de la MQ, faisant appel au formalisme mathématique de cette dernière, ont été et demeurent si nombreuses que plus personne ne discute la pertinence et l'applicabilité de ces approches théoriques. Par contre, les formulations que les philosophes croient pouvoir tirer de la MQ pour décrire le monde macroscopique dans les termes du langage courant (ses ontologies) restent très discutées, voire purement et simplement refusées. Selon Richard Feynmann, personne ne comprend la MQ, non pas en ce qui concerne les modes d'emploi de son formalisme mathématique, mais en ce qui concerne les descriptions philosophiques du monde, d'ailleurs très différentes les unes des autres, qu'elle peut proposer. Quant au formalisme, il ne faut pas chercher à le comprendre, mais simplement l'appliquer (« calcule et tais-toi »)

Le livre de Henry Stapp s'ouvre sur une citation de Antonio Damasio (N° spécial du Scientific American, The Hidden Mind, 2002) , selon laquelle la science d'aujourd'hui est encore incapable de répondre, par l'étude de l'activité du cerveau (brain), à la question de savoir comment se forme l'esprit (mind). Damasio constate que ceux qui voudraient apporter une réponse à cette question, au lieu de la rejeter purement et simplement comme sans solution ou sans raisons d'être, devront analyser les processus biologiques au niveau quantique.

Malheureusement, selon Henry Stapp, la science des deux derniers siècles était et est restée entièrement déterministe, comme elle le devint à l'époque des Lumières lorsqu'elle a réfuté, d'ailleurs avec succès, les conceptions mystiques du monde imposées par les religions durant deux millénaires. La science considérait, et considère encore le plus souvent, que l'on doive étudier le fonctionnement du cerveau comme on étudie celui d'une machine, au mieux celui d'un automate. Introduire un concept non clairement définissable comme l'esprit ou la conscience, ne peut que reconduire aux époques préscientifiques imbibées de préjugés mystiques.

Heureusement la MQ a remis, selon l'expression de Stapp, la science sur ses pieds, en se donnant comme objet d'étude les processus par lesquels les humains acquièrent des connaissance et les modalités selon lesquelles ces connaissances construisent les représentations que nous nous donnons de nous-mêmes et,de l'univers. Loin d'être incompréhensible, la MQ est beaucoup plus compréhensible que les physiques traditionnelles, dans la mesure où elle fait appel à une intuition forte que nous éprouvons et utilisons tous les jours, celle selon laquelle l'attention consciente que nous portons aux choses et aux évènements de notre monde nous est indispensable pour mieux les comprendre. La MQ nous a obligé, à partir de l'affirmation du principe d'indétermination de Heisenberg, à prendre en compte la façon dont nos choix conscients orientent nos conduites, faisant appel à un grand nombre de comportements différents possibles que la science déterministe classique se refuse à évoquer.

La MQ décrit ainsi non un univers de déterminismes matériels fermés sur eux-mêmes, mais un univers de potentialités entre lesquels nous pourrons choisir en fonction du degré des connaissances que nous avons acquises. C'est ce que Niels Bohr a dépeint comme la liberté de préparer les mesures instrumentales que nous souhaitons conduire, et la liberté de sélectionner les phénomènes auxquels nous souhaitons appliquer ces mesures - tout ce que Von Neumann pour sa part a nommé des « interventions ». Nous ne faisons pas ces choix au hasard, ce que pourrait sous-entendre le concept mal compris de liberté ou libre-arbitre. Ce sont nos valeurs, nos idées, nos sentiments, portés par notre esprit, qui nous recommandent ces choix.

Ce faisant la nouvelle science portée par la MQ nous permet de faire avancer la connaissance scientifique bien davantage que ne le ferait la physique déterministe traditionnelle, puisqu'elle réintroduit l'humain au coeur du processus de découverte. Mais il ne faudra pas oublier que les nouvelles connaissances comportent une double formulation, celle faisant appel au formalisme mathématique, inaccessible au non-spécialiste, et celle utilisant le langage ordinaire, accessible à tous. Cette double description doit, selon Von Neumann (image) souvent cité par Stapp, s'appliquer aussi au cerveau et, au delà de celui ci, à l'esprit. On décrira l'esprit et plus généralement le problème des relations entre l'esprit et la matière, aussi bien dans les termes des descriptions mathématiques de la MQ, elle-même une extension de l'interprétation de Copenhague, qu'en termes découlant des flux de conscience que ressent ou qu'observe l'observateur humain.

Se pose alors la question très importante, déjà évoquée dans l'interview de JohnJoe MacFadden précitée, de savoir si les cellules du cerveau, les neurones, peuvent être considérées comme dotées d'une façon ou d'une autre de la capacité de produire des particules quantiques qu'elles utiliseraient dans le cours de leur fonctionnement. Plus généralement, le cerveau, constitué de dizaines de milliards de neurones interagissant en permanence avec l'environnement, peut-il être considéré comme une sorte de mémoire électronique classique, ou faut-il le traiter comme une entité quantique relevant de règles qui ne seraient pas classiques? Enfin, à supposer qu'elles soient mises en évidence, comment ces propriétés quantiques pourraient elles contribuer à la formation d'une conscience volontaire dotée de propriétés psychophysiques? Ne serait-ce pas, sous une nouvelle forme, une résurgence du dualisme distinguant la matière et l'esprit ?

Henry Stapp donne à ces questions très importantes des réponses confirmant l'hypothèse qui est la sienne, selon laquelle une correcte utilisation des concepts de la MQ, notamment le théorème d'Heisenberg (principe d'incertitude), justifierait amplement le rôle psychomoteur qu'il entend donner à la conscience, conçue comme la propriété émergente d'un ensemble, le cerveau, massivement doté de propriétés quantiques. Cette hypothèse, il faut le constater, n'a reçu qu'un accueil dubitatif de la part des physiciens. Un premier contre-argument, toujours évoqué, est que les milieux biologiques, chauds et humides, provoquent la décohérence rapide des particules quantiques éventuellement émises. Par ailleurs, toutes les hypothèses relatives aux supposées propriétés quantiques des neurones individuels, d'une part, de leurs assemblées plus ou moins larges d'autre part, restent encore très difficilement testables avec les instruments de l'imagerie cérébrale ou de toutes autres techniques permettant d'observer convenablement le cerveau. Enfin les hypothèses de Stapp ont été récupérées et exploitées par les spiritualistes, d'une façon qui en a détourné les scientifiques ne voulant pas se référer à des concepts philosophiques, moraux ou religieux étrangers selon eux à la démarche scientifique

Face à ces diverses objections ou réserves, le livre de Henry Stapp présenté ici propose une argumentation qui devrait paraître très convaincante à un lecteur qui ne serait ni physicien quantique ni neurologue 7).. Nous n'allons pas ici tenter de résumer un tel travail, malgré répétons-le, le grand intérêt qu'il comporte pour mieux comprendre un sujet difficile mais qui sera de plus en plus pensons-nous d'actualité. Ce résumé nous prendrait trop de temps et d'espace. Pour bien faire, il serait nécessaire non seulement de traduire presque complètement le livre en français mais d'y ajouter nombre de commentaires que malheureusement on ne trouve pas encore sur Internet.

Bornons nous à proposer ici (en simplifiant à l'extrême) quelques points directement en relation avec la question de la conscience, telle qu'elle peut être interprétée, selon Henry Stapp, au regard de la MQ telle qu'il la comprend:

- Le neurone individuel et les relations qu'il entretient, via les synapses, avec ses voisins.

L'ensemble neurone+synapses peut être considéré, pour prendre une formulation qui n'est pas celle de Stapp, comme une machine à produire de l'incertitude. Quand il s'excite, le neurone envoie un signal électrique (potentiel d'action) à travers son axone, vers les dendrites jusqu'à son terminal. Si le signal atteint le bouton terminal, il ouvre de petits canaux, les canaux ioniques, qui transmettent (ou ne transmettent pas) des ions (atomes électriquement chargés) vers les micro-vésicules contenant les neurotransmetteurs. En arrivant à la membrane du bouton terminal, les ions déclenchent (ou ne déclenchent pas) l'ouverture des microvésicules contenant les neurotransmetteurs, lesquels diffusent dans la fente synaptique avant d'être captés – ou de n'être pas captés, par les récepteurs de la membrane postsynaptique du neurone voisin. Cette incertitude générale découle de mécanismes microscopiques ne fonctionnant pas de façon linéaire, mais discontinue (par saut). De plus il s'agit de systèmes biologiques qui n'ont pas la relative fiabilité des composants électroniques. Il s'ensuit que la probabilité de voir un potentiel d'action atteindre le neurone voisin et l'activer ne dépasse pas 50%. En conséquence, l'état du terminal nerveux devient une superposition d'états, ouvert ou fermé, selon que le transmetteur l'a atteint ou non. Chacune des trillions de terminaisons nerveuses dans le cerveau devient elle aussi une superposition d'états.Ces divers éléments devraient en principe être décrits, non de la façon classique utilisée pour analyser les réseaux électiques matériels, mais par des équations de Heisenberg (fonctions d'onde).

- Le cerveau global.

Celui-ci devient à son tour dans ces conditions un immense système de systèmes, massivement parallèles, mais aussi pouvant être générateurs d'actions en retour (feed-back) elles-mêmes massives. Ces systèmes peuvent individuellement, ou en groupes, être décrits, soit de façon classique, déterministe (statistique) , soit de façon quantique, intégrant l'incertitude et la possibilité de résoudre celle-ci par des choix conscients. Le cerveau est aussi un système hautement non-linéaire, constamment à la merci de millions d'évènements ou non- événements (un neurone s'excite ou ne s'excite pas...). Sauf dans des circonstances extrêmes pouvant susciter une réponse coordonnée et déterministe du cerveau, il apparaît lors des états mentaux courants des points de bifurcation dans lesquels une partie du nuage quantique des potentialités ou intentions que représente le cerveau va dans une direction, et une autre partie dans une autre. Aucune raison de fond ne s'opposerait alors à l'hypothèse selon laquelle le choix en faveur de telle ou telle potentialités découlerait de l'intervention des « réalités » constituant des auxiliaires de la conscience. Henri Stapp nomme ces réalités, auxiliaires de la conscience, des modèles pour l'action (templates for actions)

- Les modèles pour l'action et l'effet Zénon quantique.

Il s'agit d'ensembles organisés de neurones qui réagissent aux interactions du corps avec le milieu et qui sont utilisés par le cerveau comme guides pour des actions subséquentes susceptibles d'intervenir en réaction des stimulus d'entrée. Ils ont un rôle important pour la survie, offrant au cerveau des gammes de recettes utilisables dans les circonstances critiques. Ils doivent rester actifs pendant quelques 10 à 100 millisecondes avant d'enclencher l'action correspondante. Il s'agit d'états vibratoires qui demeurent stables sous forme d'oscillateurs harmoniques, au lieu de se dissoudre dans la masse chaotique du cerveau. Les réponses qu'ils commandent relèvent de la levée de l'indétermination quantique, en offrant à la conscience le choix entre Oui et Non. C'est seulement en ce choix que se manifeste le libre-arbitre du sujet.

Si cependant il se produit une rapide séquence soit de Oui répétés, soit de Non, l'effet Zénon quantique évoqué plus haut, conduit à la persistance des états correspondants, ce qui évite leur dissolution dans le bruit provoqué par des états plus passagers du cerveau. Selon Henry Stapp, ce résultat favorable pour le sujet conscient confronté à des forces mécaniques susceptibles de détruire les capacités de son cerveau à réagir aux menaces est le résultat d'une « volonté » d'attention manifestée par ce même sujet. Ainsi ce dernier peut-il, si l'on peut dire, « conserver ses esprits » dans des circonstances qui pourraient le conduire au contraire à les perdre.

Ces quelques exemples, auxquels nous nous limiterons, permettent de mieux préciser la nature de la conscience. Il ne s'agit pas d'une propriété évanescente, venue d'on ne sait où dans le cerveau, et qui pourrait provoquer toutes les sortes d'actions imaginables. Il ne s'agit pas non plus d'éléments neuronaux matériels, ayant leur place précise dans le cerveau. Il s'agit plutôt de faisceaux d'intentions, matérialisées par des assemblées de neurones, susceptibles de provoquer des actions. Leur mode d'intervention relèvent de la simple application de l'équation d'Heisenberg, en ce sens qu'ils lèvent les indéterminations ou incertitudes se produisant au sein des neurones et ensembles de neurones qui ne peuvent être décrits ou localisés de façon mécanique, mais qui sont seulement définis par des fonctions d'onde et réduits par l'observation. .


3. Commentaires

Revenons sur le concept de conscience. Pour le préciser, il faut rappeler que l'humain qui pose la question « qu'est-ce que la conscience » le fait « en conscience ». Autrement dit, d'une certaine façon, c'est le phénomène de la conscience qui est appelé à se juger lui-même. Pour échapper au risque de cercle vicieux, on peut aujourd'hui simuler la conscience sur un système informatique, comme le fait Alain Cardon. Il obtient une « conscience artificielle » à partir de laquelle on peut tenter de se représenter ce qui se passe au niveau de l'individu humain conscient.Sans construire une véritable conscience artificielle, aussi performante que celle d'un humain (ce qui supposerait d'importants budgets de développement) on peut utiliser les analogies suggérées par ce modèle pour évaluer les phénomènes cognitifs associés à la conscience humaine.

Que peut-on dire de la conscience et des éventuels processus inspirés des modèles de la physique quantique qu'elle utiliserait?

L'humain est doté d'un cerveau. Celui-ci construit systématiquement des représentations du monde dans lequel il opère, à partir des données sensorielles qu'il recueille. Certaines de ces représentations sont éphémères. D'autres, lorsqu'elles sont confirmées par plusieurs expériences concordantes, sont mémorisées dans le cerveau et peuvent être réutilisées pour valider de nouvelles entrées sensorielles. Ce processus qui est permanent se déroule le plus souvent de façon inconsciente. Il n'y a pas de raison de penser qu'il soit propre à l'homme. Tous les êtres vivants dotés d'un minimum de centralisation des informations recueillies lors de leur interaction avec leur environnement disposent de facultés de même nature, avec des propriétés et des performances différentes. C'est l'évolution qui a permis de sélectionner de telles propriétés, dans la mesure où elles contribuent à la survie.

Les informations sur le monde recueillies par les organes des sens et mémorisées puis réutilisées par le cerveau prennent la forme d'états spécifiques de celui-ci. Ce sont des neurones ou des assemblées de neurones qui expriment ces états et qui, dans la plupart des cas, les matérialisent au niveau du cerveau sous forme de relations durables (intersynaptiques ou chimiques) entre neurones. Il est donc important que le neurologue (ou si l'on préfère, son cerveau conscient), utilisant tous les moyens que lui permet la science, se représente de façon opérationnelle comment s'exerce cette fonction essentielle du cerveau.

L'organisme vivant ne cherche à se représenter le monde que dans la limite des outils naturels dont il dispose. Ainsi son cerveau ne conserve en mémoire que ce qu'il a expérimenté par ses sens et qui s'est révélé pertinent à l'usage. Les connaissances acquises sur le monde sont généralement floues. Un oiseau pêcheur sait globalement, par expérience, qu'il existe dans tel étang (qu'il ne nomme évidemment pas par ce nom) tels poissons (qu'il ne nomme évidemment pas par ce nom) dont il peut se nourrir. Son cerveau dispose cependant de processus rudimentaires lui permettant de ne pas explorer l'étang au hasard, c'est-à-dire de ne pas mourir de faim en cas d'erreurs répétées. Il sait faire des hypothèses approximatives lui permettant de situer le poisson dans les trois dimensions x,y,z et dans le temps t. Il peut également estimer la vitesse et la direction de son déplacement dans cet espace théorique. Mais ceci fait, et toujours pour ne pas mourir de faim, il procède à ce que l'on pourrait appeler un lever de doute. Il plonge là où il avait estimé que se trouvait le poisson. En cas de succès (on lira à cette occasion le petit livre toujours actuel de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, le Cantique des Quantiques), le poisson cesse d'être une hypothèse nécessairement floue pour devenir une « réalité en dur » analogue à lui-même, et dont il peut se nourrir.

Pendant des millénaires, les humains ont, comme l'oiseau pécheur décrit ci-dessus, utilisé des représentations floues du monde, faute d'instruments et méthodes fiables pour préciser la localisation et le mouvement des entités qui les intéressaient. Beaucoup de ces représentations faisaient appel aux enseignements des religions, qui produisaient généralement plus de flous que les méthodes empiriques pré-scientifiques qu'ils utilisaient par ailleurs. La généralisation des sciences exactes a permis, à partir de l'ère des Lumières, dont on reconnaît généralement que Newton fut le père, d'utiliser des méthodes précises pour cartographier le monde. Tout permet de penser que les cerveaux de ces scientifiques disposent dorénavant, sous la forme de procédures inscrites dans les neurones, des outils mentaux leur permettant d'évaluer de cette façon objective, scientifique, aussi certaine que possible, une grande partie des entités perçues par leur sens. Dans le même temps d'ailleurs, ces cerveaux continuent à recourir aux anciennes approximations (souvent même lorsque leurs possesseurs pensent adopter une démarche scientifique).

Avec l'arrivée, au début du 20e siècle, de nouveaux instruments techniques, permettant de mieux étudier des phénomènes complexes, tels que les ondes radioélectriques ou lumineuses, les scientifiques ont découvert que les méthodes des sciences exactes dont se félicitait la nouvelle rationalité scientifique ne donnait pas toujours de bons résultat. En particulier quand il s'agissait d'étudier les entités microscopiques dont traitaient ces nouvelles sciences, atomes, électrons, photons. Tenter d'observer individuellement une de ces particules en utilisant les coordonnées de la physique conventionnelle, en lieu, temps et mouvement, pouvait dans certains cas donner de bons résultats, mais dans d'autres des résultats aberrants.

Ce fut le génie des premiers physiciens quantiques de proposer des méthodes de représentation susceptibles d'être, comme l'ont montré les progrès foudroyants de la physique par la suite, beaucoup plus systématiquement efficaces. On admet aujourd'hui qu'une particule individuelle ne peut être représentée que par l'équation de Heisenberg dite fonction d'onde, mentionnée plushaut. Celle-ci définit une aire d'incertitude au sein de laquelle il y a les plus grandes probabilités de trouver un phénomène se présentant aussi bien comme une onde que comme une particule. Mais lorsqu'une mesure instrumentale permet au cerveau d'un scientifique d'observer quelque chose qui ressemble à un objet matériel, il ne s'agit si l'on peut dire que de l'un des aspect de l'objet microscopique qui se matérialise, sous la forme soit d'une onde soit d'une particule.

Pour que l'oiseau pêcheur, en attrapant le poisson, lève l'incertitude concernant l'état de celui-ci, jusqu'alors localisé par lui dans tout le volume de l'étang, son cerveau a mis en oeuvre des procédures mémorisées par des assemblées de neurones. Ces procédure devraient en bonne logique être très semblables à celles mises en oeuvre par le cerveau d'un scientifique qui résout la fonction d'onde d'une particule en l'observant. L'oiseau n'a pas semble-t-il de conscience évoluée semblable à celle de l'homme. Mais s'il disposait de quelques fonctions comparables, il ne se poserait sans doute pas de question philosophique sur le processus cérébral l'ayant conduit à décider de plonger dans un lieu et à moment qui offraient les plus grandes probabilités de trouver un poisson. Tout ceci, y compris la prise de décision, relève de mécanismes depuis longtemps inscrits dans le génome de l'espèce, lui permettant de survivre grâce à la pêche.

Notons en passant que le même cerveau de l'oiseau dispose de mécanismes lui permettant de décrire un poisson comme un aliment potentiel, et non comme une ombre ou un morceau de bois flottant entre deux eaux. Il n'a pas besoin d'aller au delà, en s'interrogeant par exemple sur la nature profonde invisible du poisson, tel l'ordonnancement des molécules biologiques constitutives de celui-ci. De même le physicien quantique praticien ne demande pas en général ce qu'il y a « derrière » les entités mesurées par lui.

Aussi, lorsque l'on étudie, en s'appuyant sur notre exemple de l'oiseau et du poisson, le processus décrit par les premiers physiciens quantiques comme nécessitant l'intervention de la conscience de l'observateur dans la résolution de la fonction d'onde décrivant un observable microscopique, on ne devrait pas se poser de question philosophico-métaphysique. Il suffirait de remplacer le terme de conscience par celui de cerveau, et plus précisément par celui de processus neuronaux inscrits depuis des millénaires dans l'hérédité cérébrale d'un certain nombre d'animaux et d'humains. Le fait qu'en ce qui concerne l'homme, ces processus basiques s'accompagnent de divers corollaires relevant de l'affectif individuel ou collectif, telles les valeurs, ne devrait pas modifier profondément l'approche du problème. Il s'agit d'une dimension supplémentaire du cerveau (brain) que l'on associe généralement au concept quelque peu évanescent d'esprit (mind). Pour le neurologue, lorsque les instruments d'exploration cérébrale le permettront, il sera possible de retrouver dans le cerveau les assemblées plus ou moins permanentes de neurones correspondant à ces valeurs dites spirituelles.

De la même façon, l'on devrait pouvoir retrouver les assemblées de neurones correspondant à ce que le cerveau observe de son propre fonctionnement quand il s'interroge sur lui-même. Les modèles de conscience artificielle montre que certains agents dédiés à cette fonction (que Alain Cardon a nommé des agents aspectuels) observent en permanence le fonctionnement du cerveau et plus globalement celui du corps artificiel en situation. S'il s'agit d'agents artificiels, on parlera alors de la production d'une conscience artificielle. S'il s'agit d'agents neuronaux, on parlera d'une conscience réfléchie telle qu'elle est entendue en général. La conscience artificielle n'a d'intérêt pour le sujet artificiel, tel un robot, que si elle enclenche des processus décisionnels utiles à sa survie (par exemple ne pas tomber dans un fossé dont il ne pourrait ressortir).

Il en est de même de la conscience réfléchie humaine. Si le mécanisme correspondant s'est inscrit dans l'hérédité de l'espèce et se trouve hautement valorisé par les individus, c'est parce qu'il permet un recul dans la prise de décision dont les animaux plus spontanés ne disposent pas. Ne pas reconnaître ce rôle de la conscience en prétendant, comme le font les béhavioristes, que ce mécanisme est soit un mythe, soit un épiphénomène, n'a pas de sens. D'ailleurs, chacun d'entre nous, aussi matérialiste et déterministe-simpliste qu'il soit, s'y refuse spontanément.

Faut-il pour autant ressortir la vieille querelle du dualisme et du monisme, opposant l'esprit et la matière? Sans doute pas, même lorsque ce dualisme reste strictement athée, c'est-à-dire ne fait pas appel à un esprit extérieur au monde matériel. Il suffit seulement de distinguer, si la finesse de l'analyse l'exige, les parties du cerveau, autrement dit les assemblées de neurones, qui interviennent dans les décisions immédiates, sans consulter l'image globale que le sujet se fait de ses valeurs ou de lui-même et celles qui ne déclenchent de décisions qu'après consultations d'un certain nombre de mémoires internes ou d'informations externes s'étant révélées utiles à la survie.

Questions de méthodes

Si l'on admet ce qui précède, que dire de la recherche aujourd'hui conduite par un nombre croissant de biologistes associés à des physiciens, relatifs à l'existence de processus quantiques s'exerçant dans le vivant, que ce soit dans le cerveau ou ailleurs? Plusieurs questions sont généralement posées à cet égard

- Faut-il utiliser le calcul quantique pour analyser et comprendre des processus cérébraux? Doit on considérer par exemple telle particule identifiée dans le neurone (un ion CA circulant dans un canal ionique...), tel neurone ou ensemble de neurones, voire le cerveau tout entier, comme des entités quantiques justifiant d'être observées comme telles, ou peut-on se limiter aux techniques d'analyses utilisées pour comprendre le fonctionnement d'un ensemble matériel, fut-il complexe, tel un ordinateur? Il semble que les méthodes statistiques et probabilistes utilisées dans la compréhension des systèmes complexes, qu'ils soient matériels (réseaux de télécommunications) ou numériques (Internet), devraient suffire. Si l'on évoque dans certains cas des phénomènes de superposition d'états ou d'indétermination, ce sera seulement par un abus de langage. Ces termes cachent notre méconnaissance fine du phénomène biologique. Utiliser à leur sujet l'équation de Heisenberg paraîtrait inapproprié. Celle-ci s'applique à des entités qui sont en elles-mêmes indescriptibles par le langage courant, quel que soit le soin que l'on mette à tenter de les préciser.

- Une question plus profonde, qui semble dans l'ensemble inspirer le travail de Henry Stapp présenté ici, comme elle inspire d'autres recherches évoquées plus haut, consiste à se demander si dans certains cas la cellule vivante ne se comporte pas comme une sorte d'ordinateur quantique. En d'autres termes, dans certaines conditions, des éléments d'origine biologique, tels les ions précités, ou des atomes entiers, pourraient être émis en état de superposition d'état par la cellule vivante, puis conservés à l'abri de la décohérence par l'environnement biologique, le temps nécessaire (quelques centièmes de seconde sans doute) pour qu'ils puissent accomplir des opérations quasi simultanées impossibles sur un mode séquentiel traditionnel.

Il pourrait s'agir, pour simplifier, de « consulter » un certain nombre de sites cellulaires avant de se matérialiser par décohérence dans celui où l'insertion de la particule considérée représenterait le plus d'avantages pour la survie du sujet. Dans ce cas, on pourrait admettre que certaines parties du cerveau ou du corps se seraient spécialisés pour jouer le rôle de l'observateur et de sa conscience dans la physique quantique: provoquer à un moment adéquat la réduction de la fonction d'onde de l'entité momentanément quantique mise en circulation par l'organisme. On répondra aux hypothèses de ce type qu'elles sont tout à fait vraisemblables. Les mécanismes décrits doivent même probablement avoir été et demeurer bien plus nombreux qu'il n'est envisagé aujourd'hui. La principale difficulté à résoudre ne serait pas théorique, mais expérimentale.

Resterait cependant à comprendre par quels mécanismes des éléments biologiques pourraient émettre l'équivalent de q.bits. S'agirait-il d'une survivance du passé ou d'une propriété toujours actuelle? Est-elle répandue ou exceptionnelle?.Si elle est répandue, pourquoi ne l'a-t-on pas observée plus souvent?
Pour mettre tout ceci en évidence, des instruments bien plus fins et précis que ceux aujourd'hui à la disposition des chercheurs s'imposent. Nous pensons pour notre part qu'il existe un grand avenir pour de telles recherches. Elles pourraient répondre à des questions aujourd'hui apparemment insolubles, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du cerveau en relation avec le corps et avec le monde extérieur.

Ajoutons que rien en principe n'empêcherait les concepteurs de robots évolutionnaires dotés de conscience artificielle d'imaginer des dispositifs faisant appel à des calculs quantiques qui soient implémentables dans de tels robots. C'est en fait pratiquement ce que font à petite échelle les chercheurs en calcul quantique. La difficulté rencontrée est de maintenir en état de cohérence, le temps suffisant, un nombre suffisants de bits quantiques ou qbits.

- Demeure une troisième perspective, qui pour le moment relève encore un peu de la science fiction. Il est admis en général que des particules échappant aux contraintes étroites de notre espace-temps circulent dans le cosmos: particules connues tels les rayons cosmiques ou d'autres mal connues ou hypothétiques, les neutrinos, les Wimps... Pourrait-on imaginer que certaines de celles-ci interagissent, d'une façon susceptible de produire des effets biologiques inconnus, avec les atomes et molécules des organismes vivants, notamment dans le cas où ceux-ci se trouvant en état de superposition quantique pourraient être sensibles à des interactions encore ignorées, mais susceptibles d'entraîner des effets bénéfiques pour l'adaptation et la survie des organismes. Poser la question, on le devine sans peine, n'est pas la résoudre.

Notes
1) Cf notre article: Avancées récentes en biologie quantique http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/bioquantique.htm
2) L'effet Zénon quantique. Wikipedia Voir wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Quantum_Zeno_effect
3) Mac Fadden, Interview http://www.automatesintelligents.com/interviews/2002/mai/mcfadden.html
4)Sur Henry Stapp, voir Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Stapp.

5) Sur Gazzaniga Voir http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/sept/human.html
6) Sur Daniel Dennett, voir http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2000/nov/D_Dennett.html
7) Il s'agit cependant d'un ouvrage que nous n'encouragerions pas un lecteur même cultivé à aborder sans préparations. C'est dommage car il résume manifestement le travail de toute une vie de réflexion. D'une part, outre que le livre est écrit dans un anglais technique difficile à traduire, il est, sous une apparence de simplicité, inutilement abstrait. L'auteur ne fournit jamais les exemples simples qui permettraient d'illustrer son propos. C'est au lecteur d'essayer de les imaginer, au risque de se tromper. D'autre part, l'ouvrage est mal composé, constitué d'une suite de chapitres ou même d''articles qui dispersent en permanence la nécessaire attention que le lecteur doit apporter à un fil conducteur déjà difficile à suivre.

 

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 17:39

 De la physique quantique à l'ensemble des processus de construction des connaissances
Jean-Paul Baquiast 19/11/2011

 

Ce texte introduira une collection de titres destinés à promouvoir la méthode de conceptualisation relativisée. Pour en savoir plus sur cette dernière, voir :
Mioara Mugur-Schächter, " L'infra-mécanique quantique " Ouvrage au format.pdf accessible en téléchargement gratuit http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/115/IMQ.pdf

 

 

 

Résumé

 


Depuis plus d'un siècle s'exerce une critique politique du langage. Il s'agit de montrer que derrière l'apparente neutralité des mots et des syntaxes les pouvoirs dominants se sont toujours efforcés de soumettre les consciences à des représentations du monde servant leurs intérêts. Aujourd'hui, ce décryptage est relativement facile à faire concernant la vie quotidienne. Chacun peut comprendre qu'un terme comme « rigueur » prend des acceptions différentes dans un discours de droite ou un discours de gauche. Mais le décryptage est bien plus difficile concernant les sciences. Les affrontements politiques se dissimulent sous des discours académiques n'encourageant pas la remise en cause. Pourtant, dorénavant, les enjeux économiques et géostratégiques des sciences sont tels que le discours d'autorité y est de moins en moins recevable. Les scientifiques eux-mêmes semblent commencer à le comprendre.

 

 

 

De nouvelles méthodes de construction des concepts ou des lois supposées les relier s'imposent donc. Il faut renoncer à décrire une prétendue Réalité existant en soi, que la science se bornerait à tenter de dévoiler. Il faut admettre que la science, s'appuyant sur les capacités cérébrales et les instruments des scientifiques tels qu'ils sont à une époque donnée, construit une réalité relative. Cette réalité relative doit pouvoir être constamment remise en cause compte tenu de l'évolution des cerveaux et des outils. Mais pour demeurer dans le domaine de la science et ne pas ouvrir la voie à toutes les dérives des pseudo-sciences, dénoncées par le terme de relativisme, cette remise en cause devrait pouvoir se faire dans le cadre d'une méthode ayant fait l'objet d'un consensus suffisant. Aujourd'hui, la physique quantique, dont les réussites technologiques sont généralement reconnues, utilise une telle méthode. Mais elle le fait implicitement et d'une façon qui n'est pas facilement exportable dans les autres domaines de connaissances. La méthode de conceptualisation relativisée (MCR) définie par Mme Mugur-Schaechter, propose d'une part de décrypter les processus de construction de concepts dans le domaine de la physique quantique et d'autre part d'étendre ces processus à tous les autres domaines de recherches.

 

 

 

Ce travail de reconstruction pourra toucher le langage quotidien lui-même. Il fera apparaître la façon dont l'abus de l'argument d'autorité dans la définition des entités de la vie courante dissimule des prises de pouvoirs jusque là cryptées. Cette dissimulation est dorénavant incompatibles avec les exigences de démocratie devant être celles de sociétés comme les nôtres, héritières directes de l'époque des Lumières.

 

 

 

____________________________________

 

 

 

Le langage s'est développé à partir des échanges de signes symboliques assurant la survie du groupe au sein des espèces animales. Celui qui émet un cri spécifique à la vue d'un prédateur, cri reconnu comme alerte à l'usage, met en garde rapidement l'ensemble du groupe. Mais de ce fait il acquiert un certain pouvoir, si bien que ce sont généralement les individus dominants qui deviennent les détenteurs du proto-langage. Tous les autres doivent s'y soumettre. Des millions d'années après l'apparition des premiers échanges symboliques au sein des sociétés animales, on constate que chez les humains, de la même façon, le droit à nommer les choses a été usucapé par les chefs religieux, militaires et politiques. Les concepts et leur organisation en phrases signifiantes ont été élaborés sous le contrôle de minorités oligarchiques. Les populations n'avaient d'autre choix que de les reprendre à leur compte, autrement dit de penser et agir en conformité avec les intérêts de ces oligarchies.

 

 

 

Bien évidemment, avec le développement et la démocratisation de la culture, des critiques ont été formulées très tôt contre le pouvoir des contenus cognitifs imposés par les dominants à travers le langage. Ainsi, dans le domaine de la morale, les philosophes ont montré que derrière des termes comme le Bien et le Mal, des pouvoirs religieux ou politiques puissants s'efforçaient d'imposer une vision des rapports sociaux la plus conforme à la pérennisation de leurs intérêts. Le Bien et le Mal n'existent pas de façon absolu, avec des Majuscules, contrairement à ce que prétendent ceux qui veulent en faire des armes d'assujettissement. Leur contenu, dans une société se voulant démocratique, devrait être défini et redéfini en permanence dans le cadre de ce que l'on pourrait nommer en utilisant un terme moderne des conférences de consensus.

 

 

 

Il devrait en être de même en science. Les concepts scientifiques, même résultant d'une démarche se voulant aussi objective et expérimentale que possible, c'est-à-dire refusant tout argument d'autorité a priori, sont produits et en tous cas utilisés par des groupes d'intérêts dominants. Ceux-ci, délibérément ou non, veulent les ériger en vérités absolues afin de soustraire à la critique les rapports de force dont ils bénéficient et que ces concepts tendent à pérenniser. Cette prise de pouvoir implicite, parfois dénoncée comme une véritable dictature, a toujours existé. Mais elle n'est pas toujours évidente aux yeux des populations, dans la mesure où beaucoup de domaines de connaissances restent encore ésotériques. Les conflits de pouvoir qui se manifestent, à propos du sens à donner à des expressions aujourd'hui largement répandues, telles que « gène », « autisme », « climat » ou « intelligence », ne sont pas encore perçus par le grand public ni même parfois par les scientifiques directement intéressés.

 

 

 

Le rejet contemporain des pseudo-sciences économiques

 

 

 

Aujourd'hui cependant, avec la diffusion d'une crise économique touchant le monde entier, les mots par lesquels les « experts » mandatés par les oligarchies responsables de cette crise veulent la définir, sont de plus en plus rejetés. Si le terme de « croissance » signifie « exploitation sans limites des écosystèmes », si celui de « réforme » signifie « privatisation progressive des services publics d'intérêt général », si celui de « libéralisme économique » signifie « capitulation des Etats devant les entreprises transnationales monopolistiques », le grand public, directement touché par les politiques correspondantes, se rebelle. Les plus modérés veulent au moins obtenir le droit de discuter les fondements théoriques des sacrifices qui leur sont imposés. Autrement dit, ces « Indignés » veulent remettre en cause le contenu des concepts d'une science économique ainsi détournée de la neutralité et de l'objectivité qu'elle prétendait avoir.

 

 

 

Mais ce mouvement de révolte, en train de se généraliser dans le domaine de l'économie politique et des sciences humaines en général, ouvre les yeux de beaucoup de praticiens ou théoriciens des sciences et des techniques, dans tous les autres domaines de celles-ci. Partout, il apparaît que les concepts et plus généralement les corpus de connaissances ont rarement été produits avec la volonté d'en relativiser les résultats afin de maintenir ouvert le débat critique qui est le cœur de la pratique expérimentale. Des résultats expérimentaux provisoires sont généralement érigés en vérités absolues. On affirme en conséquence que la poursuite des expérimentations, l'élargissement des recherches, ne s'imposent plus. Les premiers résultats sont d'emblée présentés comme décrivant un Réel objectif, pour des raisons n'ayant pas grand chose à voir avec l'objectivité scientifique prétendue. Il s'agit le plus souvent de défendre des intérêts géopolitique ou industriels - ceux notamment des pouvoirs qui financent la recherche. Dans les cas les moins nocifs, la critique des concepts et des méthodes est refusée par des instances académiques mandarinales qui voudraient échapper à une remise en question imposée par les jeunes générations.

 

 

 

A l'époque actuelle, caractérisée par la raréfaction des ressources face à des populations en croissance démographique manifestement excessive, il devient vital de faire appel aux potentiels de créativité scientifique et technique abondamment produits par ce que l'on nomme parfois le capital cognitif en réseau. Or ces potentiels sont maintenus en état de sous-emploi ou de chômage en grande partie du fait des « Vérités objectives » que les forces conservatrices s'affirment seules à détenir. La critique scientifique de ces « Vérités » devient donc une nécessité vitale pour des sociétés en danger de disparition, ceci pour débloquer les interdits doctrinaux et ouvrir de nouveaux champs de recherche.

 

 

 

Dans le cas des exemples précédemment cités, il devient ainsi vital de montrer qu'une acception figée des concepts de gène, autisme, climat, intelligence, condamnerait à la stérilité des recherches dans des domaines stratégiques essentiels, tels que les biotechnologies, les neurosciences évolutionnaires, la lutte contre le réchauffement climatique ou l'intelligence artificielle. Ceci ne veut pas dire que ces nouvelles recherches devraient à leur tour produire des résultats qu'il faudrait accepter passivement, comme le prétendent les mouvements d'activistes se proclamant anti-sciences. Cela voudrait seulement dire que les contenus cognitifs pourraient recommencer à évoluer au même rythme que les autres éléments constitutifs du monde contemporain.

 

 

 

Associer relativisme et constructivisme

 

 

 

Pour critiquer des Vérités dites objectives présentées comme absolues, il faut faire montre à la fois de relativisme et de constructivisme. Le relativisme vise à monter que ces vérités étaient liées à une époque et à des intérêts qui ont changé. Le constructivisme vise à monter par quoi et comment remplacer le tout, en restant fidèle aux grands principes de la science expérimentale. Pour cela il faut disposer d'une méthode scientifico-philosophique (une épistémologie) qui respecte strictement ces grands principes. Sinon, le terrain se libère pour les innombrables pseudo-sciences ou religions qui prétendent expliquer le monde en dehors de toute référence scientifique intersubjective.

 

 

 

Il se trouve que la mécanique quantique, convenablement interprétée, fournit les outils nécessaires pour ce faire. Depuis presqu'un siècle maintenant, elle s'est efforcée, avec le succès que l'on sait, de montrer que les concepts de la physique ordinaire, tels que ceux d'onde, particule, principe d'identité, ne suffisaient pas à rendre compte des observations continuellement rendues possibles par le progrès continu des techniques de laboratoire. Il fallait donc les remettre en cause. Cette remise en cause s'est étendue de facto à la cosmologie puisque celle-ci traite de ces mêmes concepts à l'échelle de l'univers tout entier. Mais elle n'a pas encore pénétré les autres disciplines scientifiques, ou un réalisme primaire demeure encore le postulat dominant à partir duquel s'articulent - ou plutôt s'enferment - les nouvelles recherches.

 

 

 

Aujourd'hui cependant la méthode de conceptualisation relativisée (MCR) définie par Mme Mugur-Schaechter, propose d'une part de décrypter les processus de construction de concepts dans le domaine de la physique quantique et d'autre part d'étendre ces processus à tous les autres domaines de recherches. Mais pour convaincre les opinions de l'intérêt d'une telle démarche, il faut procéder à un double effort de communication:

 

  • faire comprendre avec des mots usuels en quoi consiste cette méthode et comment elle pourrait être appliquée aux autres domaines de connaissance.

  • montrer par des exemples concrets que de telles applications sont, non seulement déjà possibles mais en cours. On s'efforcera d'illustrer les bénéfices de tous ordres pouvant en résulter, y compris en termes de démocratisation du processus de construction des langages et des pratiques en découlant.

 

 

C'est un tel objectif que se donne la présente collection.

 

 

 

 

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 21:52

Avancées récentes en biologie quantique
Jean-Paul Baquiast 01/11/2011

 

Sources:
- Michael Brooks. Quantum Life, the weirdness inside us http://www.newscientist.com/article/mg21128321.500-quantum-life-the-weirdness-inside-us.html?full=true#bx283215B1; Nous en avons adapté ici certains passages.
- Voir aussi Automates Intelligents. Du côté des labos. Processus quantiques interagissant avec des organismes biologiques http://www.automatesintelligents.com/labo/2009/jan/algueverte.html

 

Nous avons indiqué dans un article précédent (Comment les cerveaux se représent-ils le monde (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/121/mcrbis.htm) qu'un nouveau courant de recherche, dit « quantum interaction » était apparu, visant à mettre en évidence dans le fonctionnement du cerveau cognitif des processus proches du formalisme utilisé par les physiciens quantiques pour traduire le résultat de leurs observations.

Convenons d'appeler cerveau cognitif celui qui interprète les messages des sens afin d'en extraire des représentations du monde extérieur. Ces représentations servent de base à des prescriptions destinées à guider les comportements. Elles permettent aux individus de s'adapter au monde, par exemple en détectant des patterns ou constantes utiles à la survie (tel fruit est indigeste et donc être évité, tel animal est un prédateur qu'il faut fuir...). Elles sont utilisées à tous moments, soit sur le mode inconscient soit dans le cadre de mécanismes décisionnels plus complexes liés à ce que l'on nomme la conscience supérieure. Elles sont ensuite, en cas de succès, transmises et retraitées au niveau de la société. Il en résulte des règles sociales faisant l'objet d'une mise à l'épreuve et d'un sélection au regard de leur efficacité pour la survie collective.

Ces processus sont inhérents à toutes les espèces animales. Chez l'homme, le développement du cerveau cognitif leur a donné un rôle essentiel dans la construction du langage et des connaissances verbalisées. Or le courant de recherche se rattachant à la quantum interaction montre que le raisonnement utilisé par le cerveau est plus proche des méthodes de la logique quantique que de celles de la logique mathématique employée par les sciences macroscopiques. Il fait systématiquement appel à la façon dont les physiciens quantiques se représentent les entités quantiques: principe de superposition d'état et création d'interférences, intrication, représentation probabiliste (fonction d'onde), intervention de l'observateur (décohérence), etc.

Il serait donc réducteur de considérer que seuls les postulats de la logique classique et plus généralement de la logique quotidienne dite rationnelle — par exemple le principe d'identité: A est A et ne peut être non-A, une proposition ne peut à la fois être "vraie" ou "fausse" — sont les seuls acceptables. Cela ne devrait pas surprendre le bon sens. Chacun d'entre nous reconnaît qu'il raisonne spontanément d'une façon confuse, alambiquée, contradictoire – ce qui souvent n'empêche pas d'obtenir des résultats aussi pertinents que ceux découlant de raisonnements logiques ou mathématiques négligeant la complexité de monde observé.

La proximité du raisonnement spontané ou empirique avec la logique quantique, comme nous l'indiquions dans l'article, n'aurait rien d'étonnant, puisque nous sommes de facto immergés dans le monde quantique d'une façon qui, en principe, devrait influencer chacun des atomes qui nous constituent. Il serait donc logique que nos organes sensoriels ou notre cerveau soient le siège d'interférence avec des entités quantiques d'une façon qui contribuerait à la construction de leurs représentations du monde. Mais il ne suffit pas de le supposer. Il faudrait mettre en évidence les domaines où une telle influence se ferait sentir.

Le programme de recherche correspondant rencontre des difficultés considérables. Elles tiennent à la non-compatibilité des deux mondes, le microscopique et le macroscopique, rendant les expérimentations très difficiles. En simplifiant, nous dirions que le monde quantique s'exprime à notre niveau par ce que le calcul quantique appelle des q.bits ou bits quantiques. Certains mathématiciens doutent de la pertinence d'un tel concept. Cependant, pour la grande majorité des physiciens, Il s'agit de particules qui ne conservent leurs propriétés (superposition d'états. intrication) que si elles n'interfèrent pas avec des atomes du monde macroscopique. Cette interférence provoque leur « décohérence », ce qui « réduit leur fonction d'onde » et les transforme en particules du monde macroscopique. Elles se comportent alors comme toute particule ordinaire dans le monde de la physique et de la chimie quotidienne.

Or pour montrer leur influence sur les entités du monde macroscopique, une cellule vivante, un neurone, par exemple, il faudrait en principe saisir le moment très fugitif où elles interagissent avec cette entité avant d'être victime de décohérence. Jusqu'à présent, dans les projets de calculateurs quantiques, les physiciens n'ont réussi à manipuler qu'un très petit nombre de particules quantiques, maintenues en état de superposition grâce à des conditions rigoureuses: isolement magnétique, température proche du zéro absolu, et ce dans de courtes fractions de seconde. ..
.

Précisons que nous évoquons ici l'influence d'un bit quantique isolé et maintenu en état de superposition. Les physiciens savent depuis longtemps mesurer et utiliser les effets sur la matière vivante de flux de particules quantiques, par exemple ceux des rayons cosmiques. Mais ils se placent alors au plan statistique des grands nombres, qui est celui de la physique et de la biologie macroscopiques. Il ne s'agit plus de bits quantiques isolés, mais pourrait-on dire de champs.

Recherches récentes en biologie quantique

Quelles que soient les difficultés de telles recherches sur les bits quantiques, elles se développent rapidement aujourd'hui. Moins dans le domaine des calculateurs quantiques, qui semblent ne plus guère progresser, mais dans le domaine de la biologie. Elles semblent pouvoir expliquer ce que les biologistes considèrent depuis longtemps comme de véritables mystères.

Un des domaines explorés est celui de l'odorat. L'article cité de Michael Brooks mentionne les recherches de la chercheuse Jennifer Brookes de Harvard (http://wordpress.jenniferbrookes.org/), consacrées au sens de l'odorat ou olfaction. Elle montre l'inadéquation des hypothèses traditionnelles expliquant comment les molécules chimiques provenant du monde extérieur déclenchent des réponses adaptées des cellules olfactives, afin de permettre aux individus de discriminer entre les odeurs. Selon ces hypothèses traditionnelles, les récepteurs olfactifs fonctionnent comme des serrures qui ne s'ouvrent que confrontées à la bonne clef. Celle-ci correspondrait à la forme particulière de chaque molécule. Il y aurait ainsi environ 400 récepteurs olfactifs différents, pouvant en principe identifier un même nombre de molécules différentes. Mais l'humain serait capable de distinguer environ 100.000 odeurs différentes. Le chien reconnaît, avec il est vrai un tissu olfactif bien plus développé, un nombre encore plus grand de molécules odorifères.

Ce résultat, selon les hypothèses traditionnelles, résulte du travail de construction du cerveau, au niveau des aires du cortex olfactif. Le cerveau a subi des évolutions qui lui permettent de reconstruire des objets complexes à partir d'une ou plusieurs entrées sensorielles différentes, éventuellement contradictoires. Le même travail, a plus grande échelle, est accompli chez l'homme par le cortex visuel. Cependant, dans le cas de l'odorat, la discrimination presque instantanée entre des milliers d'odeurs supposerait un cerveau extraordinairement performant. Une autre hypothèse ne s'impose-t-elle pas? En 1996, le biophysicien Luca Turin a suggéré que l'effet tunnel pouvait expliquer les performances du cerveau, que ce soit au niveau du cortex olfactif ou du cortex associatif. Très utilisé en électronique aujourd'hui, l'effet tunnel résulte du fait que, conformément aux principes de la mécanique quantique, quand un électron est confiné dans un atome, il possède une grande étendue d'énergies possibles. Il existe donc une certaine probabilité pour qu'il franchisse la barrière d'énergie qui devrait normalement lui interdire de s'échapper de l'atome.

L'hypothèse de Turin est que, lorsqu'une molécule odorante est logée dans un récepteur, un électron peut s'en échapper et traverser la molécule de part en part, provoquant à sa sortie une cascade de signaux que le cerveau interprète comme une odeur. Ceci ne peut se produire que s'il existe une correspondance exact entre le niveau d'énergie quantifiée de l'électron et la fréquence vibratoire naturelle de la molécule odorante. Ainsi une sensation d'odeur peut être générée sans que la molécule n'ait, telle une clef dans une serrure, à correspondre exactement à la configuration du récepteur olfactif.

Cette hypothèse a été récemment démontrée dans le cadre d'une série d'expériences que nous ne détaillerons pas ici (Voir Physical Review Letters http://prl.aps.org/abstract/PRL/v98/i3/e038101 ainsi que Proceedings of the National Academy of Sciences http://www.pnas.org/content/early/2011/02/08/1012293108.abstract . Elles tendent à prouver que sans l'effet tunnel et donc sans recours à la physique quantique, divers cas particuliers de discrimination entre odeurs, observables tant chez l'homme que chez une certaine espèce de mouche, ne seraient pas explicables.

D'autres processus biologiques semblent tout aussi inexplicables à moins de faire appel aux propositions de la mécanique quantique. C'est le cas de la production d'adénosine triphosphate (ATP) dans les mitochondries cellulaires. L'ATP est la molécule qui, dans la biochimie de tous les organismes vivants connus, fournit par hydrolyse l'énergie nécessaire aux réactions chimiques du métabolisme. Sans elle la vie n'existerait pas sous ses formes actuelles. Les stocks d'ATP de l'organisme ne dépassent pas quelques secondes de consommation. Elle doit donc être renouvelée très rapidement. Elle est produite en permanence à partir des molécules de créatine. La créatine recycle le phosphate libéré par hydrolyse de la molécule d'ATP originale. Ceci permet de conserver une énergie aussi facilement mobilisable que l'ATP, sans pour autant épuiser les réserves d'ATP. Mais le cycle de renouvellement doit être très rapide. Or le calcul a montré que cette rapidité, indispensable à la vie, ne se produirait pas dans les conditions de la chimie ordinaire. Il semble, selon une hypothèse présentée par le physicien Vlatko Vedral, de l'Université d'Oxford, que la rapidité du cycle découle de l'état de superposition des électrons impliqués dans le processus. Ceux-ci peuvent se trouver sur plusieurs sites à la fois, accélérant ainsi le processus de production de l'ATP.

L'intervention d'électrons se comportant comme de véritables bit quantiques dans la production de l'ATP n'est pas encore prouvée sans discussion. Mais elle est de plus en plus considérée comme probable, d'autant plus qu'il ne s'agirait pas du seul cas où de tels bits quantiques joueraient un rôle dans des mécanismes fondamentaux pour le développement de la vie. Dans notre article cité en exergue, nous avions présenté les hypothèses proposées par Graham Fleming de l'Université de Berkeley. En étudiant le cycle de la photosynthèse dans la bactérie sulfureuse marine Chlorobium tepidum, il avait détecté des signaux caractéristique d'interférences quantiques au sein des centres responsables de la photosynthèse chez de telles bactéries refroidies à 77 degrés Kelvin (Voir Nature http://www.nature.com/nature/journal/v446/n7137/abs/nature05678.html ) En 2010 le même phénomène avait été détecté à température ordinaire dans les protéines photosynthétiques d'algues marines, (Voir Nature http://www.nature.com/nature/journal/v463/n7281//full/nature08811.html ).

Un tel processus impliquant des électrons dotés de propriétés quantiques se produit comme dans le cas de la production d'ATP, avec des rendements hors de portée de la biochimie classique. C'est ce qui aurait fait son succès aux origines de la vie. La protéine est dotée d'un réseau moléculaire qui connecte les capteurs solaires extérieurs de la bactérie, les chlorosomes, avec les organites internes de la cellule produisant de l'énergie, là où se réalisent des réactions biochimiques à peu près identifiées aujourd'hui. Contrairement à la transmission d'énergie dans les systèmes physiques, où le rendement est inférieur à 20%, l'opération s'accomplit dans l'organisme photosynthétique avec des rendements supérieurs à 95%. La raison de ces performances découle de la physique quantique.

Dans un système macroscopique classique, l'électron se déplace au hasard des canaux de connexion, en les explorant l'un après l'autre. Dans un système quantique, il explore simultanément les différents canaux disponibles jusqu'à trouver le plus efficace. Ceci fait, sa fonction d'onde s'effondre, ce qui permet quasi instantanément l'établissement d'une liaison physique classique, qui par définition se révèle rétroactivement la voie plus efficace. Un processus analogue à celui se produisant dans un calculateur quantique permet ainsi à l'organisme photosynthétique, que ce soit une bactérie ou une feuille, de trouver à partir d'une recherche instantanée au hasard, le meilleur chemin possible pour assurer au sein du milieu interne la transmission de l'énergie solaire.

Ceci expliquerait pourquoi les plantes, même lorsque la lumière est faible, peuvent transformer en énergie plus de 90 % des photons qu'elles reçoivent. Par fort ensoleillement, elles sont obligées d'en évacuer la moitié, sinon elles périraient par surchauffe. Inutile de dire que reproduire de tels processus est l'enjeu de la photosynthèse artificielle. Mais aucun mécanisme probant n'a pu encore être mis au point. Serait-il possible d'envisager le recours à des bits quantiques jouant le rôle d'explorateurs dans le champ des possibles?

D'autres exemples aussi surprenants tirés de l'observation de la nature suggèrent le rôle d'effets quantique dans les organes sensoriels ou cérébraux de divers animaux. Aujourd'hui, l'étude du sens de l'orientation des oiseaux, si efficace qu'il reste encore en partie incompréhensible, semble de démontrer. En 2004, Thorsten Ritz de l'University de Calfornie avait suggéré que les oiseaux possédent un organe sensoriel contenant des particules dont le spin enregistrerait les variations du champ magnétique terrestre, produisant des signaux que leur cerveau pourrait détecter. Mais le mécanisme nécessaire n'avait pas été découvert.

Récemment le Pr. Marshall Stoneham de l' University College London, malheureusement décédé au début de l'année, a suggéré (Voir arxiv, A new model for magnetoreception http://arxiv.org/abs/1003.2628 ) que les oiseaux « voient » à proprement parler les variations du champ magnétique. Ils utilisent pour cela une propriété permettant de détecter la polarisation de la lumière qui est également présente dans l'oeil humain, mais qui n'a pas été développé chez l'homme pour l'orientation. Il s'agit de l'effet dit de la brosse de Haidinger (http://en.wikipedia.org/wiki/Haidinger%27s_brush) se traduisant par l'apparition de zones de différentes couleurs dans le champ visuel.

Cet effet chez l'homme résulte d'une propriétés des cônes, l'une des deux espèces de cellules photoréceptrices. Ceux-ci sont dotés d'une molécule dite lutein sensible à la lumière bleue. Le champ magnétique pourrait produire une distorsion de cette nature dans le champ visuel de l'oiseau. Elle changerait avec les orientations du champ. Mais pour cela, il faudrait que les états quantiques impliqués durent assez longtemps pour affecter simultanément un nombre minimum de molécules photoréceptrices. Des photons quantiques maintenus en état de cohérence le temps suffisant grâce à un dispositif encore hypothétique présent dans l'oeil, pourraient permettre ce résultat.

Commentaires

Les observations et les hypothèses relatées ici semblent concordantes: elles feraient soupçonner dans la nature l'existence d'un continent inexploré considérable, comparable selon le mot d'un chercheur à la partie immergée d'un iceberg. Il sous tendrait ce que nous croyons être les réalités actuelles, celles du monde biologique macroscopique. Certes, il ne s'agit encore que d'indices dispersés, sur lesquels l'accord est loin d'être général. Mais si l'ensemble se confirmait, d'autres recherches seraient certainement entreprises et le phénomène apparaîtrait beaucoup plus répandu qu'il ne l'est actuellement. Il pourrait aussi apporter des solutions à bien des aspects de la vie qui restent encore mystérieux, par exemple son étonnante résilience aux agressions ou le fonctionnement du système nerveux, y compris celui du cerveau dit conscient.

Comment aujourd'hui pourrait-on décrire le phénomène? En simplifiant, on dirait que les organismes vivants se comportent comme des calculateurs quantiques relativement simples. Un calculateur quantique génère en tout petits nombres, non sans difficultés techniques pour les laboratoires en charge de sa réalisation, des bits quantiques dont il exploite les propriétés, notamment la superposition et l'intrication. Il peut ainsi réaliser dans des temps très réduits une grande quantité d'opérations élémentaires, par exemple la mise en facteur d'un nombre très grand. Une fois l'opération accomplie, le résultat du calcul est utilisé par le mathématicien comme s'il provenait d'un calcul ordinaire. Mais le temps gagné et l'avalanche de résultats jusque là impossibles à obtenir devraient révolutionner l'exercice des mathématiques.

Les organismes biologiques impliqués dans les observations relatées ici font un peu de même. Ils ont spécialisé certains de leurs organes dans des tâches difficiles ou impossibles à réaliser avec des processus physiques ou chimiques traditionnels. Ces organes spécialisés sont capables d'utiliser des particules quantiques le temps de leur faire effectuer des opérations essentielles aux fonctions vitales basiques: se procurer de l'énergie, se doter d'organes sensoriels élémentaires, impossibles ou difficiles autrement. Mais, le résultat de l'opération obtenu, les organismes biologiques en question ne s'enferment pas dans les facilités permises par les processus quantiques. Ils les dépassent et, sous la pression de la compétition, accomplissent des performances bien plus complexes, relevant de la biochimie macroscopique. Ils se comportent comme le feront les mathématiciens utilisant les futurs calculateurs quantiques. Les mathématiciens ne se contenteront pas des performances de ces calculateurs. Ils continueront à perfectionner les algorithmes et les applications de la mathématique ordinaire.

On serait tenté de supposer que les organismes biologiques procèdent de la même façon, n'utilisant que par défaut les processus quantiques. Mais ce faisant, ne risque-t-on pas de passer à côté précisément du corps immergé de l'iceberg, qui serait l'intrication à tous les niveaux de particules quantiques et de composants biochimiques ordinaires. Pour progresser dans cette dernière hypothèse, il faudrait poser et tenter de résoudre un grand nombre de questions. Nous en suggérons ici un échantillon, rédigé dans le désordre et sans plan de recherche précis:

- à quel moment dans l'histoire de la vie seraient apparus les processus quantiques venus en soutien du développement de cette même vie? dès les époques prébiotiques, chez les premiers procaryotes, chez les premiers eucaryotes, chez les premiers multicellulaires?

- cette apparition était-elle « inévitable », compte tenu de l'évolution des systèmes géologiques et biophysiques. S'est-elle au contraire produite une seule fois, « par hasard »? Sous quelles pressions évolutionnaires a-t-elle été exploitée par les premiers systèmes vivants?

- pourquoi ces premières réalisations, ayant prouvé leur succès dans des phases cruciales de l'histoire de la vie, ne se sont-elles pas étendues beaucoup plus largement? Auraient-elles été supplantées par des processus biochimiques macroscopiques plus efficaces ? Au contraire, seraient-elles restées actives, dans des domaines très importants mais restés cryptés pour nous?

- dans la suite de la question précédente, existe-t-il des applications vitales auxquelles les processus quantiques auraient servi et continuent de servir de support, autres que celles identifiées ici (fonction chlorophyllienne, odorat, navigation)? Autrement dit, ne pourrait-on pas suspecter que ces processus soient intervenus et interviennent encore dans de très nombreuses fonctions et dans les organes associés qu'ils conviendrait dorénavant d'identifier: métabolisme, perceptions sensorielles, transmissions nerveuses, fonctionnement du cerveau, reproduction et sexualité, langages intra et interspécifiques, tâches d'ingénierie variées, etc.

- pourquoi en ce cas seraient-ils jusque ici restés invisibles à nos yeux? Soit du fait du manque de culture quantique de nos intelligences, soit parce qu'ils auraient été masqués par les constructions de la biologie et de la culture macroscopiques qui s'y sont superposés ?

- au plan le plus basique, souvent évoqué par les chercheurs, en quoi consistent les outils biologiques naturels capables d'obtenir et de traiter en les protégeant du bruit atomique, autrement dit de la décohérence, des bits quantiques que les techniques les plus perfectionnées de nos sociétés technologiques ont encore le plus grand mal à obtenir et manipuler? Question qui n'est pas subsidiaire, ces outils naturels seraient-ils susceptibles d'être découverts et exploités par la science et la technologie moderne? Et pourquoi ne les recherche-t-on pas plus activement?

- Existe-t-il d'autres particules que les photons et électrons qui soient utilisées par les « processeurs quantiques » biologiques. L'omniprésence de celles-ci s'expliquent puisque ce sont eux qui transportent dans l'univers l'énergie indispensable à la vie. Mais d'autres particules ne pourraient-elles pas, y compris épisodiquement, avoir joué un rôle dans l'évolution? On pourrait penser au neutrino accompagnant des émissions de rayons cosmiques, malgré son caractère fortement allusif.

Nous terminerons ce petit inventaire de questions en évoquant un problème souvent mentionné. Aujourd'hui, il suscite des hypothèses dont les unes ont déjà donné lieu, ou pourraient donner lieu, à des recherches scientifiques, mais dont les autres relèvent d'une sorte de métaphysique New Age: les neurones, faisceaux de neurones et aires cérébrales du cerveau supérieur, dit conscient, utilisent-ils et de quelle façon des particules quantiques pour produire les performances de notre cerveau ? Comment, si les réponses à ces questions étaient positives, les tissus nerveux auraient-ils acquis de telles propriétés?

Le bon sens suggère qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les fonctions des organes sensoriels primaires, faisant appel au quantique comme dans le cas de l'odorat mentionné dans la première partie de cet article, aient trouvé un prolongement dans la construction des premiers organes centralisateurs et coordinateurs apparus simultanément, c'est-à-dire dans les systèmes nerveux et cerveaux primitifs. Il y a une continuité naturelle entre les neurones des aires sensorielles, ceux des cortex associés et ceux du reste du cerveau, y compris le cortex frontal généralement considéré comme responsable de l'intelligence et de la conscience. Ce serait donc en ce cas tous les mécanismes neurologiques qui pourraient relever de la recherche de solutions quantiques leur conférant leurs performances. Mais qu'en serait-il des traitements relevant de la conscience dite supérieure, notamment ceux relatif au moi, à qui l'on prête des qualités telles que le libre arbitre?

Nous pensons qu'une première voie permettant de répondre à cette question difficile serait de soutenir les efforts de scientifiques tels qu'Alain Cardon. Celui-ci a entrepris de modéliser des systèmes de conscience artificielle faisant appel aux logiques et informatiques classiques. Il serait possible sur ces bases de se demander si de tels modèles seraient ou non rendus plus performants par l'introduction de calculateurs quantiques et des algorithmes correspondants. En cas d'expériences positives, nous pourrions parier sans risque que les neurologues et neuro-psychologues découvriraient alors, à leur vive surprise, des opérateurs quantiques plus ou moins puissants à l'oeuvre depuis des temps immémoriaux dans les cerveaux biologiques. .


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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 14:08
Qu'appelons nous l'ancien monde? Convenons de désigner par ce terme la Terre telle que l'avaient connue les milliards d'hommes y ayant vécu depuis le début des temps historiques, la Terre telle que l'avaient analysée les multiples scientifiques, littérateurs et poètes s'étant consacrés à son étude, la Terre avec ses grandeurs et ses drames.
Or tout ceci, ou ce qu'il en reste, est en train de disparaître. Une machine à broyer s'est mise en place, d'une incroyable puissance. Plus rien de l'ancien monde n'y résistera et nul ne peut dire ce qui surgira des ruines.

La machine en question est du type de ce que nous nommons  un système anthropotechnique 1) Elle associe dans des unions de moins en moins séparables une humanité en proie à l'explosion de sa propre ubris et des technologies proliférant à un rythme constamment accéléré.

Les auto-analyses que génère cette machine sont généralement favorables. On parle de progrès continus. Le prix à payer en est lourd, puisque disparaissent une grande partie des espèces ayant survécu jusqu'ici aux précédentes destructions massives. De même disparaissent les derniers espaces géographiques ayant servi de berceau à l'humanité. Mais en contrepartie, selon la doxa dominante, l'intelligence générale, supportée par l'explosion des réseaux de connaissance, ne cesse de s'étendre et de s'approfondir, en marche semblerait-il pour conquérir le système solaire, et au delà.

Certaines de ces auto-analyses pourraient cependant inquiéter. Dans le puissant système anthropotechnique qui s'installe, la technique n'est-elle pas en train de dominer de plus en plus l'anthopologique? Le cerveau humain, notamment, n'est-il pas en train de perdre ses spécificités anciennes pour se mouler de plus en plus étroitement sur les machines avec lesquelles il interagit en permanence?  Autrement dit, il en deviendrait une prolongation dépourvue des capacités d'invention et de critique ayant jusque alors piloté le « progrès technique ». Plus généralement, l'anthropos, en nous, perdrait les freins biologiques acquis au cours de millions d'années d'évolution, freins lui permettant de ne pas se transformer trop radicalement en machine à détruire et à se détruire.

Beaucoup d'observateurs, même issus du système, signalent ce risque à propos de la place prise désormais dans la vie des humains par les terminaux mobiles intelligents multiples, dont le rôle en tant qu'appareils de téléphone devient presque secondaire au regard de l'accès qu'ils ouvrent à d'innombrables bases de donnée set de connaissance évitant aux utilisateurs de penser par eux-mêmes. La plupart de ceux-ci s'en réjouissent, d'autres cependant s'en inquiètent.

Bien moins contestable, bien qu'ignoré généralement jusqu'à ce jour, est le dépérissement intellectuel que semble imposer aux adultes et surtout aux enfants la fréquentation quotidienne de quelques heures de télévision et de vidéo, y compris sur Internet. La vaste étude du neuroscientifique Michel Desmurget, TV Lobotomie : La Vérité scientifique sur les effets de la télévision, Max Milo 2011, ne laisse aucune place au doute. Il ne devrait plus être possible d'ignorer ces faits – sauf que la puissante machine anthropotechnique des industriels et des acteurs du système est tout à fait capable de continuer à faire sur eux un imposant silence.

Un contrôle total

Mais il y a beaucoup plus significatif. Il s'agit de la mise en place de ce que notre ami Alain Cardon décrit dans un ouvrage en cours de finition, dont il nous a confié pour publication un premier manuscrit 2). Il décrit un environnement technologique au service des puissants de ce monde. Dans ce système les milliards d'humains activés à leur insu par le système ne peuvent faire autre chose que se comporter en esclaves dociles, producteurs-esclaves, consommateurs-esclaves, citoyens-esclaves.

Nous commenterons ce travail plus en détail ultérieurement. Laissons les lecteurs en juger par eux-mêmes. Certains reprocheront à l'auteur un pessimisme excessif. Mais la plupart éprouveront, espérons-le, un réveil de la raison: « comment pouvions nous être immergés dans un tel monde sans nous en apercevoir ? ». Nous pensons pour notre part, avec Alain Cardon, que même si l'évolution méta-historique décrite est irrésistible, l'effort pour s'y individualiser d'un nombre aussi grand que possible de ce que l'on appelle encore des citoyennes et citoyens ne pourra qu'avoir un effet utile. Au service de la démocratie comme à celui de la république.

Notes
1) Jean-Paul Baquiast. Le paradoxe du Sapiens J.P. Bayol 2010
2) Alain Cardon. Vers le système de contrôle total. 2011. Ouvrage au format.pdf accessible en téléchargement gratuit. Faire
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/121/controletotal.pdf
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17 septembre 2011 6 17 /09 /septembre /2011 10:45

 

Le Cosmos et le Lotus,
par Trinh Xuan Thuan,

Albin Michel 2011

présentation et commentaire par Jean-Paul Baquiast 15/09/2011

 

 

Pour en savoir plus sur l'auteur
Trinh Xuan Thuan. Site personnel (français) http://www.trinhxuanthuan.com/indexfr.htm

 

 

 

 

 


 

Dans son dernier livre, Le Cosmos et le Lotus, le cosmologiste américain francophone Trinh Xuan Thuan (photo) aborde la question de ses convictions spiritualistes et des concordances qu'il peut trouver entre les découvertes de la science et ce qu'enseigne le bouddhisme. Il y explique qu'étant de tradition confucianiste, il estime que cette philosophie exprime mieux que toute autre sa vision du monde.


Trinh Xuan Thuan est souvent mobilisé par les adversaires du matérialisme scientifique quant ils défendent la thèse spiritualiste dite dualiste selon laquelle l'esprit (ou l'âme) ne peut être analysé par la science. L'esprit et la matière constituent pour les dualistes deux « réalités » d'ordre différent, nécessitant des approches elles-mêmes différentes. Pour les matérialistes au contraire, s'inscrivant dans la philosophie moniste, la science peut au contraire expliquer l'apparition de l'esprit et de la conscience à partir d'analyses portant sur l'évolution spontanée du monde matériel. Le recours à une explication faisant appel à un ordre divin détourne la science de la nécessité d'approfondir les questions un peu complexes où intervient ce que l'on nomme généralement la spiritualité.


J'ai moi-même amplement illustré et défendu le postulat matérialiste dans un ouvrage de 2007, « Pour un principe matérialiste fort ». J'ai eu plusieurs fois eu l'occasion d'en débattre avec des spiritualistes, sans être le moins du monde convaincu par leurs arguments. Je souhaitais néanmoins mieux connaître l'approche métaphysique de Trinh Xuan Thuan, que je soupçonnais d'être beaucoup plus modéré que ne le présentaient des idéologues tels que Jean Staune1)  La parution du Cosmos et du Lotus en donne l'occasion.


Le livre n'est en rien un traité de philosophie des sciences ou de métaphysique. Il s'agit d'un ouvrage facile à lire par lequel Trinh Xuan Thuan rappelle d'abord les grandes étapes de sa formation, à Hanoï et Saïgon d'abord, en France puis dans les universités américaines au sein desquelles il a acquis des titres universitaires que beaucoup lui envient. L'ouvrage présente par ailleurs une résumé succinct de l'histoire de la cosmologie observationnelle (celle qui utilise les grands instruments au sol et satellitaires) et de l'état actuel de ses connaissances. L'auteur mentionne aussi en quelques paragraphes ses propres recherches, nécessairement plus spécialisées, portant notamment sur les galaxies naines. Le lecteur connaissant déjà cet auteur a pu apprécier, dans ses ouvrages de vulgarisation, la clarté avec laquelle il sait présenter les questions les plus complexes. Au delà des aspects techniques, il fait aussi partager son amour de la science fondamentale et un émerveillement jamais lassé devant ce qu'il appelle les merveilles de l'univers.


La pensée bouddhiste


Un tiers de l'ouvrage cependant aborde la métaphysique. L'émerveillement de Trinh Xuan Thuan prend chez lui une forme quasi mystique. Elle lui donne l'occasion de préciser le titre du livre, c'est-à-dire ce que signifie pour lui le terme de Lotus, qu'il associe à celui de Cosmos. Son but n'est pas, comme il l'écrit (p 200), en voulant confronter les approches scientifique et bouddhiste du réel (nous reviendrons sur ce terme de réel), de donner à la science une tournure mystique ni de justifier les enseignements du bouddhisme par des découvertes scientifiques. Il est de signaler leurs convergences dans ce qu'il nomme des approches différentes de la Vérité.

Il souligne que ce faisant le bouddhisme comme la science se veut empirique. Il ne s'agit pas pour le bouddhisme de s'inspirer comme le font les religions monothéistes de Livres prétendus révélés en dehors desquels la science n'aurait rien à dire. Il s'agit seulement de procéder à un Eveil du savoir et de la conscience, par l'intermédiaire non seulement de la contemplation du monde mais de pratiques telles que la méditation. Cet empirisme, on le voit, dépasse cependant considérablement ce que les scientifiques désignent par ce terme, c'est-à-dire le recours à la méthode hypothético-déductive et la vérification expérimentale.


Pour la science expérimentale, classiquement définie, seul le savoir objectif, soigneusement détaché de la façon dont les individus l'interprètent, peut avoir un sens. Pour le bouddhisme au contraire l'expérience subjective et immatérielle est première. Ceci veut dire qu'il peut y avoir autant de visions du monde qu'il y a de sujets pensant et méditant. On constate néanmoins une similitude dans les perceptions bouddhistes du monde. Elles donnent naissance à des concepts philosophiques connus depuis longtemps par les spécialistes des religions. Plus récemment – nous allons y revenir - les épistémologies ont pu les retrouver derrière les grandes théories scientifiques modernes, la relativité et la mécanique quantique.


Cette dernière convergence a été soulignée dès le milieu du 20e siècle. La mécanique quantique, plus particulièrement, a tout de suite donné lieu à des interprétations mystiques du monde qui ont contribué à la faire connaître auprès du grand public, tout en la décrédibilisant au regard des physiciens traditionnels. Aujourd'hui, ces interprétations sont considérées comme ne relevant plus de la mystique, mais de la connaissance scientifique.


Que sont donc les concepts fondamentaux du bouddhisme, entretenant au moins en apparence une parenté avec ceux de la mécanique quantique? Il s'agit, selon Trinh Xuan Thuan, de l'interdépendance, la vacuité et l'impermanence. On peut constater, ce qui n'a rien de surprenant, que ces concepts ou postulats se rapprochent de ceux généralement attribués à la pensée chinoise, en opposition à ceux de la pensée occidentale dite aristotélicienne  2)

L'interdépendance signifie que toute entité ne peut exister de façon autonome ni être sa propre cause. Il faut donc aller au delà du regard ordinaire qui nous oblige à n'identifier que des choses distinctes. Celles-ci ne représentent qu'une « vérité relative » ou « conventionnelle » devant être dépassée dans la perception d'une « vérité ultime ». L'interdépendance est indispensable à la manifestation des « phénomènes » qui sont essentiellement des flux de relations. Ceci ne veut pas dire que les faits distincts n'existent pas, puisque nous les percevons et pouvons les étudier par la science. Le bouddhisme propose de définir une voie médiane ou Voie du Milieu selon laquelle un phénomène tout en ne possédant pas d'existence autonome puisse paraître sensible aux lois de la causalité. Trinh Xuan Thuan n'a pas de mal à montrer par de nombreux exemples que cette notion d'interdépendance des "faits" et phénomènes est désormais reconnue par l'ensemble des sciences, notamment la biologie et les sciences humaines, et pas seulement par la mécanique quantique. Ainsi l'étude de l'homme ne peut plus être conduite, au plan fondamental, indépendamment de celle des autres phénomènes.

Le deuxième concept fondamental du bouddhisme est la vacuité. Ce terme souvent mal compris dérive de l'interdépendance. Il signifie l'absence d'existence propre. Il n'y a pas de réalité autonome ou objective, mais des réalités relatives découlant de l'interaction entre l'observateur et l'objet observé. Ceci rejoint à nouveau le postulat fondamental de la mécanique quantique, décrit par Bohr sous le nom de principe de complémentarité. L'observation modifie la réalité du monde subatomique et en crée une nouvelle. Ceci peut être étendu au monde atomique ou macroscopique.

Notons que, dans un autre passage de son livre, d'une façon apparemment contradictoire, Trinh Xuan Thuan s'affirme réaliste, c'est-à-dire croyant en l'existence d'un Réel indépendant de l'homme et de ses observations. Mais on peut penser par là qu'il veut seulement s'opposer au constructivisme relativiste à la mode en France dans les années 1970, non chez les sciences dures mais dans les sciences humaines. Il s'agit d'une conception abandonnée depuis qui, poussée ad absurdum, conduirait au solipsiste: selon elle, il n'existerait pas de Réel en dehors de l'esprit de celui qui en parle. La mécanique quantique ne va pas si loin. Tout en refusant le réalisme des essences, elle postule cependant l'existence d'une réalité sous-jacente aux observations, indéterminée tant du moins qu'elle n'est pas observée. L'observateur n'en fait apparaître qu'un seul aspect, sous une forme d'ailleurs statistique, laissant non déterminé le reste du monde quantique.

De ces deux concepts du bouddhisme découle celui d'impermanence. En dépit de ce qu'enseignent les observations sommaires, tout se transforme et évolue, sans retour en arrière. La cosmologie comme la physique fondamentale, celle des hautes énergies, confirment mieux encore que les autres sciences cette intuition du bouddhisme. Nous reviendrons ci-après sur ce que le matérialisme scientifique pourrait déduire de cette convergence entre une vision bouddhiste de l'univers et les postulats des sciences modernes. Rappelons seulement ici que certains penseurs de la Grèce antique avaient eu les mêmes intuitions, sans pour autant pouvoir les transformer en une métaphysique de l'ampleur de celle inspirant depuis plusieurs millénaires la pensée asiatique dans son ensemble.

Dans la suite de sa présentation, Trinh Xuan Thuan indique que, tout en partageant très largement les postulats du bouddhisme, il se sépare de ce dernier sur un point important, celui des origines de l'univers. Le bouddhisme selon lui ne postule rien en ce domaine. Or en tant que cosmologiste, il croît pouvoir affirmer qu'avec le Big Bang l'univers a eu un commencement. De plus, il pense que le réglage fin des paramètres (fine tuning) découlant des lois et constantes fondamentales, sans lequel ni la vie ni l'homme n'auraient pu exister, constitue la preuve que l'univers serait « parfaitement réglé pour permettre l'apparition d'un observateur intelligent, capable d'apprécier son organisation et son harmonie » (p. 222).

Il s'agit là du principe anthropique dans sa version dite forte, selon laquelle l'univers tend vers une certaine forme de conscience. La conscience serait ainsi le résultat de lois physiques et biologiquesdéfinies dès le début de façon extrêmement précise.(p. 233). Trinh Xuan Thuan rejette l'hypothèse des univers multiples que rien aujourd'hui ne permet selon lui de vérifier expérimentalement et qui ne peut donc devenir un objet de science. Mais curieusement, il n'hésite pas à postuler l'existence d'un principe créateur à l'oeuvre dans l'ensemble du cosmos, hypothèse pourtant elle aussi invérifiable.

Ce principe ne signifie pas nécessairement pour lui l'existence d'un ou de plusieurs dieux tels que les imaginent les religions.Il exclut cependant les explications matérialistes, telles le darwinisme, selon lesquelles seuls le hasard et la nécessité pourrait expliquer l'ordre du monde, et notre présence en tant qu'observateur. Tout autant que l'explication par l'évolution darwinienne, Trinh Xuan Thuan rejette la thèse de l' « homme neuronal » développée par Jean-Pierre Changeux et les neuroscientifiques matérialistes de son école, Stanislas Dehaene et Lionel Naccache. 3). Il confirme ce faisant son rejet du déterminisme et du réductionnisme par lesquels selon lui se caractérise la science matérialiste. Il affirme au contraire sa foi dans le libre arbitre et les valeurs morales généralement associées à la spiritualité.

Commentaires

On voit bien là pourquoi Trinh Xuan Thuan est recruté par les spiritualistes qui en font l'adversaire idéal des scientifiques matérialistes niant les croyances dualistes telles que répandues par les religions, notamment les religions monothéistes. Nous ne prétendons pas ici être en droit de condamner de quelque façon les croyances métaphysiques qui sont les siennes. Nous pensons par contre tout à fait légitime de réagir contre le simplisme du regard qu'il porte sur la science matérialiste. D'une part celle-ci, comme le matérialisme en général, n'est pas fermée à la spiritualité. La vie de l'esprit et ses valeurs ne sont pas niées, même si la science n'est pas toujours capable d'en fournir des interprétations scientifiques, par exemple de type évolutionniste.


D'autre part, les questions non susceptibles, en l'état actuel des connaissances, de recevoir une réponse ne sont pas évacuées par la science, au contraire. Elles donnent l'occasion d'approfondir les recherches, quitte à remettre profondément en cause les théories apparemment le plus solides. Il en est ainsi des constantes et lois fondamentales de l'univers. Pourquoi sont-elles ce qu'elles sont et non différentes? Si, comme Trinh Xuan Thuan, on considère qu'elles sont là pour préparer l'avènement d'une intelligence cosmique supérieure, on se refuse à toute remise en causeou approfondissement et de ces lois et des paradigmes les sous-tendant. Le lecteur attendrait de Trinh Xuan Thuan une réaction bien moins naïve que celle qu'il affiche à ce propos.


Nous avons discuté amplement de ces questions dans « Pour un principe matérialiste fort ». Inutile d'y revenir ici. Par contre, il nous paraît tout à fait pertinent de nous interroger sur la relative convergence, soulignée non seulement par Trinh Xuan Thuan mais par de nombreux scientifiques, entre les intuitions du bouddhisme, relatives notamment à la non-séparabilité des phénomènes, et aux interprétations de la logique quantique, relatives à cette même non-séparabilité et plus généralement à des concepts tels que les probabilités quantiques, l'interférence quantique (expérience de Young dite des deux fentes), la superposition d'état, la non-localité et l'intrication quantique...Dans un article publié par ailleurs  « Comment les cerveaux se représentent-ils le monde " 4) nous faisons allusion à un mouvement de recherche très actuel, nommé la « quantum interaction » qui explore les domaines où le cerveau utiliserait, de préférence à la logique classique ou à la logique mathématique, des processus propres à la logique quantique.

Il semblerait que ceux-ci aient précédé, dans les cerveaux humains mais sans doute aussi dans les cerveaux animaux, les formes de raisonnement plus évoluées liées à l'apparition du calcul et du langage. Il s'agirait en fait de précurseurs à la pensée aristotélicienne venue plus tard. Ils conserveraient aujourd'hui encore un caractère indispensable. Il apparaît ainsi que les cerveaux utilisent ces processus cognitifs de préférence aux outils de la logique formelle quand il s'agit de comprendre des phénomènes complexes, mal connus ou nouveaux. Chacun d'entre nous peut procéder à cette observation ses propres façons empiriques de se représenter le monde, notamment dans le domaine de la création artistique laissant une place importante à l'imaginaire. Nous faisons ainsi constamment, tels M. Jourdain, de la logique quantique sans le savoir.

Il ne serait donc pas surprenant que la pensée asiatique, et plus particulièrement le bouddhisme, ait conservé de préférences à des outils analytiques plus récents, plus rigoureux mais réducteurs, des modes de représentation du monde s'inspirant de cette logique primitive à large spectre d'utilisation. Les scientifiques rationalistes ont donc tout intérêt à s'en inspirer en amont ou en aval des modélisations à base de mathématique et de programmes informatiques digitaux. Sous cet angle, le bouddhisme ne serait pas incompatible avec la pensée scientifique, à condition de ne pas en faire une porte ouverte vers un mysticisme n'ayant plus rien de scientifique, si du moins il est appliqué à la science. C'est de cette façon que procèdent encore beaucoup de chercheurs chinois et japonais, qui pratiquent alternativement, selon les besoins, les deux formes de pensée.

Peut-on aller plus loin dans la réflexion sur l'origine des processus cognitifs s'inspirant de la logique bouddhiste, que l'on retrouve dans la logique quantique? . Dans le même article précédemment cité, nous évoquons un point encore très controversé mais qui fera peut-être prochainement l'objet de confirmations expérimentales. Il s'agirait de l'influence que pourraient avoir des entités quantiques, communément nommées bits quantiques dans le fonctionnement des neurones. Le cerveau en ce cas pourrait se comporter comme un véritable ordinateur quantique, doté de capacités de calcul infiniment plus vastes que celles des machines de Turing.

Ces perspectives pourraient peut-être intéresser Trinh Xuan Thuan, quitte à lui faire abandonner sa croyance en un univers programmé par une puissance supérieure pour l'apparition de la conscience. Il s'agirait seulement d'un univers organisé comme un ordinateur quantique. Les états de conscience et les formes d'intelligence en résultant y auraient une origine naturelle, puisqu'ils découleraient de l'évolution spontanée des calculs quantiques se déroulant à grande ou petite échelle dans un tel univers.


Notes
1) Voir par exemple
http://www.automatesintelligents.com/manif/2008/debatbaquiaststaune.html
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2007/juin/staune.html
2) Voir « Les transformations silencieuses » de François Jullien http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2011/jan/jullien.html
3) Voir notamment « Du vrai, du beau et du bien » de Jean-Pierre Changeux http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/dec/changeux.html
4) Voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/121/mcr.htm


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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 17:08

Jean-Paul Baquiast 11/09/2011


La question est ambitieuse. Y répondre sérieusement obligerait à une revue de l'ensemble des sciences cognitives, et de bien d'autres encore. Nous allons nous borner ici à l'évoquer à propos de trois évènements éditoriaux qui obligent, d'une façon ou d'une autre, à la poser en termes quelque peu originaux par rapport aux réponses que lui donne la littérature philosophique courante. Nous présenterons d'abord rapidement ces évènements, et les ferons suivre de quelques commentaires pouvant intéresser la question évoquée dans le titre du présent article.

Trois évènements éditoriaux

L'initiative MCR étendue

Nous faisons ici allusion au lancement dans les prochaines semaines d'une initiative 1) visant à vulgariser la méthode dite de conceptualisation relativisée (MCR) proposée par la physicienne Mioara Mugur-Schächter à propos de la représentation des entités du monde quantique ou microscopique.

Nos lecteurs connaissent cette méthode, exposée dans plusieurs ouvrages qui retiennent de plus en plus l'attention des épistémologues ou philosophes de la connaissance. Nous avons nous-mêmes recommandé qu'elle soit étendue aux sciences du macroscopique, c'est-à-dire aux sciences s'intéressant aux entités du monde matériel, sciences physiques, sciences biologiques, sciences humaines. Elle postule en effet qu'il n'est pas souhaitable de considérer, comme le font la plupart des chercheurs dans ces différentes sciences, qu'il existe des entités du monde réel existant en soi, que l'on pourrait décrire de l'extérieur et objectivement, c'est-à-dire sans tenir compte de l'observateur.

Il est beaucoup plus fécond au contraire de postuler, comme on le fait en physique quantique, que les descriptions que l'on donne de ces entités (par exemple une table, un gène, un fait social, une opinion) sont relatives aux conditions dans lesquelles on les observe et on les utilise. Ces conditions concernent les instruments que le chercheur utilise mais aussi ce dernier lui-même, dont le cerveau et plus généralement le comportement, individuel ou social, sont déterminés par des situations éminemment différentes, dans le temps et dans l'espace. Dans la vie courante, on peut s'entendre par commodité sur une représentation de telles entités faisant appel à des approches probabilistes (ou statistiques) , mais il ne faudrait pas prétendre, sauf à paralyser toute recherche ultérieure, que l'on atteindrait ainsi à une « essence en soi » de l'entité, essence dont l'affirmation a priori ne pourrait que relever d'un acte de foi non scientifique. Nous envisageons de nommer cette méthodologie « MCR étendue ».

La « quantum interaction »

Deux articles se complétant 2) que vient de publier la revue NewScientist, commentent des recherches récentes en sciences cognitives. Il s’agit pour les chercheurs cités de montrer que le raisonnement utilisé par le cerveau (humain ou non, consciemment ou non)  est plus proche des méthodes de la logique quantique que de celles de la logique mathématique employée par les sciences macroscopiques.

Ceci voudrait dire que, pour progresser dans les sciences du monde macroscopique, il faudrait faire plus systématiquement qu'aujourd'hui appel à la façon dont les physiciens quantiques se représentent les entités quantiques: principe de superposition d'état et création d'interférences, intrication, représentation probabiliste (fonction d'onde), intervention de l'observateur (décohérence), etc.

Comme le cerveau humain paraît utiliser spontanément de telles processus pour se représenter les éléments du monde extérieur observés par les organes sensoriels, il serait très réducteur de considérer que seuls les postulats de la logique mathématique et plus généralement de la logique quotidienne dite rationnelle sont les seuls acceptables: principe d'identité par exemple (A est A et ne peut être non-A, une proposition ne peut à la fois être « vraie » ou « fausse »). Indispensable pour certains types de modélisations exigeant une rigueur formelle précise, ces principes sont nuisibles quand il s'agit de faire appel à des logiques plus floues. On le savait déjà mais il est bon de le rappeler.

Il est remarquable de constater que l'un de ces articles mentionne un domaine de recherche en plein développement, dit « quantum interaction ». faisant appel à ces postulats. On y montre que la logique quantique peut être utile dans des domaines ne pouvant être traités par la seule science physique, notamment la linguistique, la cognition, la biologie, l'économie.Les deux logiques, quantique et mathématique, se complètent donc. Le 3e symposium intéressant la « quantum interaction » (que nous hésitons à traduire vu les confusions possibles par le terme d'interaction quantique) vient de se tenir à Aberdeen. (voir http://www.researchgate.net/conference/Quantum_Interaction_2011/). Les domaines applicatifs seront de plus en plus riches: moteurs de recherche intelligents, robots interagissant avec des humains, systèmes biologiques complexes, théorie de la décision, etc.

On retrouve ainsi là, dans une large mesure, les avancées méthodologiques résultant de ce que nous nommons ci-dessus MCR étendue. MCR imposera alors une rigueur que ne respectent pas toujours ceux qui usent et abusent du terme de logique quantique sans avoir bien compris ses implications. .

L'esthétique appliquée aux sciences de la complexité.

Par esthétique, nous désignerons ici les sciences et philosophies de la connaissance qui étudient le rôle de la création dite artistique dans la construction des représentations par lesquelles les individus et les groupes se représentent le monde, sur un mode généralement spontané et informel. Les « artistes » sont nécessairement à la source de l'évolution de ces représentations à travers les temps et les lieux, mais on ne peut en distinguer le public qui reçoit et répercute en les transformant les produits de la création artistique. A juste titre on pourra évoquer dans ce domaine le concept de « mème », du fait notamment de la prolifération des différents réseaux et technologies numériques permettant une diffusion sans précédents des « contenus » artistiques. Désormais chacun peut potentiellement devenir alternativement créateur et consommateur de produits artistiques.

D'où l'intérêt de plus en plus grand d'étudier une telle production en termes scientifiques. Pour ce faire, il faut mobiliser non seulement l'esthétique traditionnelle mais l'ensemble des sciences de la complexité. Ce terme, dont nous nous méfions un peu car il est vague, recouvre en fait l'ensemble des sciences dont nous discutons régulièrement sur ce site. Citons dans des domaines différents l'archéologie cognitive, les neurosciences, I'intelligence artificielle … mais aussi la physique et la biologie. C'est ainsi que l'esthétique seule ne pourra expliquer pourquoi l'art pariétal semble avoir émergé tout armé vers 35.000 ans bp, sinon avant. Il ne peut manifestement pas s'agir d'art au sens où l'entendent les galéristes contemporains.

Les recherches en esthétique étendue ainsi conçue prennent de plus en plus d'importance aujourd'hui, tant dans les pays anglo-saxons qu'en France. Elles associent désormais des scientifiques proprement dits et des créateurs ou même un public ayant suffisamment de compétences pour utiliser les concepts et les instruments des sciences de la complexité mises au service de la création. Nous avons précédemment présenté ici l'ouvrage "Dans l'atelier de l'art. Expériences cognitives", Champ Vallon 2010 (http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2010/jui/borillo.html) ainsi qu'un entretien avec son principal auteur Mario Borillo (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/113/borillo.htm).

Or nous recevons aujourd'hui, provenant des éditions du CNRS, un ouvrage de même inspiration et de grande qualité,  " Esthétique et complexité. Création, expérimentation et neurosciences ", coordonné par Zoï Kapoula et Louis José Lestocard. 4)

Ces deux livres présentent des caractères voisins. Ils regroupent des créateurs et des scientifiques. Ils proposent des recherches approfondies concernant la création artistique, la genèse des oeuvres, les implications de celles-ci sur les représentations du monde. Ils sont également, il faut le dire, d'une approche difficile qui exclura on peut le craindre la plupart des artistes et le grand public lui-même.

Si l'on fait cependant l'effort de pénétrer les propos des auteurs, on y constatera que la réflexion sur la création scientifique ne devrait plus pouvoir se passer de ce qu'enseigne l'histoire de la création artistique à travers les âges. On retrouve à l'oeuvre les mêmes processus et de ce fait, se posent les mêmes problématiques: que fut l'archéologie de la création? comment devient-on créateur? Comment les sociétés reçoivent-elles la création ? …

Bien plus, la lecture des textes et des références rassemblés par ces deux ouvrages montre l'immensité du champ de recherche qui pourraient s'ouvrir, dans toutes les sciences de la complexité mentionnées, si l'on utilisait plus systématiquement l'expérimentation sur les oeuvres, sur les créateurs et sur ceux qui reçoivent et transforment les créations, d'un type de société à l'autre. La matière première est abondamment disponible, il ne manque que les bonnes volontés pour l'exploiter. Par ailleurs, l'expérimentation, avec les technologies aujourd'hui disponibles, notamment dans le domaine numérique, ne demande pas de moyens considérables.

Chacun s'il le voulait, ou presque, pourrait passer en alternance du statut de créateur à celui de récepteur et de chercheur. Ce faisant, avec un peu d'efforts, il pourrait approfondir des domaines de recherche fondamentale très importants, mais jugés en général – telle la neuroesthétique - comme inabordables. Encore faudra-t-il que les promoteurs de ces recherches fassent les efforts nécessaires pour être lisibles par tous.

Commentaires

Au delà de leur intérêt propre, les domaines évoqués par ces trois initiatives fournissent matière à des réflexions communes intéressant la question posée ici: comment les cerveaux se représentent-ils le monde?

Un premier point doit selon nous être précisé. Une telle question est de portée universelle. Elle ne concerne pas seulement les cerveaux humains. Elle devra donc être étendue à l'ensemble des cerveaux ou systèmes nerveux centraux de l'ensemble des organismes supérieurs. C'est ainsi que les animaux se construisent des représentations symboliques du monde se traduisant par des modules communicationnels échangeables, sous la forme de langages plus ou moins simplifiés, parfois assimilés à une forme de création artistique, qui ont depuis longtemps intéressé les recherches en linguistique, esthétique et psychologie cognitive évolutionnaire.

Par ailleurs, on doit rappeler qu'il convient dans certains cas de ne pas séparer artificiellement les individus et le groupe ou l'espèce au sein desquels ils communiquent, non plus d'ailleurs que les émetteurs de messages et les messages émis. Les uns et les autres constituent un ou plusieurs super-organisme qu'il faut dans certains cas étudier en tant que tels.

Ceci est particulièrement évident lorsque l'on considère, non plus des populations d'animaux supérieurs, mais des populations d'organismes monocellulaires ou de bactéries, qui communiquent entre eux par des échanges spécifiques. Le contenu de ces échanges constituent pour de tels organismes – et dans une large mesure pour les humains qui les déchiffrent – des représentations ayant un effet déterminant dans l'évolution du monde global, au même titre que nos pensées ou nos travaux scientifiques.

Parmi les multiples autres questions posées par les travaux mentionnés dans la première partie de cet article, il nous semble que l'une d'entre elles éclipse toutes les autres par son importance. Nous nous limiterons à elle pour rester dans le cadre d'un tel article.

Il s'agit de savoir si les logiques et formes de pensée développées par les cerveaux humains en interaction avec ce qui nous semble être le monde macroscopique sont ou non inspirées, voire déterminées par les phénomènes ou structures profondes inhérentes au monde quantique. On dira que pour répondre à cette question, il faudrait être certain de connaître les règles de ce monde. La réponse généralement faite est que la physique quantique et les applications qui en sont données ont aujourd'hui atteint un développement suffisant pour que l'on puisse en traiter avec un minimum de sécurité, sous réserve du fait que, conformément au postulat non réaliste repris par MCR, on se garde d'affirmer (à ce jour tout au moins) qu'il existe une réalité quantique ou infra-quantique en soi (des variables cachées) indépendantes des observateurs et de leurs instrumentations. L'on ne traitera alors que de constructions « relativisées » s'exprimant généralement par des formulations probabilistes.

Sous cette réserve, la plupart des scientifiques et épistémologues concernés par les sciences macroscopiques ne nieront pas le fait qu'eux-mêmes, comme nous tous, nous avons nécessairement des liens avec le monde quantique susceptible d'influencer chacun des atomes qui nous constituent. Mais il ne s'agit pas seulement de le dire. Il faudrait mettre en évidence des domaines où une telle influence se ferait sentir.

La question est de très grande importance. Nous avons abordé sur ce site quelques uns de ses aspects théoriques, en mentionnant les travaux, entre autres, de David Deutsch 5) Seth Lloyd 6) et JohnJoe Mac Fadden 7). Pour ces auteurs comme pour bien d'autres que nous ne citons pas ici, les mondes macroscopiques, y compris le monde biologique, sont régis par des processus relevant du calcul quantique, qu'il serait possible de mettre en évidence, à condition de les chercher. La mise au point, que certains espèrent proche, d'un calculateur quantique puissant devrait y aider.

Les sceptiques diront qu'il ne s'agit encore que d'hypothèses. Reste que, dans certains processus biologiques relativement simples, intéressant la fonction chlorophyllienne ou le fonctionnement de l'oeil, des chercheurs sont persuadés d'avoir détecté des mécanismes mettant directement en oeuvre des bits quantiques interagissant avec des atomes ou molécules biologiques 8). Quelques auteurs ont affirmé qu'il pourrait en être de même dans le cerveau, au niveau des neurones supposés responsables de la formation de la conscience. Mais cette dernière hypothèse n'a pas encore été démontrée.

Il reste que, et cela nous reconduit au thème principal de cet article, que la représentation du monde macroscopique que se donnent spontanément (et généralement inconsciemment) les cerveaux humains devrait en principe se construire en s'appuyant sur les règles de la logique quantique. La logique mathématique n'en serait qu'une version artificielle (construite) et d'usage nécessairement limité. Ceci, indiquons-le en passant, rendrait non recevable l'affirmation « réaliste » de certains mathématiciens selon laquelle les mathématiques procéderaient de structures profondes de l'univers, qu'il leur appartient de redécouvrir. Quoiqu'il en soi, les logiques quantiques demeureraient indispensables non seulement à la découverte et la création en général, mais aussi dans certains domaines visant à élaborer des modèles technologiques à prétentions applicatives pleinement opérationnelles.

Les promoteurs de l'approche MCR étendue trouveront donc là, pensons-nos, des arguments renforcés pour promouvoir l'application de MCR à l'ensemble des connaissances.

Notes
1) Nous publierons prochainement un document précisant les modalités de cette initiative. Le livre de Mioara Mugur Schächter que nous avons édité par ailleurs " L'infra-mécanique quantique " (Ouvrage au format.pdf accessible en téléchargement gratuit) en donne une présentation qui fera ultérieurement l'objet d'une version destinée au grand public (voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/115/IMQ.pdf )
2) Voir NewScientist http://www.newscientist.com/article/mg21128285.900-quantum-minds-why-we-think-like-quarks.html ainsi que http://www.newscientist.com/article/dn20866-quantum-logic-could-make-better-robot-bartenders.html
3) Voir aussi notre dossier La création artistique. http://www.automatesintelligents.com/art/2009/sep/creationartistique.html
4) Esthétique et complexité. Editions du CNRS

Présentation par l'éditeur.
http://www.cnrseditions.fr/Art-et-technique/6424-esthetique-et-complexite-sous-la-direction-de-zoi-kapoula-et-louis-jose-lestocart.html

Depuis l’Antiquité, Art et Sciences ne cessent de nourrir une relation féconde et protéiforme. Aujourd’hui, alors que la science moderne triomphe, construisant chaque jour un appareil critique et expérimental de plus en plus complexe, les échanges se perpétuent et s’intensifient. Les interactions entre l’oeuvre d’art, son producteur et le « regardeur » sont devenus un sujet de recherches fondamental de ce début de siècle.
À l’invitation de Zoï Kapoula et Louis-José Lestocart, artistes et scientifiques nous livrent ici réflexions et témoignages sur les pratiques et les tendances les plus contemporaines du cinéma expérimental, de l’animation, de la vidéo et de la peinture. Ces spécialistes reconnus analysent également les usages et les effets des théories scientifiques sur la création : phénomènes de prédiction liés aux processus neuronaux, auto-organisation des oeuvres et vie artificielle, systèmes multi-agents, circularité, etc.
L’ouvrage consacre des pages passionnantes à la neuro-esthétique, à travers des expériences de laboratoire qui renouvellent l’analyse de la perception et l’interprétation d’oeuvres classiques (Piero della Francesca, Vélasquez) et modernes (Degas, Seurat, Picasso, Bacon). L’étude du parcours des yeux à la surface des tableaux dévoile en particulier de saisissants enseignements sur l’esthétique, la psychologie et les modes culturels de pensée et de perception.
Une construction prospective à la croisée de la philosophie, de l’histoire de l’art et
des sciences de la complexité.


Nous souscrivons pleinement à cette analyse. Disons seulement qu'un tel ouvrage aurait besoin, pour être pleinement lisible, de s'appuyer sur des illustrations animées multimédia présentées dans un site associé.

 

5) David Deutsch "L'Etoffe de la réalité " http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2004/jan/deutsch.html
6) Seth Lloyd "Programming the Universe - A quantum computer scientist takes on the Cosmos"
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2006/avr/lloyd.html
7) JohnJoe Mac Fadden "Quantum evolution" http://www.automatesintelligents.com/edito/2002/avr/edito.html. Voir aussi http://www.automatesintelligents.com/interviews/2002/mai/mcfadden.html )
8) Voir notre article « Processus quantiques interagissant avec des organismes biologiques » http://www.automatesintelligents.com/labo/2009/jan/algueverte.html

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 15:35
Dans un ouvrage remarquable, que nous présenterons prochainement ici 1) le physicien et philosophe des sciences britannique David Deutsch explique que les humains, armés de la connaissance scientifique qu'ils ont commencé à accumuler depuis le début de l'ère des Lumières (Enlightment) sont devenus des « constructeurs universels ».

Ce sont les seuls d'ailleurs de ce type que l'on puisse identifier dans le système solaire et peut-être aussi dans la galaxie, sinon dans l'univers. Il entend par là que ces entités nouvelles, que nous qualifierions pour notre part, dans le vocabulaire que nous utilisons, de systèmes anthropotechnologiques, seraient capables avec un peu de temps, en exploitant et approfondissant les lois de l'univers mises à jour par la connaissance, d'étendre sans limites (à l'infini) et dans un premier temps sans doute sur d'autres planètes, les capacités transformatrices et constructrices de notre société scientifique.

Le défi intellectuel qu'affronte David Deutsch est très élevé. Nous verrons qu'il y répond fort bien et de façon extrêmement convaincante, c'est-à-dire intellectuellement « contagieuse ». Si bien d'ailleurs que ceux convaincus par cette hypothèse extraordinairement stimulante pensent immédiatement à vérifier sa pertinence. Les occasions n'en manquent pas.

Ainsi, on ne peut qu'y penser lorsque l'on entend les pouvoirs conservateurs expliquer que les jeunes, diplômés ou non, qui commencent à manifester par dizaines de milliers dans le monde entier, ne sont pas utilisables et doivent se satisfaire du statut de chômeur à vie. Ces jeunes manifestants ne veulent pas détruire les sociétés développés pour en revenir au désert. Ils s' « indignent » seulement, consciemment ou non, du fait que dans ces sociétés, dotées de toutes les ressources d'invention permises par la science, ils se voient interdire de jouer le rôle dont ils se sentent parfaitement capables, celui de « constructeurs universels » (ou polyvalents).

Il est clair que, transportés dans un désert, les « indignés » de la Puerta des Sol, d'autres lieux et bientôt de la place de la Bastille à Paris, seraient capables, avec les innombrables connaissances dont ils disposent, de survivre et sans doute aussi de reconstruire une société plus efficace. Ceci ne voudrait pas dire s'abriter sous des tentes en s'agglomérant autour d'hypothétiques barbecues. Cela voudrait dire réinventer, même sans ressources immédiatement disponibles, l'équivalent des solutions vitales dont les forces sociales actuellement au pouvoir se réservent la jouissance.

Que l'on ne nous demande pas ici que ce pourraient être les solutions qu'ils inventeraient. Ce serait à ces « indignés », armés, répétons-le, des innombrables connaissances qu'ils ont reçu en héritage de la société technoscientifique, de les imaginer puis de les construire. Ils ne manqueraient pas d'aide pour cela de la part de tous les détenteurs de connaissance certes dotés d'un minimum de statut mais qui se demandent si leur rôle social doit se limiter à favoriser le marketing de produits et services ne profitant qu'aux riches et aux puissants, quand il ne s'agit pas purement et simplement de technologies de sécurité-défense au service de ces derniers.

1) David Deutsch. The Beginning of Infinity, Allen Lane, 2011. 
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