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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 10:51

Grippe. Se faire vacciner ou non. Qui prend la décision ?
par Jean-Paul Baquiast 12/12/2009


Je me crois libre de choisir de me faire vacciner ou non contre la grippe. Or, ce sont peut-être d'autres agents qui choisissent pour moi, mais pas ceux que j'imagine en lisant les campagnes de presse sur Internet.

Confrontés à l'actuelle pandémie de grippe AH1N1, les divers gouvernements et l'OMS ont décidé fin 2009 de laisser chacun libre de choisir de se faire vacciner ou non. Plusieurs raisons sont avancées pour justifier ce choix : le fait que la grippe soit relativement bénigne et n'impose donc pas des mesures préventives contraignantes, notamment en terme de vaccination. Il s'agit aussi de la difficulté, même dans les pays bien préparés, à fournir immédiatement les millions de doses individuelles qui seraient nécessaires en cas d'obligation à se faire vacciner. On fait aussi valoir que les autorités ne souhaitent pas affronter les peurs viscérales des populations face à l'acte vaccinal, même si les effets secondaires dangereux de celui-ci sont extrêmement rares.


Il s'en suit cependant que l'on se trouve dans une situation fréquente en évolution, où les individus sont conduits à choisir entre l'altruisme et l'égoïsme. Les altruistes se dévouent, éventuellement à leurs risques et périls, laissant ainsi les égoïstes profiter de la sécurité relative résultant du dévouement des altruistes. Accepter de se faire vacciner contre la grippe, avec les sujétions et les éventuels risques que cela suppose, est présenté par les autorités de santé comme un choix à la fois égoïste (on se protège) mais aussi et surtout altruiste (on protège les autres en limitant les risques de propagation du virus). Ne pas se faire vacciner est au contraire totalement égoïste. On compte sur la vaccination des autres pour diminuer les risques que l'on pourrait courir soi-même, non seulement risques vaccinaux mais aussi risques d'attraper la grippe. Reste cependant une faible probabilité de contamination, que l'égoïste accepte pour son compte, se complaisant apparemment à vivre des situations à risques. .


Cette situation est proche de celle étudiée par la théorie des jeux sous le nom de Dilemme du prisonnier. Deux prisonniers suspectés d'un crime ont à choisir entre coopérer avec la justice (plaider coupable dans le système judiciaire américain) ou ne pas coopérer et se déclarer innocent, obligeant la police à rechercher le coupable. Celui qui coopère en plaidant coupable n'est puni que de 2 ans de prison, mais celui n'ayant pas coopéré, innocent ou pas, est condamné à 6 ans. Si tous les deux plaident coupables, ils n'obtiennent que 4 ans de prison. Si tous les deux se déclarent innocents, ils sont tous deux libérés. Aucun prisonnier n'est averti de la décision prise par l'autre. Chacun sera tenté de plaider innocent, mais si l'autre plaide coupable, il se retrouvera condamné au maximum. Il pourra donc avoir intérêt à plaider coupable, pour diminuer sa condamnation.


Dans le cas des campagnes de vaccination, il semble que les individus se répartissent avec une certaine constance entre ceux qui se font vacciner, à la fois pour leur bien et pour celui des autres, et ceux qui courent le risque de ne pas se faire vacciner en espérant que la vaccination des autres minorera leurs propres risques. Les premiers sont indéniablement des altruistes. Même s'ils estiment agir dans leur propre intérêt, ils ne veulent pas faire courir à la collectivité les risques qu'égoïstement ils accepteraient pour eux-mêmes. On pourrait penser que les choix dans un sens ou dans l'autre sont aléatoires, ou dépendent de circonstances chaque fois différentes : sévérité de l'épidémie, facilité d'accéder aux vaccins, risques vaccinaux, information donnée au public par les autorités de santé, etc.



La coopération entre bactéries


Il n'en est peut-être rien. Des études menées sur des populations de bactéries soumises à des stress collectifs montrent qu'en fait, des déterminismes dont les causes sont encore mal identifiées conduisent à des répartitions stables entre altruistes et égoïstes.
Mais en quoi, nous dira-t-on, des bactéries pourraient-elles faire preuve de qualités que l'on pourrait croire réservées à des espèces supérieures ?

Des chercheurs américains et israéliens se sont livrés à des analyses complexes portant sur des colonies de milliards de bacilles subtils, bactéries très communes. Ils ont montré que les bactéries individuelles, face au risque pesant sur une de ces colonies du fait d'une diminution des ressources, ont le choix entre deux attitudes, l'altruiste et l'égoïste. Les bactéries altruistes choisissent de sporuler (créer un spore, espèce d'oeuf comportant l'ADN de la mère et capable de résister longtemps en attente de conditions meilleures). Mais de ce fait, en tant qu'individus, elles se suicident et leurs restes sont dispersés dans le milieu où vit la colonie, au profit des autres.

Cependant un petit nombre de bactéries peuvent faire un choix contraire, un choix égoïste consistant à survivre en adoptant un mode de vie au ralenti - dit état de compétence intermédiaire (competence intermediate state) - dans lequel une modification de la perméabilité de leur membrane leur permet d'absorber les résidus nutritifs provenant de la mort des bactéries altruistes, en attendant que le milieu redevienne favorable. Ainsi, en tant qu'individus, elles réussissent à faire face à la crise, en profitant du sacrifice de leurs voisines. Mais le nombre des bactéries faisant ce choix égoïste est nécessairement réduit, puisqu'il est limité par le nombre des bactéries s'étant sacrifiées.


On ajoutera que les bactéries ne se précipitent pas pour faire tel ou tel choix. Elles prennent le temps d'informer leurs voisines. Ainsi les égoïstes ne procèdent pas de façon clandestine (en trichant), mais de façon ouverte. La colonie peut donc adopter un comportement globalement aussi rationnel que possible, face à des conditions d'environnement changeantes.


On se demandera pourquoi l'ensemble de la population de bactéries ne fait pas un choix commun à tous les individus, soit sporuler soit tenter de survivre. Pour une raison très simple : un tel choix minorerait les chances de survie de la colonie. Si toutes les bactéries sporulaient, la population ne pourrait pas profiter rapidement d'un éventuel retour des conditions favorables. La «germination» d'une spore demande plus de temps et des conditions plus favorables que n'en a besoin une bactérie en état de latence pour se réactiver. Mais à l'inverse, si toutes les bactéries décidaient de se mettre en état de compétence intermédiaire et si les conditions favorables ne se rétablissaient pas, la colonie risquerait de disparaître sans avoir produit de spores, c'est-à-dire sans espoir de descendance capable de transmettre ses gènes. Les contraintes de l'évolution darwinienne ont donc favorisé, depuis sans doute des milliards d'années, une solution hautement rationnelle et morale.


Dans une population humaine soumise à de telles contraintes, on pourrait concevoir que les choix vitaux auxquels les individus seraient confrontés, entre :
- accepter de mourir pour permettre la survie de quelques-uns en laissant ses provisions à la communauté,
ou- tenter de survivre en profitant des provisions des altruistes mais en courant le risque de ne pas le moment venu disposer de provisions suffisantes,

feraient l'objet de délibérations mettant en oeuvre les ressources morales les plus élevées ou les calculs d'intérêt les plus savants.

Mais peut-être serait-on surpris de constater que, comme chez les bactéries étudiées par les équipes précitées, de tels choix seraient de facto déterminés par des communications chimiques inconscientes entre individus du groupe, déclenchant des réseaux complexes de gènes et de protéines qui se livreraient à l'équivalent de la théorie des jeux. Il en résulterait que la répartition entre les altruistes et les égoïstes ne découlerait pas de la bonne volonté ou du désir de survivre de chacun, mais d'échanges entre effecteurs chimiques et activateurs de gènes définissant au cas par cas la solution, certes probabiliste, mais aussi adéquate que possible grâce à laquelle seraient maximisées les chances de survie de la population.


Nous laisserons nos lecteurs philosophes méditer à partir de ce cas sur les différences distinguant les colonies humaines des colonies bactériennes...N'oublions pas que les bactéries ont eu 4 milliards d'années pour mettre au point des solutions retrouvées aujourd'hui par les cerveaux des organismes supérieures.


Source

Proceedings of the National Academy of Sciences, University of California, San Diego's Center for Theoretical Biological Physics et Tel Aviv University en Israel.
http://www.physorg.com/news179521562.html

 

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