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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 21:04

Le rôle des croyances dans les sciences
par Jean-Paul Baquiast 15/10/2010
NB: Sur ces diverses questions, on pourra lire notre ouvrage "Pour un principe matérialiste fort" éditions Jean-Paul Bayol 2007.

 

Seconde partie. Deux ouvrages sur le thème: Brian Davies et Jean-Marie Schaeffer

2.1. Why Beliefs Matter. Reflections on the Nature of Science, par Brian Davies, Oxford University Press 2010

Brian Davies est professeur de mathématiques au King's College de Londres et membre de la Royal Society. Il a développé la théorie des systèmes quantiques ouverts 1) et publié plus de 200 articles et 6 livres portant non seulement sur les mathématiques mais sur les sciences en général et la philosophie des sciences. Son avant dernier ouvrage, très favorablement accueilli, s'intitulait Science in the Looking Glass.

Le professeur Brian Davies est un auteur dont nous ne pouvons que recommander la lecture à nos lecteurs. Il s'est en effet donné une connaissance quasi encyclopédique de l'œuvre des principaux scientifiques et philosophes ayant construit depuis l'Antiquité l'édifice actuel de la science. Rien notamment de ce qui a compté et compte encore dans les sciences de la vie et dans les sciences physiques ne paraît lui être étranger. Dans Why Beliefs Matter, livre dense mais particulièrement accessible à un public éduqué, il résume et commente plusieurs dizaines de grandes théories, sans la connaissance desquelles il serait désormais impossible de prétendre juger la science A cette occasion, il s'efforce d'extraire les mathématiques de la sphère de spécificité où elles semblent se complaire. Il cherche à les rapprocher des autres sciences, dont elles constituent, dit-il, non seulement les outils indispensables mais dans une large mesure les fondements philosophiques.

Ces présentations s'inscrivent dans un projet qui intéresse directement le thème du présent article; monter qu'il n'existe pas de théories et moins encore d'hypothèses scientifiques qui ne soient fondées sur des systèmes de croyances propres à leurs auteurs Pour cela, Brian Davies veut s'inscrire en faux contre le principe communément admis affirmant l'objectivité de la science. Ce principe remonte à Platon et inspire encore nombre de théoriciens et même dit-il de théologiens. Au cas par cas, Brian Davies résume et propose une lecture critique de chacun des systèmes de croyances ayant inspiré les scientifiques qu'il cite, en les rapprochant de ceux dominant à leur époque mais en montrant aussi leur caractère singulier. Ce faisant, il n'évite pas la question des relations entre l'idée de Dieu et la pensée scientifique, puisque beaucoup des auteurs mentionnés ont été des produits ou sont restés proches des idées chrétiennes. Mais, lorsque cela n'est pas le cas, il montre cependant que la philosophie inspirant les travaux présentés s'inspirent de visions métaphysiques sinon mystiques, sans parfois même que leurs auteurs en soient conscients.

Il retrouve inévitablement alors la question du réalisme évoquée ci-dessus. Il montre qu' aujourd'hui, le débat entre ceux qui pensent que Dieu existe et joue un rôle dans l'évolution et ceux qui refusent ce postulat s'est en grande partie transformé en un autre débat quasi de même nature. Il s'agit de l'opposition entre ceux qui, comme Einstein et un grand nombre d'autres scientifiques dans de nombreuses autres disciplines, considèrent qu'il existe une réalité en dehors d'eux « autrement, disait Einstein, je ne vois pas bien de quoi nous parlons » et les théoriciens de la mécanique quantique qui ne croient pas que la science puisse offrir un accès à une réalité objective. Selon Niels Bohr, le rôle de la physique n'est pas "de nous dire comment est la nature, mais ce que nous pouvons dire à propos de la nature". Dans la pratique cependant les uns et les autres, physiciens relativistes et physiciens quantiques, mis à part quelques problèmes de compatibilité aux très petites échelles, s'accordent sur le caractère démonstratif et prédictif de leurs équations respectives.

Pour Brian Davies, les croyances de type métaphysique qui sous-tendent inexorablement les grandes oeuvres scientifiques, sont moins visibles que les croyances d'inspiration théologique. Elles sont en effet étroitement imbriquées à des croyances résultant de siècles de pratique quotidienne. Ces dernières, comme par exemple celles relatives à la causalité, à la finalité, au sens (meaning), etc., sont pleinement justifiées dans la vie courante. Si le courant d'air dont je me plains provient d'une porte ouverte, il me suffit de fermer la porte pour supprimer le courant d'air. Beaucoup plus généralement encore, les croyances de type anthropomorphiques, celles par exemple selon lesquelles les animaux comprennent nos pensées, sont innombrables. Nous avons depuis la nuit des temps prêté des vies et des esprits aux objets inanimés et aux êtres vivants de notre environnement. Si nous l'avons fait et continuons dans une certaine mesure à le faire, c'est parce que ces croyances se révélaient utiles. Dire qu'un chien est méchant, alors qu'aucune méchanceté n'intervient dans son comportement, permet de nous protéger, ou protéger nos enfants, d'éventuelles morsures n'ayant rien de particulièrement pervers. Or les scientifiques, dans leurs propres travaux, ont beaucoup de mal à se débarrasser de tels héritages philosophiques.

Mais précisément, doivent-ils s'efforcer de le faire, en perdant du temps à rechercher une éventuelle objectivité et unicité de la science. Pour Brian Davies, il faut au contraire prendre son parti du fait que la supposé Réalité est nécessairement composée de multiples couches et aspects. Ceci, dit-il dès la page 1 de la préface, correspond à la conception du monde plurielle ou pluraliste qu'il défend. Nous avons des capacités mentales limitées et nous avons besoin d'une multitude de points de vue différents sur le monde pour le comprendre et nous y adapter au mieux possible. Même si nulle démonstration scientifique de l'existence d'une finalité en soi n'existe, ce concept, comme bien d'autres inspirés non seulement de la symbolique religieuse mais de la pratique quotidienne, nous demeure indispensable. Ceci n'étant pas de sa part, bien entendu, précise-t-il, une plaidoirie pour le Dessein Intelligent qui est et restera étranger à toute théorie scientifique recevable.

Le titre du livre de Brian Davies ne se présente donc pas comme une question, mais comme une affirmation. Les croyances sont indispensables à la science. Il ne cherche pas à donner de cette affirmation une démonstration théorique qui serait difficile à faire. Il préfère montrer par une série d'exemples comment les présupposés philosophiques ont toujours inspiré et inspirent encore les théories les plus abstraites. Il cite à cet égard les conquêtes de ce qu'il nomme la révolution scientifique dont on attribue généralement la paternité à Francis Bacon. Aujourd'hui, les débats se sont reportés sur des thèmes beaucoup plus complexes: les relations entre le corps et l'esprit, l'intelligence des machines, la théorie des cordes et le multivers. Dans chaque cas, sans prendre parti dans un sens ou dans l'autre, il signale les postulats ou conclusions s'inspirant de conceptions du monde de nature philosophique, autrement dit de « croyances ».

Le concept de « world view » ou conception du monde est en effet très important pour lui. Il s'agit dit-il de croyances fondamentales dont nous nous servons pour évaluer et le cas échéant rejeter des croyances plus épisodiques ou moins importantes. Les conceptions du monde peuvent s'opposer, elles peuvent aussi changer, mais nul ne peut éviter d'en posséder une. En tant que pluraliste proclamé, Brian Davies n'exclut pas que la même personne ou que le même domaine scientifique puisse en héberger deux (ou plus). Il s'agirait d'une dualité tout à fait normale, équivalente à la dualité onde-particule de la mécanique quantique. Cependant il insiste sur un fait, reconnu depuis le 15e siècle, avec le triomphe de la rationalité sur la superstition: une conception du monde qui serait durablement contredite par des preuves expérimentales n'aurait aucune qualité à se proclamer scientifique. Que dire alors des conceptions du monde inspirant la société américaine actuelle, où 40% des citoyens persistent à penser que Dieu a créé l'homme il y a 10.000 ans.

Ajoutons pour notre part que, sans doute faute d'avoir lu le livre de Brian Davies assez attentivement, nous ne pouvons pas dire qu'elle est la principale conception du monde qui l'inspire, que ce soit dans le domaine des mathématiques ou dans les autres champs de la science. Peut-être sera-ce le sujet d'un prochain livre, ou d'un interview à la BBC.

Note
1) Wikipedia: In physics, an open quantum system is a quantum system which is found to be in interaction with an external quantum system, the environment. The open quantum system can be viewed as a distinguished part of a larger closed quantum system, the other part being the environment.
Open quantum systems are an important concept in quantum optics, measurement in quantum mechanics, quantum statistical mechanics, quantum information science, quantum cosmology and semiclassical approximations.

2.2. La fin de l'exception humaine, par Jean-Marie Schaeffer, NRF essais, 2007

Jean-Marie Schaeffer est philosophe, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il a écrit plusieurs livres et articles consacrés à l'esthétique, à la philosophie des sciences et à l'évolution contemporaine des sciences humaines et sociales.

Il y a longtemps que nous voulions présenter La fin de l'exception humaine, de Jean-Marie Schaeffer, pour une raison qui paraîtra peut-être anecdotique: son auteur, dans ce livre comme dans ses ouvrages précédents, illustre parfaitement une démarche qui, toute modestie mise à part, nous semble être très proche de celle qui fonde la ligne éditoriale de notre site: il n'y aura dans l'avenir de sciences et de philosophies recevables que dans la mesure où elles se débarrasseront des illusions relatives à la transcendance de l'humain, de l'humanité, de l'espèce humaine.

Une explication s'impose. Il s'agit là de concepts inventés pour donner à l'humain (ou plus exactement aux pouvoirs politiques et économiques s'exprimant sous cette étiquette), une légitimité permettant à ces pouvoirs d'imposer leur loi à l'ensemble du monde matériel et du monde vivant, ainsi qu'à l'ensemble des travaux scientifiques s'y intéressant. Si l'humain ou l'homme sont présentés comme l'aboutissement de l'évolution et doivent servir de référence à toutes choses, si par ailleurs ce que l'on entend par homme est présenté comme une forme laïcisée d'une entité encore supérieure, dénommé Dieu, devant laquelle chacun doit s'incliner, il n'est plus nécessaire de chercher à comprendre le monde en utilisant notamment les nouveaux outils des sciences émergentes. Il suffit de se référer aux textes sacrés, Bible, Coran, Torah ou aux textes profanes par lesquels les humanistes professionnels, dans la ligne d'ailleurs de ces Ecritures s'adjugent le droit de définir le monde et l'homme.

Il est utile d'ajouter que si ce propos était prononcé dans un grand média, il vaudrait à son auteur mille procès, si forte est la terreur intellectuelle imposée par les humanistes professionnels: « Comment, vous ne croyez pas en l'homme, vous niez la nature humaine et sa grandeur, dites tout de suite que vous voulez rouvrir les camps de concentration... ».

Pourquoi aborder ce thème dans le présent article, consacré aux relations entre les croyances et les sciences? Parce qu'il illustre parfaitement la façon dont une croyance profondément ancrée dans les psychismes de certains chercheurs, croyance dans le caractère ineffable de l'humanité et de la conscience humaine, peut polluer des pans entiers de la science, en interdisant les remises en causes et les progrès venant notamment de la biologie comparée, des neurosciences et de l'intelligence artificielle. Jean-Marie Schaeffer a consacré la plus grande partie de son œuvre à combattre le blocage en résultant, pour essayer de refaire des sciences humaines et sociales des sciences comme les autres, sans a priori stérilisateur. Mais il n'y a pas pleinement réussi, notamment en France où les préjugés qu'il veut combattre sont particulièrement ancrés, tant chez les dévots chrétiens que chez les dévots laïcs.

Notre attention avait été attirée sur ses travaux, bien avant la parution de  La fin de l'exception humaine, au titre significatif, par ses essais d'esthétique, notamment Les célibataires de l'Art. Pour une esthétique sans mythes (Gallimard 1996) au titre non moins significatif. Il s'y attaque à la tradition culturelle qui veut que l'Art « soit un savoir extatique , irréductible à toute autre activité humaine ». Il y refuse d'admettre que la qualité esthétique soit intrinsèque à l'oeuvre, indépendamment du rôle que la réalisation de celle-ci a joué dans le psychisme de l'artiste ou sans tenir compte des interprétations qu'en donnent les psychismes des spectateurs. On voit très bien, comme l'ont montré ces derniers temps les critiques de l'Art contemporain (voir notre présentation de La grande falsification, l'art contemporain de Jean-Louis Harouel ) que cet art est devenu une machine à produire des bulles spéculatives. Si les publicitaires, les collectionneurs et les galléristes se réservent le monopole du savoir extatique permettant de juger que telle oeuvre incarne la Beauté et que telle autre est juste bonne à envelopper des sandwichs, c'est parce qu'ils veulent se réserver parallèlement l'accès à la pompe à finances.

Nous avions pour notre part rappelé que selon les enseignements de la biologie et de l'ethnologie évolutionnaires, l'activité dite aujourd'hui artistique imputable à l'homme moderne se retrouvait aux différences près dans d'innombrables espèces animales. Elle avait probablement été liée chez les hominiens aux premiers essais d'utilisation des outils à but manufacturier ou proto-scientifique (cf. notamment Baquiast, Le paradoxe du Sapiens). Aujourd'hui encore, nous ne voyons pas de différences profondes entre l'imagination du chercheur scientifique posant de nouvelles hypothèses et le regard de l'artiste proposant une vision nouvelle du monde. Encore faut-il que cet artiste soit « naïf » ou genuine comme on dit en anglais. S'il se condamne à ne répondre qu'aux diktats des convenances humanistes ou anti-humanistes (l'anti-humain stéréotypé se vend très bien aussi), il gagnera peut-être de l'argent mais ne créera rien de mémorable.

Concernant les croyances accompagnant le mouvement des sciences, La fin de l'exception humaine développe fort savamment (dans un langage malheureusement trop imprégné d'un vocabulaire dit philosophique propre à en éloigner beaucoup de lecteurs) une thèse qui, là encore, était la nôtre. Selon cette thèse (illustrée récemment nous venons de le voir par Brian Davies), la science n'existerait pas si elle ne reposait pas sur des visions globales du monde qui permettent d'ordonner et souvent de donner des finalités à des savoirs et expériences dispersées.

Or, dans certaines sphères de la pensée et de la science occidentale, très imprégnées de religiosité, s'est mise en place depuis quelques siècles une vision globale du monde selon laquelle l'homme dispose en propre d'une Essence (les majuscules, on le comprend, s'imposent) lui permettant de transcender toutes les autres formes de vie y compris sa propre animalité. L'individu humain, doté de la Raison, est un Moi ou un sujet, radicalement autonome, irréductible à tout autre déterminisme, et fondateur à tous moments de sa propre légitimité. Ce sont les sciences humaines et sociales (dont Jean-Marie Schaeffer est issu, ce qui lui permet d'en parler avec autorité) qui affirment ces postulats, sans vouloir d'ailleurs admettre que ceux-ci sont dans une continuité directe avec les religions monothéistes et notamment le christianisme, pour qui l'Homme créé à l'image de Dieu, incarne sur Terre une partie de l'immanence de la Divinité.

Au sein des sciences humaines, Jean-Marie Schaeffer distingue la sociologie, pour qui l'exception humaine repose dans la « Société » par essence construite contre la Nature, et l'anthropologie qui situe l'exception humaine dans la Culture, caractérisée par le langage et la création de systèmes symboliques présentés comme le propre de l'homme. Mais dans tous les cas, les sciences sociales et humaines ont dit-il érigé en vision totalitaire cette thèse de l'exception humaine, qu'il appelle aussi La Thèse, et dont il montre que les dégâts, tant au plan scientifique que philosophique, sont considérables.

On pourrait se demander pourquoi Jean-Marie Schaeffer, issu de l'alma mater des sciences sociales et humaines, a soudain, au contraire de ses collègues, découvert qu'elles se trompaient de bout en bout. C'est semble-t-il parce qu'à la suite de ses précédentes recherches tendant à naturaliser l'esthétique en retrouvant les racines biologiques et instrumentales de la création artistiques, il a découvert et étudié en détail les autres sciences, celles dont depuis la création de notre site nous nous faisons ici les interprètes: biologie, évolutionnisme darwinien, primatologie, paléontologie, neurosciences, psychologies et anthropologies évolutionnaires, physique quantique et cosmologie... sans mentionner les sciences dites de l'artificiel: informatique, intelligence artificielle, robotique autonome, biologie synthétique...

Mais ce qui pour nous est intéressant, c'est que le chemin suivi par Jean-Marie Schaeffer s'est construit à l'inverse du nôtre. Partant des sciences humaines et encore imprégné de la Thèse de l'exception humaine, il a découvert en approfondissant les autres sciences que la Thèse à leur contact perdait toute pertinence. Comment en effet défendre une vision du monde reposant sur l'immanence de la Nature humaine quand on s'aperçoit que les prolégomènes des attributs qu'on lui donne se retrouvent dans les formes les plus primitives de vie organisée ? Comment parler de la conscience sur le mode du cogito de Descartes, quand on découvre le caractère évanescent et en tous cas fragile de cette fonction, entièrement dépendante du bon état et de la coordination du cerveau et des organes sensori-moteurs, lesquels sont eux-mêmes directement hérités du monde animal?

Jean-Marie Schaeffer ne développe pas les enseignements qu'il aurait pu tirer d'une confrontation de la Thèse avec les sciences et technologies de l'artificiel, qu'il semble mal connaître. Mais il aurait pu ajouter que l'illusion de l'exception humaine apparaîtra plus clairement encore dans quelques années, lorsque des entités intelligentes artificielles non programmées à l'avance se doteront spontanément de capacités cognitives et rationnelles au moins égales sinon supérieures à et sans doute aussi en partie différentes de celles des humains n'ayant pas participé à leur émergence.

Notre chemin, comme le savent nos auteurs et lecteurs ayant participé et soutenu notre site Automates Intelligents, est parti de l'opposé, c'est-à-dire des sciences de l'artificiel. A partir d'elles et en même temps qu'elles, nous avons découvert que les « automates intelligents » devenaient capables de « simuler » la vie, les sociétés animales et humaines, l'intelligence, la conscience et progressivement toutes les aptitudes dont s'enorgueillissent les humains. Simuler ne veut pas dire comprendre en détail, mais reproduire, en obtenant des résultats fonctionnellement comparables sinon meilleurs. D'emblée nous en avons conclu que les prosélytes d'une philosophie condamnant de telles recherches pour réductionnisme ou sous prétexte qu'elles allaient déshumaniser l'humanité en la « robotisant » menaient des combats uniquement destinés à préserver le monopole qu'ils s'étaient donné: monopole de déclarer ce qui est humain ou ce qui ne l'est pas, monopole de tirer des profits académiques ou matériels d'un tel pouvoir.

Nous n'avions pas cependant disposé du temps et des moyens permettant de retrouver les bases épistémologiques de la Thèse dans l'histoire des religions et des philosophies, notamment « occidentales », comme l'a fait Jean-Marie Schaeffer. Aussi bien, en le lisant, en lisant plus particulièrement son avant-propos et son premier chapitre, consacré à une analyse et à un démontage détaillé de La Thèse, nous nous sommes moralement frappé le front en disant, tel le commissaire Maigret incarné par le regretté Raymond Souplex « mais oui, mais c'est bien sûr ». Nous avons donc profité de l'occasion offerte par cet article consacré au rôle des croyances dans la science pour réparer notre regrettable retard à mentionner l'oeuvre remarquable de Jean-Marie Schaeffer. Comme nous l'a écrit plaisamment un de nos lecteurs, il serait (presque) digne de devenir le philosophe attitré de Automates Intelligents.

Ceci dit, cet hommage rendu, prenons cependant du recul. Lorsque Jean-Marie Schaeffer ferraille contre l'omniprésence de la Thèse dans les sciences sociales et humaines, ne livre-t-il pas un combat désormais inutile ? Lesquelles de celles-ci refusent aujourd'hui les données et même les bases philosophiques des autres sciences?

Reprenons la grande idée de Jean-Marie Schaeffer. Nous pourrions ainsi la résumer grossièrement: il n’est plus possible aujourd’hui de maintenir l’opinion selon laquelle il existe une spécificité de l’homme lui permettant d'échapper aux analyses des autres sciences, sciences naturelles et même, en amont, sciences physiques, mécanique quantique incluse. Dès le début du livre, Jean-Marie Schaeffer refuse le présupposé permettant de définir l' humanité comme dotée d'un plus (les chrétiens diraient d'un supplément d'âme) lui permettant d'échapper à ses racines naturelles. Il refuse l'idée selon laquelle l’homme serait doté d’une propriété émergente ontologique « en vertu de laquelle il transcenderait à la fois la réalité des autres formes de vie et sa propre  naturalité ».

C'est cette idée qu'il nomme la Thèse et qu'il s'attache à combattre. Il s'agit selon lui d'un présupposé entièrement philosophique, dont il retrace les origines dans les siècles précédents, en insistant plus particulièrement sur les illusions ayant inspiré le Cogito de Descartes. Il ne s'agit donc pas d'une conclusion pouvant avoir été déduite des sciences de la nature de l'époque. Celles ci auraient très bien pu être interprétées, comme certains d'ailleurs l'avaient fait, en faveur de la naturalité, voire de l'animalité de l'homme.

Trois caractères (en fait des croyances) permettent de caractériser selon Jean-Marie Schaeffer la Thèse de l'exception humaine :
 * le refus de situer l’identité humaine dans la vie biologique.
 * L'affirmation de la capacité de l'homme à s'extraire de la nature grâce à sa dimension sociale.
  * L'affirmation corrélative du caractère « non naturel » de la culture humaine (langages et symboles) laquelle fonde l’identité humaine.

On retrouve certes de nos jours les résidus de ces véritables croyances dans de nombreux écrits, émanant de sociologues, psychanalystes, philosophes politiques. De la même façon d'ailleurs, nombreux sont encore les textes émanant d'auteurs chrétiens ou musulmans reprenant des thèses venues tout droit du Moyen-âge. Mais qui s'y intéresse, en dehors des spécialistes des bizarreries de l'esprit?

Pour ce qui nous concerne, nous lisons et commentons, même de la part d'auteurs français réputés comme réfractaires aux nouvelles avancées des sciences, des ouvrages défendant exactement le contraire de la Thèse de l'exception humaine. Tant et si bien que nous pourrions parfois être tentés d'objecter aux excès de leur enthousiasme naturaliste: il y a quand même dirions nous quelques différences entre la culture des chimpanzés ou autres bonobos et celles des hommes modernes...nul n'a encore pour le moment vu de robots capables de se substituer entièrement à des cosmonautes dans l'exploration des planètes...l'esprit n'est pas tout entier contenu dans les encéphalogrammes, etc...

En fait, nous constatons que de même que les sciences du passé sont progressivement remplacées par les sciences du futur, d'une façon échappant d'ailleurs selon nous à toute programmation humaine, les croyances du passé cèdent la place à d'autres croyances, servant de soubassements incontournables à ces nouvelles sciences. Si le discours philosophique était capable d'analyser avec un peu de précision et de clarté ces changements permanents, il justifierait le rôle des philosophes.

Quoiqu'il en soit, l'accélération du mouvement des sciences, des technologies et des croyances associées se poursuivra, peut-être jusqu'à une catastrophe finale. C'est en tous cas l'une des croyances ou vision du monde que nous sommes tentés d'adopter ici.


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commentaires

J
<br /> <br /> Ce texte est une ébauche publiée pour discussion. Manque en particulier une partie conclusive plus étoffée, à supposer que l'on puisse conclure sur un tel sujet. JPB.<br /> <br /> <br /> <br />
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