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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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20 août 2008 3 20 /08 /août /2008 09:19

The Black Hole War
My battle with Stephen Hawking to make the world safe for quantum mechanics

Par Leonard Susskind

Little, Brown and Company 2008

Présentation et commentaires par Jean-Paul Baquiast
01/01/2008

 

 

 Leonard Susskind est professeur de Physique théorique à l'Université de Stanford.

Il a écrit deux autres ouvrages de présentation de la cosmologie moderne et de la théorie des cordes:
- The Cosmic Lanscape
- String theory and the illusion of Intelligent Design.

Il est membre de l'académie nationale des sciences américaine

 

 

La physique théorique, quel intérêt?

Pourquoi jugeons nous utile, bien que n’étant en rien physicien théoricien ni accointé avec aucun d’entre eux, d’essayer dans cette revue de vous faire participer aux discussions agitant périodiquement la communauté des susdits et auxquelles la presse fait régulièrement écho ? Par physique théorique, nous désignons celle qui se situe (pour le moment) bien en amont des possibilités expérimentales, bien en deçà même des capacités intuitives de notre imagination courante et qui ne s’exprime que par des formules mathématiques accessibles au mieux à quelques centaines de personnes dans le monde.

Une première réponse à cette question concerne le jugement que nous pouvons porter sur le fonctionnement de notre cerveau. Ceci intéresse tous ceux qui réfléchissent à la physiologie de cet organe ainsi qu’aux images du monde élaborées par lui et dont certaines, mais pas toutes, affleurent au niveau de nos représentations conscientes puis de nos discours. Comment un appareil neurologique couplé à des organes sensoriels et moteurs ayant été sélectionnés par l’évolution pour distinguer des proies et des prédateurs dissimulés dans la brousse en arrive-t-il à imaginer des entités dont nous risquons de n’avoir jamais connaissance directe ou indirecte et que cependant nous estimons scientifiquement crédibles, au contraire de purs produits de l’imagination mythologique ?

Les physiciens théoriciens répondront, si nous comprenons bien le sens du message délivré par le livre de Susskind présenté ici, que les cerveaux ordinaires ont besoin d’être « recâblés » pour pouvoir se représenter des réalités du monde contre-intuitives mais néanmoins aussi solides que celles résultant de la perception ordinaire. C’est le cas du principe de superposition selon lequel une entité physique peut être vue de deux façons différentes, comme une onde et une particule. Mais pourquoi les cerveaux des pères de la physique quantique ou de la relativité générale ont-ils pu, sans être précédemment recâblés, concevoir de telles représentations de la réalité ? Sans doute parce qu’ils étaient câblés de naissance d’une façon leur permettant de distinguer des patterns significatifs dans la jungle des résultats expérimentaux de leur époque. Les physiciens théoriciens d’aujourd’hui sont certainement aussi câblés de la même façon, et de naissance, puisqu’ils ont pu s’intéresser à des questions que leur milieu original ne les prédestinait pas à étudier. C’est le cas de Léonard Susskind qui a commencé, sauf erreur, sa vie professionnelle comme ouvrier soudeur.

Partant de cette hypothèse, on en arrive à considérer que les modèles de la physique théorique sont importants pour notre compréhension du monde, même si nous ne rentrons pas dans le détail des formules mathématiques permettant de les élaborer. Ils obligent nos cerveaux insuffisamment câblés à se recâbler afin de comprendre un environnement qui n’est plus celui de la jungle primitive mais celui de notre monde actuel. Cet environnement, né des développements des nouvelles technologies scientifiques, nous concerne – nous pourrions presque dire nous menace – aussi directement que le faisait celui de la jungle primitive. Prenons l’exemple du futur LHC qui pourrait éventuellement produire, par collisions entre particules, des états de la matière certes fugitifs mais de masse (ou d’énergie) jusque là inconnue sinon inexistante dans le système solaire. Il sera bon pour tirer partie de ces expériences d’avoir en l’esprit le modèle encore théorique du trou noir élaboré depuis des décennies pour expliquer ce qui se passerait dans un espace-temps où la masse s’accroîtrait infiniment. Il sera bon aussi de rapprocher ce que l’on pourra observer au sein du LHC avec les évènements violents que les astronomes observent au cœur des galaxies et qu’ils ont interprété grâce au modèle du trou noir.

Ainsi, le grand public qui ignore les particularités des trous noirs et les physiciens théoriciens qui se donnent le mal d’essayer de recâbler les cerveaux afin qu’ils puissent s’y intéresser, contribuent-ils à l’élaboration d’un monde nouveau. Il sera peuplé d’entités biologiques (nos corps et nos cerveaux) capables de concevoir et utiliser les instruments de plus en plus sophistiqués apparus dans le cours d’une évolution technologique s’étant depuis quelques décennies superposée à l’évolution biologique et sociétale. Les physiciens théoriciens contribueront ainsi à l’ « émergence » progressive d’un monde ou les trous noirs et tout ce qu’ils impliquent deviendront une réalité objective. Il ne s’agira pas d’une réalité objective en soi, au regard d’un grand observateur situé au dessus des réalités subjectives. Il s’agira d’une réalité objective pour les sociétés anthropotechniques qui sont en train de se mettre en place sur Terre et qui, sait-on, dans quelques décennies ou siècles, pourront s’étendre dans un univers en partie façonné par elles, directement ou par instruments interposés.

Cette évolution des cerveaux se produisant en parallèle des évolutions technologiques et intéressant l’univers microscopique atomique et subatomique a commencé au début de notre ère, lorsque certains philosophes grecs avaient fait l’hypothèse théorique, hors de toute expérience, que la matière était constitué de briques élémentaires, les atomes. Leur cerveau était certainement câblé de façon extraordinaire pour qu’ils puissent s’arracher aux descriptions des 4 éléments de la nature en vigueur de leur temps. Ensuite, d’autres cerveaux ont imaginé, avant toute expérience concluante semble-t-il, que des particules élémentaires, identifiées ensuite comme les baryons (protons et neutrons) et les électrons, contribuaient à la constitution de l’atome. On peut considérer que le saut qualitatif consistant à supposer que toutes les particules se comportent, selon le mode d’observation, soit comme des ondes soit comme des particules, n’a pas non plus été le résultat d’une déduction à partir d’expériences dont les résultats ne s’expliquaient pas dans la physique de l’époque, mais d’une induction vérifiée ensuite seulement par un affinement des expériences.

Pour prendre une image que ne désavouerait pas, espérons-le, Léonard Susskind adepte de cette méthode, les marins de tous temps ont traité de façon différente, dans leurs navigations, les crêtes des vague (les plus dangereuses pour eux) et les ondes longues de la houle, sans imaginer le concept de la superposition onde-particule dont ils ressentaient pourtant tous les jours les effets. Aucun de leurs cerveaux ne leur avait permis d’identifier une présentation de ces phénomènes (dualité onde-particule) qui aujourd’hui s’impose systématiquement. Il a fallu attendre les hypothèses, d’abord théoriques puis ensuite vérifiées expérimentalement, de ceux qui s’étaient efforcés d’analyser les bizarres évènements produits par un rayon lumineux traversant les fentes de Young pour en arriver à conceptualiser le concept de superposition d’état et imaginer qu’il puisse décrire en profondeur bien d’autres mécanismes naturels.

Si pourtant, ce concept avait été vulgarisé et utilisé dans la vie courante, il aurait permis depuis longtemps aux décideurs politiques et à chacun d’entre nous de considérer qu’il n’existe pas de phénomènes en soi, intangibles, non plus qu’il n’existe de personnalités figées dans un comportement dominant. Dotés de l’ancien câblage, nous considérons que telle personne est pour nous soit un ennemi, soit un ami, mais pas les deux. Le comportement de la Russie lors de la crise actuelle dans le Caucase est présenté par les Américains comme ressuscitant la guerre froide, parce que cette présentation leur permet de remobiliser leur potentiel militaire en Europe. Pour les hommes politiques européens voulant ménager les possibilités d’accords commerciaux avec les Russes, il faut présenter ce pays comme devenu tout à fait proche des principes démocratiques chers à l’Europe. Mais les diplomates européens, dont le cerveau est câblé différemment de celui des hommes politiques, de quelque côté qu’ils se trouvent, savent bien que, pour trouver les bases de la nécessaire coopération euroasiatique, il faudra considérer la Russie, nouveau chat de Schrödinger, comme susceptible de se présenter sous des états différents selon les instruments avec lesquels on se propose d’interagir avec elle. Malheureusement, lorsque les diplomates proposent d’appliquer cette méthode, ils sont traités de « capitulards » au lieu d’être félicités pour les avancées conceptuelles permises par leurs cerveaux.

Un des pères de la théorie des cordes

Léonard Susskind a été, sinon le plus connu, du moins l’un des pères de la théorie des cordes, si décriée par le fait qu’elle repose sur des hypothèses paraissant hors de portée des vérifications expérimentales modernes 1)

Ces hypothèses et leur discussion ne s’expriment que par des formulations mathématiques inaccessibles aux profanes, comme nous l’avons rappelé. Mais leur traduction dans le langage courant, même approximative voire inexacte, nous oblige à regarder le monde autrement que nos cerveaux câblés à l’ancienne nous incite à le faire. Imaginer, même de façon approximative, qu’il n’existe pas de particules en soi, descriptibles par des propriétés intangibles, mais des états différents, selon les masses et énergies impliquées, d’une entité unique dite corde, imaginer que cette particule-corde, sous certaines conditions, pourraient être étendues au confins de l’univers, nous oblige à considérer notre monde macroscopique autrement que nous le faisons aujourd’hui, avec nos cerveaux n’ayant pas été convenablement recâblés. On dira la même chose des hypothèses relatives aux extra-dimensions et aux univers multiples envisagés par la théorie des cordes.

Il en est de même des trous noirs ou plus exactement, des propriétés de ceux-ci qui différent profondément selon les descriptions qu’en donnent les physiciens relativistes et les physiciens quantiques. Pourquoi ce thème des trous noirs suscite-t-il tellement d’intérêt. Pourquoi le livre de Leonard Susskind et el conflit qu’il relate, bien que récemment publié, a-t-il provoqué une telle effervescence aussi bien chez les spécialistes que chez les profanes ? Faut-il s’acharner à produire des descriptions consistantes intéressant des phénomènes que jamais personne ne verra, dans lequel jamais personne ne pourra pénétrer et qui se révéleront peut-être un jour différents de ce qu’en dit la physique contemporaine?

Le statut de l’information nous intéresse tous.

C’est que, derrière la guerre des trous noirs décrite par Léonard Susskind se pose un problème fondamental nous intéressant tous. Il s‘agit du statut de l’information. C’est sur l’hypothèse selon laquelle l’information, c’est-à-dire les données permettant de spécifier l’état de l’univers ou de quelque système que ce soit en son sein, ne se crée ni ne se détruit que s’est construite toute la physique moderne depuis Newton. L’idée est loin d’être évidente. Chacun de nous vit dans un monde où l’information semble se créer et se détruire en permanence – ce qui ajoute au désordre des idées ambiantes. Mais les physiciens ont proposé une hypothèse autrement plus rassurante. Si nous connaissons toutes les données initiales caractérisant un système, nous pouvons prédire tous les états que produira l’évolution ultérieure de ce système. Cette capacité à prédire le futur, même si l’on sait qu’elle trouve vite des limites pratiques (nul n’a le cerveau omniscient du démon dit de Laplace), présuppose l’existence d’un stock invariable d’information. Aucun nouvel apport d’information, aucune perte d’information, ne viendra contrarier les calculs que les physiciens pourront faire à partir de ce stock. Il y a là une autre version du principe de la conservation de l’énergie, dont les économistes et les climatologues en lutte contre le réchauffement climatique ont tant de mal à reconnaître la puissance. Si je remplace une centrale à charbon par une autre source d’énergie, je respirerai sans doute mieux, mais le gain total en énergie sera de toutes façons nul.

C’est Stephen Hawking, comme on le sait, qui a troublé ce consensus autour de la conservation de l’information. Les trous noirs sont des régions de l’espace où la gravité est si forte que rien ne peut en échapper. L’hypothèse des trous noirs découle directement des principes de la relativité générale. Si les masses (ou leur équivalent en énergie), courbent plus ou moins sensiblement l’espace-temps, en attirant les objets passant à proximité, on peut imaginer que des astres ayant épuisé tout leur carburant nucléaire, l’hélium, finissent par se contracter sous l’effet de la gravité s’exerçant sur les noyaux atomiques restant. L’étoile se transformera dans certaines conditions en une étoile à neutron puis en un véritable trou noir. Il s’agira non pas d’un trou, mais d’un objet si dense pour des dimensions si réduites qu’il attirera toutes les particules passant à portée, notamment les photons. Pour un observateur extérieur situé suffisamment loin, l’objet deviendra invisible. La théorie, autrement dit les équations de la relativité, permet de calculer les conditions d’occurrence d’un trou noir. L’observation vérifie ces calculs puisque, si l’on ne voit pas le trou noir, on voit l’action qu’il exerce sur les particules entrant dans son voisinage (effet d’accrétion).

Or Stephen Hawking a montré que les trous noirs ne sont pas si noirs qu’ils paraissent. Ils émettent de la radiation (Hawking’s radiation) comme le ferait tout objet doté d’une certaine température. Ce faisant, ils perdent de la masse, puisque l’énergie équivaut à la masse. Au bout d’un certain temps, ils finissent par disparaître. Personne n’a jamais constaté la disparition d’un trou noir, mais l’hypothèse a pu rassurer. Loin d’ouvrir des fenêtres, sous forme de Singularité, vers un inimaginable ailleurs, les trous noirs étaient des objets célestes comme les autres.

Cependant l’hypothèse d’Hawking soulevait un problème. Rien ne permettait d’affirmer que les radiations émises par le trou noir dépendaient en quoi que ce soit des informations absorbées par ledit trou. Le trou noir, dans cette hypothèse, ne dissiperait qu’une simple énergie thermique, qui se disperserait dans l’univers. Les informations accumulées ayant permis la constitution du trou noir semblaient définitivement perdues. Pour prendre un exemple, si un véhicule spatial avait été attiré par un trou noir et désintégré, on aurait pu espérer retrouver les informations caractérisant ce véhicule et ses passagers à la sortie. Or les radiations émises par le trou noir, dans le modèle d’Hawking, étaient thermiques, donc aléatoires. L’information concernant le véhicule était définitivement perdue.

Stephen Hawking, formé à l’école relativiste, n’avait pas voulu voir que son hypothèse sur la radiation des trous noirs contredisait les postulats de la physique quantique, pour laquelle les processus sont réversibles (time-reversal invariant), en dehors évidemment de l’observation, qui fige la connaissance que nous pouvons en avoir Pour la physique quantique, le mécanisme ayant aboutit à la destruction d’une information doit, en fonctionnant à l’envers, permettre de retrouver cette information. L’hypothèse d’Hawking a donc provoqué le déclenchement d’une guerre de trente ans que Léonard Susskind, dans son livre, nomme la guerre du Trou Noir, et dont il donne une relation détaillée.

L’enjeu n’était pas mince. Comme le montre le livre de Susskind, si Hawking avait eu raison, tout ce que l’on considère fonder les lois fondamentales de l’univers était à revoir. Non seulement les travaux de Einstein à Feynman devenaient caducs, mais la physique toute entière était à refondre.

Les armes de Susskind dans la Guerre du Trou Noir

Léonard Susskind décrit en détail les péripéties de la guerre. Mais il en profite, et c’est aussi tout l’intérêt du livre, pour proposer une description très vivante des relations entre les têtes pensantes de la physique théorique, dont les universités américaines étaient à l’époque incontestablement le cœur. Dans ce monde, très hiérarchisé en fonction des statuts et des succès universitaires, il se situait non parmi les tous premiers, mais à un rang honorable. Il a pu, grâce à son sens critique et à sa créativité, améliorer progressivement son rang.

Aujourd’hui, il est considéré comme un des pères de la théorie des cordes mais aussi, conjointement avec le physicien néerlandais et prix Nobel Gérard ‘t Hooft, le père d’hypothèses plus ésotériques, notamment le « principe holographique ». Celui-ci postule que ce qui constitue notre monde, jusqu’à nous-mêmes, compose un hologramme projeté jusqu’aux confins de l’espace. En s’appuyant sur ce principe, Susskind et ‘t Hooft ont pu démontrer la fausseté des affirmations de Hawking. Dans la Guerre du Trou Noir, la victoire des deux champions a été indiscutable puisque, en 2004, Hawking a concédé que l’information ne se perdait pas au coeur des trous noirs. Ce ne fut cependant pas Susskind qui a reçu la reddition de l’orgueilleux vaincu, mais le physicien John Preskill, de Caltech, avec qui Hawking avait conclu un pari spectaculaire, dont le prix fut une encyclopédie.
.
Il semble désormais acquis que l’information n’est jamais perdue, même si le trou noir s’évapore. En 1997, le jeune physicien argentin Juan Maldacena a montré que des questions posées par la gravitation quantique peuvent être transposées dans des questions équivalentes impliquant une théorie différente ne faisant pas appel à la gravitation, et où par conséquent l’information ne peut être perdue. On pourrait ainsi en principe prendre un trou noir, le transposer dans la nouvelle théorie, dans laquelle nous pouvons suivre l’histoire de l’information, laisser le trou noir s’évaporer et retrouver l’information. Ce ne sera sûrement pas avec des trous noirs galactiques géants que l’on pourrait ainsi procéder, mais peut-être avec des minis-trous noirs microscopiques, si les futurs accélérateurs de particules permettent d’en produire qui soient suffisamment stables.

Léonard Susskind présente pour nous un autre grand mérite. Il s’agit de sa capacité à représenter pour un public non spécialiste, d’une façon certes approchée mais suffisante, les grands débats de la physique théorique auxquels il a participé. Dans deux ouvrages précédents, The Cosmic Landscape puis String Theory and the Illusion of Intelligent Design, il avait décrit, bien plus clairement selon nous que Brian Greene, toutes les implications de la théorie des cordes, y compris l’hypothèse, encore difficilement reçue dans l’opinion, des Univers multiples. Profondément athée, Susskind avait pensé montrer dans ce dernier ouvrage l’inanité du principe anthropique fort selon lequel l’univers a été réglé par un créateur intelligent pour permettre l’apparition de l’homme et de la conscience. Nous ne l’avions pas suivi pour notre part dans cette voie, pensant que la science ne peut ni prouver ni contredire l’existence de Dieu.

Pour montrer tous les enjeux de la Guerre du Trou Noir, Léonard Susskind a du consacrer l’essentiel de son livre à décrire de la façon la plus claire possible les différents concepts à la base de la physique quantique et de la Relativité, ainsi que ceux de la théorie des cordes et du principe holographique. Il y réussit parfaitement, sauf peut-être dans les derniers chapitres, consacrés à l’anti-Espace De Sitter (ADS) aux branes, à la conjecture de Maldacena, aux trous noirs extrêmes (extreme black holes) et finalement à ce qu’il considère comme la confirmation du principe holographique. Là, l’attention faiblit et le plus consciencieux des lecteurs a tendance à tourner les pages. L’attention se réveille cependant au dernier chapitre. L’auteur nous rapproche enfin de ce que l’on attendait : la perspective que des collisions entre noyaux atomiques puisse créer des trous noirs. Il mentionne à cette fin le Relavistic Heavy Ion Collider de Brookhaven. Mais la même chose pourrait sans doute se produire au Cern lorsque le LHC entrera en opération. Il faut espérer que Léonard Susskind puisse être associé à ces futures expériences, pour nous en expliquer le sens dans un nouvel ouvrage.

Conclusion

Mais nous voudrions pour conclure revenir à la question initialement posée : quel enseignement tirer de tout ceci quand on se trouve confronté aux grandes interrogations de l’existence : que sont l’homme, son esprit, la connaissance scientifique au regard du monde tel que perçu par nos sens ? La physique théorique ne permet évidemment pas de répondre à ces questions. Elle ouvre cependant des fenêtres qu’il nous appartient d’utiliser pour essayer de voir un peu plus loin que dans notre cour. Prenons l’exemple des dimensions de l’univers microscopique. Si comme nos grands-parents le faisaient nous pensions que les objets les plus petits étaient les microbes que venait de découvrir Pasteur, notre imagination ne serait guère sollicitée à voir au-delà et notre curiosité s’éteindrait vite. On se bornerait à bien se laver les mains pour en éliminer les microbes, même si nous admettions qu’ils nous étaient invisibles. . Aujourd’hui, nous apprenons que les forces qui comptent vraiment pour définir notre monde se mesurent en échelles dites de Planck : longueur (10-32 centimètres), masse (10-8 kilogrammes) et temps (10-42 secondes), toutes longueurs, masses et durées que nous n’aurons jamais aucune chance de percevoir directement, même avec les plus forts microscopes. Ces structures qui pourtant sont celles autour desquelles s’organise notre corps sont aussi éloignées de nous que le sont les montagnes couvrant une planète située dans une galaxie à 10 milliards d’années-lumières de la nôtre.

Au plan cosmologique, comme le rappelle Léonard Susskind dans sa conclusion (elle même rappel de son livre précité The cosmic landcape), nous sommes confrontés à des situations aussi étonnantes. Dans un univers en expansion exponentielle, sous l’influence de la constante cosmologique, quelle que soit la valeur de cette dernière, en tout point de l’espace que regarde n’importe quel observateur dans le cosmos, il ne verra pas au-delà d’un horizon dit cosmologique d’environ 15 milliards d’années lumière. Au-delà, les galaxies ont atteint des vitesses d’éloignement supérieures à la vitesse de la lumière si bien que cet observateur ne pourra plus jamais les revoir, et ceci éternellement. De cette constatation, Léonard Susskind tire une étonnante conclusion, que nous vous laisserons découvrir, relative à la similitude entre le rayonnement d’un trou noir vers l’extérieur et le rayonnement de l’horizon cosmique vers l’intérieur.

Si bien dit-il, que si la confusion et la perte de repère règnent dans la physique moderne, cependant quelques nouveaux patterns semblent émerger. Ils semblent ne pas comporter de significations. Mais comme ce sont des patterns, ils en ont sûrement. Ces significations se découvriront un jour ou l’autre, entraînant l’apparition de nouvelles mathématiques et de nouvelles logiques.

Comme quoi la lecture d’un ouvrage sur la physique théorique est dix fois plus excitantepour l’esprit que le mieux construit des romans d’aventures. Il s’agit en fait de la vraie Fontaine de Jouvence.

Note
1)  En vous présentant il y a quelques mois le livre remarquable de Lee Smolin « The Trouble with Physics »
(http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2007/juil/troublewithphysicshtml.htm)
nous nous disions convaincus par son argumentation, selon laquelle étudier la théorie des cordes est une perte de temps et détourne de l’étude des vrais problèmes de la physique. Mais depuis, nous avons changé d’avis, en fréquentant notamment les écrits de Michel Cassé et de Aurélien Barrau.

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