Philosophie des sciences |
Nous pensons que la science moderne peut proposer aujourd'hui, si elle sait s'affranchir des préjugés métaphysiques et religieux hérités du passé, une histoire consensuelle de l'évolution de l'univers. Cette histoire fera place à la reconnaissance de phénomènes émergents (au sens fort) lorsque la science reconnaîtra qu'elle ne peut leur trouver – au moins momentanément - des explications réductionnistes. Mais face à ces phénomènes, elle ne fera pas appel à des explications spiritualistes qui ne pourraient que l'égarer dans des voies qui ne sont et ne doivent pas être les siennes. Elle admettra par contre que confrontée à l'inexplicable, elle pourra formuler des hypothèses théoriques non immédiatement vérifiables par l'expérience. Les épistémologues pourraient à juste titre les ranger dans le domaine de la métaphysique matérialiste (JP.Baquiast, op.cit.).
Selon les hypothèses les plus courantes, l'univers est le fruit d'une évolution, au cours de laquelle ont émergé des structures de plus en plus complexes. Cette évolution se poursuit indiscutablement aujourd'hui, dans des directions partiellement identifiables mais sont les résultats proches ou lointaines ne peuvent absolument pas être prédits, sauf en termes de probabilités elles-mêmes peu fiables. Nous devrons cependant envisager ici certaines de ses directions.
Si l'on admet les grandes lignes de l'histoire du monde que nous évoquons ici, on dira qu'elle a donné naissance à plusieurs substrats ou couches superposés, qui s'additionnent et se modifient réciproquement sans cesse.
Le monde quantique.
Pour simplifier ; on désignera par ce terme ce que l'on nomme aussi le vide quantique, empli d'énergie fluctuante sur le mode aléatoire. Le monde quantique ne peut pas être décrit dans les termes de temps et d'espace de la physique macroscopique. Il faut lui appliquer les interprétations que la physique quantique utilise pour décrire les observables quantiques, qui peuvent être considérées comme des fenêtres ouvertes sur quelque chose dont on ne peut rien dire en termes littéraires : principe de superposition, de non-localité, d'incertitude. On ne parlera donc pas d'évolution à son sujet puisqu'il exclu le temps. Le monde quantique est, a été et sera toujours. Certains matérialistes sont un peu gênés d'accepter cette description, qui ressemble beaucoup à la façon dont les croyants se représentent la divinité. Mais nous pensons que l'argument n'est pas suffisant pour la refuser.
Le monde quantique est par ailleurs non déterministe ou aléatoire. Ce n'est sans doute pas lui qui est non déterministe, mais la façon dont il se présente à nos observations macroscopiques, ancrées dans un espace-temps bien déterminé. Ce serait le seul domaine de la physique où l'on pourrait dire que l'on observe du hasard vrai, une sorte de hasard ontologique. Certains physiciens se demandent cependant, nous y avons fait allusion, si n'existeraient pas des lois infra-quantiques permettant de le décrire, au moins à certains niveaux, et donc de prédire certaines de ses manifestations. Si ceci se vérifiait, il faudrait sans doute réintroduire l'idée que le substrat quantique du monde matériel.
Les univers (le multivers)
On admet généralement que les fluctuations aléatoires du vide quantique, si elles ne s'effondrent pas sur elles-mêmes, peuvent donner naissance à des bébés-univers analogues à ce qu'était le nôtre au moment du Big Bang. Il s'agit alors d'une émergence de matière-énergie aux propriétés bien définies au sein d'un espace temps bien défini. Mais chaque bébé univers devrait relever de lois fondamentales toutes différentes. Ceci s'expliquerait par le fait que née de la décohérence d'une particule quantique, la particule à la source de la naissance du bébé-univers pourrait se trouver placée, de façon aléatoire, n'importe où dans l'espace illimité des possibles caractérisant le vide quantique. Chaque bébé-univers, dès son émergence, évoluerait dans son espace-temps en fonction des lois fondamentales ayant émergé à sa naissance. Il ne pourrait en principe conserver de relations avec les autres. Le concept de multivers admet cependant que, dans certaines conditions, des échanges d'information puissent se faire entre univers différents.
Par extension du caractère aléatoire du monde quantique, l'émergence de bébés univers n'obéirait dans cette approche à aucune loi. Elle serait elle aussi aléatoire, de même que le serait les propriétés ou lois fondamentales définissant ces bébés univers. Elles proviendraient de l'espace illimité des possibles, comme indiqué ci-dessus. Ce serait là le seul cas où l'on pourrait parler d'une émergence véritablement soumise au hasard.
Les univers une fois crées seraient tous évolutionnaires. Mais leurs cycles évolutifs dépendraient beaucoup de la répartition interne de leurs masses et énergies. Chacun d'eux générerait en principe des espaces-temps spécifiques.
Notre univers
On entre là dans un domaine scientifique plus familier. Selon l'hypothèse de l'inflation, qui n'est pas admise par tous, notre univers, dans un très court temps après son émergence, aurait acquis des dimensions considérables et se serait peuplé des grandes structures de matière/énergie que nous observons : galaxies, nuages de poussière, matière noire et sans doute, énergie noire. Sous l'influence de cette dernière, il subirait une expansion qui devrait s'accélérer, jusqu'au refroidissement et à la dispersion des éléments le composant.
Selon les scientifiques dont l'opinion diffère, les modalités selon lesquelles évolue notre univers peuvent être considérées, soit comme déterminées dans le moindre détail, soit au contraire fortement soumises à l'aléatoire. Pour notre part, nous voudrions faire l'hypothèse qu'elles sont déterminées. Les lois fondamentales arrêtées de façon aléatoire lors de la décohérence de l'entité quantique initiale à l'origine du Big Bang fixent, une fois qu'elles ont émergé, un cadre contraignant s'imposant à l'apparition et à l'évolution de tous les objets matériels et formes d'énergie peuplant l'univers. Leurs effets sont calculables avec précision. Mais il est évident qu'un observateur humain n'ayant pratiquement aucun des instruments permettant d'analyser dans le détail l'ensemble des forces s'étant exercées ou s'exerçant sur chacun des atomes composant l'univers sera obligé de décrire ces effets en termes statistiques ou probabilistes qui suffisent généralement à la prévision scientifique mais qui ne donnent pas toujours d'explication fine du pourquoi des phénomènes. Nous retrouvons là le raisonnement proposé par Laplace.
Observons cependant que dans des cas relativement simples faisant intervenir des forces facilement mesurables, les cosmologistes et les astronomes pourraient apporter des réponses précises, sur le mode de l'analyse réductionniste. Exemple : « pourquoi notre galaxie se trouve-t-elle à telle distance précise de sa voisine Andromède et non à une distance différente ? » Encore faudrait-il qu'ils disposent des instruments et du temps nécessaires – tous éléments que les institutions finançant la recherche leur refuseront, vu le peu d'intérêt au regard d'autres priorités, tant de la question que de la réponse
Malheureusement, si l'on peut dire, tout ne relève pas de la mécanique macroscopique ou forces calculables dans l'évolution de l'univers. La plupart des questions posées par la cosmologie observationnelle obligent à prendre en compte des hypothèses faisant appel aux interventions du monde quantique et se heurtant donc aux barrières de connaissances inhérentes à celui-ci. C'est le cas concernant les questions souvent posées relatives à l'avant Big Bang, à l'intérieur des trous noirs et à d'autres problèmes de cette nature.
Il n'est pas exclu par ailleurs que l'ensemble des objets peuplant notre univers, et plus particulièrement les planètes du type terrestre qui s'y trouvent par milliards, soient affectés par des émissions de particules quantiques qui introduiraient de l'aléatoire dans l'évolution de leurs organisations, physiques ou biologiques (dans la mesure où certaines de ces planètes hébergeraient des formes de vie). Dans ce cas, une particule quantique ayant émergé du substrat quantique de façon aléatoire verrait sa fonction d'onde réduite (décohérence) par interaction avec des atomes et molécules macroscopiques propres à la planète considérée. Le même phénomène pourrait en principe se produire au sein des molécules de la matière vivante impactées par une particule quantique, si la planète en est dotée. Il en résulterait notamment des mutations pouvant avoir des conséquences importantes sur l'évolution du vivant. Les interactions de ce type se produisant entre cet univers et le monde quantique ne réintroduiraient pas cependant un hasard vrai au niveau du premier. Il faudrait parler d'un hasard contraint. Le hasard serait contraint car soumis aux lois fondamentales qui auraient émergé en même temps qu'émergeait l'univers considéré et détermineraient son évolution en tous points et tous instants.
Il n'est pas besoin de préciser ici que notre univers est évolutionnaire. Il se trouve encore quelques esprits pour supposer qu'il pourrait être fixe. Cependant son évolution pourrait s'organiser sur le mode cyclique. Les modèles actuels, tenant compte de la force d'expansion attribuée à la matière noire, prédisent une évolution de durée infinie, accompagnée, comme rappelée ci-dessus, d'une expansion de l'espace temps et d'une dispersion consécutive des éléments inclus dans celui-ci. L'entropie absolue se trouverait au bout du chemin.
La vie sur notre Terre
La vie n'est possible, au regard de ses propriétés constatées aujourd'hui, que dans des conditions d'environnement assez strictes. On considère donc qu'elle ne peut apparaître que sur un petit pourcentage seulement de tous les types d'astres peuplant l'univers. En fait, elle n'a jusqu'à ce jour été observée que sur la Terre. A priori, rien n'interdit de penser qu'elle soit possible, sous des formes plus ou moins différentes, dans d'autres environnements planétaires. Mais il ne s'agit encore que d'une hypothèse.
Nous n'évoquerons donc ici que l'évolution de la vie biologique terrestre. Cependant, comme nous le verrons plus loin, il existera de plus en plus sur Terre des vies dites artificielles, c'est-à-dire composées d'éléments relevant de la matière minérale et non de la chimie organique à base de carbone.
L'apparition de la vie est considérée par le grand public comme une émergence. Les croyants en font même une création ab nihilo, due à l'intervention d'un créateur extérieur. Mais la plupart des biologistes, comme l'a rappelé Mme Maurel lors de l'émission de France Culture, estiment que ce terme d'émergence est un cache-misère. Il cache le fait que nous ne connaissons pas encore les raisons précises ayant permis, à un certain moment de l'histoire de la Terre, la formation de réplicants biologiques à partir des composés organiques déjà complexes existant dans les océans. Les biologistes ne peuvent toujours pas modéliser, ni par conséquent reproduire, la façon dont la vie est apparue aux origines, à partir d'une matière non encore capable des processus réplicatifs caractérisant le vivant. Ils n'ont sans doute pas tous les outils conceptuels permettant de l'expliquer. Deux hypothèses s'opposent : celle de l'océan primitif ou théorie des surfaces, selon laquelle les premières molécules réplicatives se seraient formées sur des argiles ou des laves, et celle dite de l'impact, selon laquelle la vie serait venue de l'espace. Mais cette dernière théorie se borne à repousser la difficulté en amont. Elle ne résout rien.
Comme ceux de complexité ou de holisme, le concept d'émergence utilisé en biologie participe, selon le terme de Mme Maurel, d'une « soupe préconceptuelle » destinée à masquer le fait que la biologie n'a pas encore de modèle pour expliquer la vie 1). Faute d'un tel modèle, elle ne peut pas non plus expliquer son apparition. Cela ne veut pas dire que cette impuissance ne sera jamais résolue. Il n'y a donc pas lieu de parler d'émergence.
Il n'existe pas non plus de raisons permettant de parler d'émergence lorsque des niveaux d'organisation simples font en se conjuguant apparaître des niveaux d'organisation plus complexe. On dit généralement, nous l'avons vu, que le tout est plus que les parties et que cette propriété caractérise l'émergence en biologie. Mais les parties ne deviennent pas un tout sans des raisons que la science pourrait expliquer, si elle disposait des outils conceptuels et des instruments adéquats. Sans cela, il faudrait, comme le font les créationnistes, appeler à l'aide la divinité pour justifier l'apparition de la complexité dans les organisations biologiques. Nous nous limiterons ici à évoquer l'émergence faible face aux surprises que nous révèle l'évolution et à notre impossibilité pratique d'en comprendre ou prévoir les causes.
Si l'histoire de la vie ne nécessite pas de f aire appel à l'émergence forte, elle constitue au contraire une illustration admirable du concept d'évolution. Les raisons de cette évolution, depuis Darwin, ont été clairement élucidées. L'évolution de la vie, comme sans doute celle des premiers composants dits pré-biotiques, se sont déroulées selon le principe, qui n'a jamais été mis en défaut, du hasard et de la nécessité. La logique en est bien connue, c'est celle de la mutation, sélection et ampliation. Cette logique est illustrée par les travaux des néo-darwiniens qui l'appliquent à l'évolution du génome. Mais on peut la retrouver, sous des formes différentes, dans de nombreux domaines, sinon dans tous les domaines, où se produisent des évolutions : phénomènes physiques, mémétique, programmation génétique…Il ne peut y avoir d'évolution si l'existant ne manifeste aucun changement. Dès qu'un changement se produit, il est en butte à une pression de sélection. Si le changement l'emporte sur l'existant, l'entité changée supplante l'entité précédemment existante – ceci jusqu'à renouvellement du cycle.
Les mutations génératrices du changement se produisent-elles de façon aléatoire ? Concernant le génome, la réponse est généralement affirmative. Dans la pratique, en effet, nul, sauf cas particuliers (dans le domaine du génie génétique, notamment) ne peut prévoir les mutations l'affectant. Mais cela ne veut pas dire, comme indiqué ci-dessus, que ces mutations procèdent de causes mystérieuses. Lorsque la science disposera de moyens suffisants, elle pourra – en principe - élucider les causes de la plupart des mutations. Il restera cependant en pratique difficile sinon impossible de les prévoir avec précision, même dans le domaine du génie génétique.
Ceci admis, certaines mutations, exceptionnelles, ne surviennent-elles pas de façon véritablement aléatoire, c'est-à-dire selon des causes inélucidables révélant l'émergence forte évoquée ci-dessus. Comme nous l'avons indiqué, une mutation véritablement aléatoire ne serait concevable que si elle résultait de l'interaction d'un élément de notre monde macroscopique avec le monde quantique. De telles interactions se produisent en permanence. Mais il est très difficile d'apprécier les changements qu'elles apportent dans les organisations macroscopiques, inertes ou vivantes..
Il n'y a donc rien à redire ou ajouter au darwinisme au regard du principe de l'évolution non dirigée ou "au hasard". La vie s'est développée sur le mode de ce que l'on nomme parfois, avec Jean-Pierre Dupuy l' « immaîtrise » . Ce terme exclut tout recours à un « divin horloger » et toute téléologie. Nous ne connaîtrons jamais les multiples formes de vie qui se sont développées au cours de l'évolution et dont la plupart ont été éliminées par la sélection naturelle. Comme pour tout récit historique, les détails en sont à tout jamais perdus. Mais cela n'a pas beaucoup d'importance. La biologie en a reconstitué les grandes lignes, à partir de la formation de la Terre. Les principales étapes sont connues: apparition des organismes monocellulaires (eucaryotes) 1 milliard d'années environ après la naissance de la Terre, apparition des pluricellulaires (procaryotes) après 2 milliards d'années, apparition des premiers animaux vers 600 millions d'années BP, apparition des premiers préhominiens par divergence d'avec le chimpanzé 7 millions d'années BP (comme ceci vient d'être confirmé par une datation précise du fossile Toumaï due au paléontologue Michel Brunet).
On sait que l'apparition des hominiens et plus particulièrement celle de l'espèce sapiens sapiens posent dans des termes différents, les mêmes problèmes que ceux posés par l'apparition de la vie. Pour quelle raison et comment se sont-ils séparés d'avec les primates qui les précédaient ? La encore, les spiritualistes parlent d'émergence ou de création vraies. Ils voient en l'homme une espèce qui se distingue des autres espèces biologiques parce qu'une divinité lui aurait conféré une âme à son image. Mais cette affirmation n'a aucun fondement scientifique. Si nous nous trouvions reportés au temps où les hominiens sont apparus, nous pourrions en principe analyser les modifications anatomiques, neurologiques ou comportementales expliquant cet évènement (ou plutôt ces séries d'évènements). Ceci d'autant plus que les progrès rapides de la biologie artificielle et de l'intelligence artificielle apportent aujourd'hui de nombreuses pistes pour comprendre un passé jusque là opaque.
Apparition sur la Terre de vie et de conscience artificielles
Depuis quelques années, d'importantes dépenses militaires sont consacrées aux Etats-Unis à des recherches sur la vie artificielle et les cerveaux artificiels. Des industriels privés, aux Etats-Unis comme au Japon, s'intéressent aussi beaucoup à ces questions. Il s'agit d'une direction évolutive très caractéristique de certaines sociétés actuelles. Elle éclaire certains aspects de l'évolution des systèmes biologiques, mais pour le moment elle n'apporte pas d'arguments à l'hypothèse de l'émergence, car les processus utilisés par les chercheurs ne présentent pas d'obscurités théoriques. Leurs recherches s'inspirent d'une démarche dite descendante (top down) supposant que des organismes vivants soient déjà là pour entreprendre la démarche consistant à reproduire des parties d'eux-mêmes. Ainsi Craig Venter qui vient de faire breveter une bactérie artificielle, le mycoplasma laboratorium, a retiré progressivement l'essentiel de ses gènes à l'Adn du mycoplasma genitalium pour n'en conserver que le strict minimum. Malgré son génome simplifié, l'organisme obtenu parait viable et capable de se reproduire dans le milieu naturel. En extrapolant à partir de cette démarche, rien n'interdit de penser que l'on puisse fabriquer des animaux nouveaux, qui pourraient se révéler plus adaptés à la survie que les animaux actuels. Certains chercheurs en intelligence artificielle utilisent la même démarche descendante en introduisant au cœur de systèmes informatiques des architectures imitées de ce que l'on connaît des réseaux neuronaux vivants.
Cependant les perspectives sont en train de changer. Les méthodes permettant de créer des entités vivantes artificielles évoluent rapidement. Les chercheurs abandonnent progressivement la démarche descendante évoquée plus haut. S'ils ne l'abandonnent pas entièrement, ils la doublent d'une démarche ascendante ou bottom-up déjà largement utilisée en robotique dite évolutionnaire. Pour obtenir des robots dotés de corps et de cerveaux aussi proches que possible de ceux des humains, on assemble des composants élémentaires et on les laisse interagir avec leur environnement, sous des pressions de sélection analogues à celles ayant accueilli sur Terre les premières briques des organisations biologiques ou neurologiques. Les résultats obtenus sont évidemment bien plus surprenants que ceux découlant d'un assemblage ou d'une programmation descendante, s'inspirant étroitement de modèle déjà analysés. Un robot entièrement programmé, comme l'était à ses débuts le chien Aibo de Sony, ne peut pas manifester la moindre créativité. Seules les pannes qui l'affecteront auront le pouvoir de surprendre son interlocuteur humain. Il s'agira d' « émergences » très mal vécues par les utilisateurs.
La démarche ascendante reproduit au contraire la logique de l'émergence faible ou plus exactement de l'évolution sur le mode darwinien classique : mutation, sélection, adaptation, extension. Elle présente un avantage mais aussi un risque, tous deux considérables et que les scientifiques n'ont pas manqué de souligner. L'avantage est proprement vertigineux. Il faut se représenter aujourd'hui l'immense champ des technologies émergentes et convergentes aujourd'hui disponibles (Nano-Bio-Info et Cogno-technologies) susceptibles de fournir des briques pour la construction d'êtres artificiels, depuis la molécule réplicative élémentaire jusqu'à des populations de robots autonomes capables de peupler l'espace galactique. Ces êtres pourront se retrouver dotés, dans le cadre de mécanismes d'évolution artificielle maîtrisés organisés par les humains, des propriétés dont disposent aujourd'hui les systèmes vivants et leurs composants générateurs de pensée et de conscience. Mais ils pourront aussi acquérir, dans le cadre d'une évolution darwinienne volontairement « immaîtrisée », des formes et des propriétés absolument inattendues et d'une grande puissance compétitive et conquérante.
Le risque serait alors également vertigineux. De quoi s'agirait-il ? Il serait que ces entités entrent en conflit darwinien avec les entités biologiques et humaines actuelles. Dans la logique darwinienne, ces conflits n'aboutiraient pas nécessairement à des extinctions massives. Ils pourraient donner lieu à des symbioses ou hybridations, analogues peut-être à celles ayant rapproché néanderthaliens et sapiens dans l'hypothèse où ces deux espèces auraient fusionné.
Ceci nous conduit à la perspective, que nous avons souvent envisagé dans cette revue, de la transition de l'humain vers le posthumain et de l'animal vers le post animal. Mais nous n'aborderons pas ces questions dans le présent article, déjà trop long pour un lecteur pressé.
Note
(1) Observons que notre ami le professeur Gilbert Chauvet [www.gilbert-chauvet.com] estimait au
contraire avoir développé un tel modèle. Malheureusement ses travaux ont été interrompus par sa mort au moment où il aurait sans doute pu convaincre de la justesse de ses hypothèses ceux qui
mésestimaient leur portée.