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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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30 juillet 2006 7 30 /07 /juillet /2006 16:04
Couverture du livre "Sur le tissage de la connaissance", de Miora Mugur-Schächter

Collection : Ingénierie représentationelle et constructions de sens
Hermes Lavoisier 2006

Présentation et commentaire par Jean-Paul Baquiast (28/07/06)


 


Présentation par l'éditeur
L'humain prélève de l'information de son environnement et bâtit des systèmes complexes de représentations abstraites. Néanmoins, quel rapport y a-t-il entre ces systèmes représentationnels et le réel ?

Sur le tissage des connaissances propose une réponse à cette question. La méthode de conceptualisation relativisée qui en constitue le coeur comporte un saut épistémologique décisif, remettant en question l'existence d'objets et de propriétés qui préexisteraient aux descriptions que nous en élaborons, et faisant de la connaissance un construit dont le rapport avec le réel est essentiellement (inter)subjectif et finalisé.

Ce livre secoue les fondations de l'édifice fragile construit autour de l'information depuis Shannon. Il permet de cerner de façon tangible la substance même de la connaissance, fournissant les bases d'une nouvelle théorie plus appropriée pour comprendre ce que nos cerveaux et nos machines manipulent lorsqu'ils traitent de l'information. Il éclaire de façon inédite le concept de sens, notamment dans ses dimensions partageables et communicables. Il change ainsi par là même notre vision de la "réalité du monde".

Au sommaire
Une méthode générale de conceptualisation relativisée
Source de la méthode
La méthode de conceptualisation relativisée (MCR)
Quelques illustrations majeures de la méthode de conceptualisation relativisée
Introduction à la deuxième partie
Logique classique versus logique-MCR
Reconstruction-MCR du concept de probabilité
Unification-MCR de la logique et des probabilités
MCR versus la théorie des transmissions de messages de Shannon
Unification entre probabilités et l'entropie informationnelle de Shannon : la fonctionnelle d'opacité
Estimations de complexité selon MCR
Représentation-MCR du concept de temps
Conclusion générale


Introduction

Due à la physicienne et philosophe des sciences Mioara Mugur-Schächter, la Méthode de Conceptualisation Relativisée (dite MCR) a été élaborée progressivement à partir de 1982 . Ce travail constitue selon nous une révolution dans la façon de se représenter les processus d'acquisition de la connaissance et par conséquent, la "réalité" ou le "monde" objet de cette connaissance. La question de la consistance du réel s'impose dans pratiquement tous les domaines des sciences macroscopiques: mathématiques, biologie, science des organisations, théorie de la communication, robotique et vie artificielle. Elle est évidemment aussi à l'ordre du jour dans la philosophie des connaissances ou épistémologie. Elle se situe d'une façon claire dans le débat entre le réalisme et le constructivisme. Enfin, elle intéressera très concrètement les regards que la politique de demain voudra poser sur le monde.

Aujourd'hui, il faut admettre que la réalité, tout au moins les modèles et produits de toutes sortes résultant de l'activité humaine, sont "construits" par cette dernière, d'une façon jamais terminée mêlant inextricablement le constructeur et son œuvre. C'est la physique quantique qui a imposé ce nouveau regard, mais celui-ci, nous dit Mioara Mugur-Schächter, devrait s'étendre désormais à l'ensemble des connaissances, qu'elles soient scientifiques ou qu'elles soient véhiculées par les langages empiriques assurant la communication inter-humaine. Dès les débuts de la physique quantique dans les années 1930 du XXe siècle, les physiciens quantiques avaient annoncé que les manifestations observables des micro-entités qu'ils étudiaient étaient "construites" au cours du processus d'investigation. Mais il aura fallu de nombreuses décennies pour que l'on puisse clairement distinguer entre les méthodologies d'étude de la physique quantique et celles des sciences du macroscopique, c'est-à-dire de toutes les autres sciences. Il faudra encore beaucoup de temps pour que, grâce à des ouvrages comme celui-ci, les premières puissent enrichir les secondes et les débarrasser de leurs adhérences métaphysiques.

Comme l'indique Mioara Mugur Schächter, ce délai a tenu en partie (et tient encore) au caractère apparemment ésotérique du formalisme quantique ainsi qu'au peu d'intérêt des physiciens vis-à-vis des questions épistémologiques et philosophiques. Peu leur importait, sauf exceptions, d'étudier le type de méthodologie qu'ils utilisaient au regard de la philosophie des connaissances. Ils avaient également renoncé, faute de réponses évidentes, à définir ce qu'il y avait ou non derrière les observables, pourvu que les prévisions faites sur les phénomènes se révèlent justes. Ce souci de pragmatisme est encore dominant. Ainsi demain, les ingénieurs pourront réaliser un ordinateur quantique sans se poser la question de la consistance métaphysique de l'intrication et de la décohérence, pourvu qu'ils puissent tirer parti de ces deux phénomènes avec un taux d'erreur acceptable dans des technologies applicatives.

Pourtant, les succès dorénavant éclatants de la physique quantique, qui en font véritablement la science des sciences, impose de sortir de cette indifférence quant à ses méthodes. La méthode MCR vient véritablement à temps, comme le dit Mioara Mugur Schächter, pour sortir l'entendement commun de ses impasses et des pièges où il s'enlise dorénavant. MCR propose ce qui aurait déjà du être entrepris depuis longtemps par les scientifiques et les épistémologistes s'ils avaient davantage réfléchi à ces impasses et à ces pièges, au lieu d'en prendre parti soit par paresse intellectuelle soit par aveuglement. Elle met chacun d'entre nous à même d'apprécier, sans être physicien, les implications de la physique quantique sur les méthodes d'acquisition de la connaissance : généraliser à l'ensemble des sciences les processus de représentation (ou plutôt de “ construction du réel ”) utilisés par la physique quantique et y ayant fait leurs preuves.

Mais la révolution conceptuelle est cependant si forte, le déboulonnage des anciennes idoles du réalisme positiviste si radical et si exigeant, que beaucoup de gens continueront à "faire de la science" et "faire parler la science" sans avoir encore la moindre idée de l'effort qu'ils devraient faire pour commencer à être crédible dans l'effort de construction des connaissances scientifiques auquel cependant ils s'imaginent participer.

Nous avons dans cette revue, dès que nous avions pris connaissance des travaux de Mioara Mugur Schächter, signalé leur importance à nos lecteurs(1). Mais le handicap de MCR était jusqu'à présent le fait, outre la complexité intrinsèque de la présentation, qu'elle avait été publiée en anglais et qu'il n'existait pas de traduction française(2). Beaucoup des correspondants de Mioara Mugur Schächter la pressait d'en rédiger une version française, malgré l'important travail que représentait la nécessaire refonte des premiers textes et le fait que l'auteure dans l'intervalle n'avait pas cessé de travailler en développant de nouvelles applications de sa théorie. Le travail a cependant été fait. Du fait des compléments apportés et des nouvelles perspectives ouvertes, il s'agit d'une véritable oeuvre originale. C'est cette oeuvre, "Sur le tissage des connaissances", que nous souhaitons vous présenter dans cet article.

Nous pensons qu'il s'agit d'un événement majeur de la pensée scientifique et philosophique comme d'ailleurs de la pensée empirique quotidienne. Mais combien de gens passeront encore à côté de ce travail? Il heurte trop d'habitudes et même trop d'intérêts égoïstes, professionnels et politiques, pour bénéficier de l'accueil médiatique qu'il mériterait.

«Sur le tissage des connaissances» est malheureusement un livre difficile. On peut craindre qu'une lecture superficielle en décourage plus d'un. La difficulté tient d'abord au caractère révolutionnaire de l'approche méthodologique. Mais sur ce plan l'auteure procède pas à pas et de façon claire et constructive, pour celui qui veut bien entrer dans le livre. La principale difficulté tient à la notation et au caractère abstrait du texte, trop dépourvu d'exemples simples. La notation exclut les équations et autres démonstrations mathématiques, mais elle utilise abondamment la symbolique mathématique et logique, dans l'espoir de gagner du temps et de la clarté dans la formulation. Cette notation serait indispensable si l'on voulait «informatiser» la méthode, mais dans la lecture courante, pour peu que les enchaînements se complexifient, le lecteur voit son attention faiblir. C'est dommage(3).

Ici, il n'est pas question de résumer, même sommairement, un ouvrage considérable. Il faut absolument que ceux qui s'intéressent à la science fassent l'effort de l'acquérir, le comprendre et, si besoin était, le mettre en œuvre dans leurs propres recherches. Nous allons pour notre part présenter rapidement le contenu des principaux chapitres du livre et amorcer quelques commentaires, déjà abordés dans les précédents articles consacrés par notre revue à MCR.

Contenu

Le tissage des connaissances comprend deux parties, la première consacrée à la présentation de la méthode et la seconde à quelques uns des applications majeures pouvant en être faites. C'est évidemment par la première partie qu'il faut commencer la lecture, puisque on y trouve énoncé en détail tout ce qu'il faut savoir de MCR. Les applications présentées dans la seconde partie sont intéressantes et révélatrices. Examiner celles proposées par l'auteure éclairera beaucoup son propos, mais les chapitres qui y sont consacrés sont particulièrement ardus. Nous nous bornerons pour notre part à évoquer leur contenu en quelques phrases.

Première partie du livre. Présentation de MCR

Le chapitre 1 est à lire absolument. Il est d'un accès facile. L'auteure rappelle les sources du nouveau regard sur le monde proposé par la physique quantique. C'est sur cette base et pour la rendre applicable à l'ensemble des connaissances, qu'elle a voulu construire MCR de façon systématique. Mioara Mugur-Schächter était particulièrement légitime à faire ce travail, ayant conduit elle-même des recherches brillantes en physique et ayant travaillé, jeune, avec les plus grands scientifiques de la génération précédente.

Le nouveau regard apporté par la physique quantique, tout le monde le sait désormais, a signé, tout en moins dans cette discipline, la mort du « réalisme des essences », selon lequel il existerait une réalité indépendante de l'observateur, composée d'« objets » que l'observateur pouvait décrire « objectivement », en s'en approchant de plus en plus grâce à des instruments de plus en plus perfectionnés. Les physiciens de la grande époque de l'Ecole de Copenhague s'étaient aperçus qu'ils ne pouvaient absolument pas rendre compte de ce que montraient leurs instruments s'ils continuaient à faire appel au réalisme. Mais s'ils ont jeté les bases d'une nouvelle méthode, ils n'en ont pas tiré toutes les applications épistémologiques. Beaucoup de leurs successeurs ne l'ont d'ailleurs pas encore fait(4). Mioara Mugur-Schächter fut véritablement la première à proposer de généraliser cette méthode à l'ensemble des sciences. Son mérite est au moins aussi grand que celui de ses prédécesseurs.

Nous pouvons observer à ce stade, même si l'auteure n'aborde pas explicitement ce point, que c'est en premier lieu le perfectionnement des instruments d'observations appliqués aux phénomènes de l'électromagnétisme et de la radioactivité qui a obligé les physiciens utilisateurs de ces instruments à regarder autrement des phénomènes qu'ils ne s'expliquaient pas dans le cadre des anciens paradigmes, les contraignant par exemple à ne pas choisir entre le caractère ondulatoire et le caractère corpusculaire de la lumière. Or ces instruments étaient apparus, sur le «marché des instruments de laboratoires», si l'on peut dire, non pas du fait de géniaux inventeurs convaincus qu'ils abordaient de nouveaux rivages de la connaissance, mais du fait de modestes techniciens. Ceci correspond à l'intuition selon laquelle les super-organismes technologiques se développent selon des modes de vie propres, proche de la mémétique, et que c'est leur évolution quasi biologique qui entraîne celle des conceptualisations et connaissances organisées en grands systèmes dans les sociétés humaines.

Mais comme le rappelle Mioara Mugur-Shächter, l'évolution technologique n'aurait pas suffi à provoquer seule la révolution conceptuelle. Il a fallu aussi que des mutations dans les modes de représentation du monde hébergées par les cerveaux de quelques précurseurs de grand talent les obligent à voir les incohérences, plutôt que continuer à buter contre elles pendant encore des décennies. Nous estimons pour notre part, la modestie de l'auteure dut-elle en souffrir, que celle-ci a fait preuve d'un génie précurseur aussi grand, en sachant passer d'une pratique mal formulée et mal systématisée, inutilisable ailleurs qu'en physique, à une méthodologie rigoureuse applicable par toutes les sciences.

Les sources de la stratégie de conceptualisation proposée par MCR, présentée dans le chapitre 1, sont abondamment développées dans le chapitre 2, qui constitue l'exposé détaillé de la méthode. L'auteure procède de façon pédagogique, en faisant suivre l'énoncé des bases ou postulats de la méthode de commentaires permettant de lever les obscurités et ambiguïtés. Ce chapitre, cependant, est beaucoup plus difficile que le précédent. Nous conseillons néanmoins à nos lecteurs de l'étudier en détail, crayon à la main si nécessaire. Rappelons que dans les articles cités en note, nous avons essayé de fournir deux exemples imagés d'application de la méthode, qui rendront, espérons-le, la compréhension du chapitre plus aisée.

Evoquons ici en quelques lignes les grandes étapes indispensables à la construction des connaissances selon MCR. Il s'agit en fait d'une méthodologie pour la production des descriptions, car il n'y a de science que de descriptions, les «phénomènes en soi» étant réputés non-existants.

- Le Fonctionnement-conscience. On postule au départ l'existence d'un observateur humain, doté d'un cerveau lui-même capable de faits de conscience. Ce cerveau est tel qu'il peut afficher des buts au service desquels mettre une stratégie. Mioara Mugur-Shächter considère que l'organisme vivant, ceci à plus forte raison s'il est doté de conscience, est capable de téléonomie(5). Nous pensons pour notre part que le concept de Fonctionnement-conscience peut être étendu au fonctionnement de tous les êtres vivants, et peut-être même à celui de précurseurs matériels de la vie biologique, aux prises avec la Réalité telle que définie ci-dessous. Nous y reviendrons dans nos commentaires. Les concepteurs de robots véritablement autonomes espèrent que ces robots pourront procéder de même afin de se doter de représentations ayant du sens pour eux.

- La Réalité. On postule qu'il existe quelque chose au-delà des constructions par lesquelles nous nous représentons le monde, mais (pour éviter les pièges du réalisme), qu'il est impossible – et sera à jamais impossible - de décrire objectivement cette réalité. Peut-être pourrait-on (la suggestion est de nous) assimiler cette réalité à ce que la physique contemporaine appelle le Vide quantique ou l'énergie de point-zéro, à condition d'admettre que ce Vide est et demeurera indescriptible, d'autant plus qu'il ne s'inscrit ni dans le temps ni dans l'espace propres à notre univers. Seules pourront en être connues les fluctuations quantiques en émanant, si elles donnent naissance à des particules qui se matérialiseraient par décohérence au contact avec notre matière.

- Le Générateur d'Entité-objet et l'Entité-objet ainsi générée. Il s'agit d'un mécanisme permettant au Fonctionnement conscience, dans le cadre de ses stratégies téléonomiques, de créer quelque chose (un observable) à partir de quoi il pourra procéder à des mesures. Il n'y aurait pas de science sans ce mécanisme. Nous procédons de cette façon en permanence dans la vie courante, comme nous l'avons montré à propos des entités objets psychiques (Ma fiancée m'aime-t-elle ?). Nous construisons des « objets » d'étude, qui n'existaient pas avant notre intervention.

- Les Qualificateurs. Il s'agit des différents points de vue par lesquels nous décrivons d'une façon utilisable par nous les Entités-objets que nous avons créée. Ces Qualificateurs sont les moyens d'observation et de mesure, biologiques ou instrumentaux, dont nous disposons. Il n'y a qu'une qualification par mesure et celle-ci n'est pas répétable car généralement l'Entité-objet a changé. Mais la multiplication des qualifications donne ce que MCR appelle des Vues-aspects proposant des grilles de qualifications effectives et intersubjectives. L'opération peut conduire à la constatation de l'inexistence relative de l'Entité-objet créée aux fins d'observation (inexistence relative car il serait contraire à MCR de parler de faux absolu). Ceci montre que l'on ne peut pas inventer n'importe quelle Entité-objet et construire des connaissances solides à son propos. Il faut qu'elle corresponde à quelque chose dans la Réalité telle que définie plus haut et qu'elle puisse être mise en relation avec les grilles de qualification déjà produites. Ainsi les connaissances construites s'ajoutent-elles les unes aux autres.

- Le Principe-cadre. Il s'agit du cadre d'espace-temps dans lequel on décide d'observer l'Entité-objet afin de la situer.

Tout ceci permet d'obtenir un canon général de description, utilisable dans n'importe quel domaine. Il repose sur le postulat de la non-possibilité de confronter la description avec un réel en soi ou réel métaphysique quelconque. Il débouche par contre sur une « description relativisée », individuelle ou probabiliste, à vocation inter-subjective, c'est-à-dire partageable par d'autres Fonctionnements-consciences, à travers ce que MCR appelle des Descriptions relativisées de base Transférées. La somme de celles-ci devrait, correspondre à la somme des connaissances scientifiques relativisées que grâce à MCR nous pouvons obtenir sur le monde.

Deuxième partie du livre. Quelques illustrations majeures de MCR

Les chapitres constituant cette deuxième partie présentent le plus grand intérêt pour les lecteurs connaissant déjà MCR. Ils illustrent en effet des recherches menées sans désemparer par Mioara Mugur-Shächter dans ces dernières années, et jamais présentées à ce jour de façon synthétique. Ils apportent la preuve de l'intérêt de la révolution épistémologique qui découle de la généralisation de MCR à d'autres domaines de la représentation des connaissances. On y voit en effet remis en cause, d'une façon qui sera certainement fructueuse, l'essentiel de ce que l'on considérait jusqu'ici comme les bases de la conceptualisation dans les disciplines évoquées. Il ne devrait plus jamais être possible, dans ces disciplines, de continuer à raisonner selon les précédentes méthodes, sauf à le faire intentionnellement dans le cadre de recherches limitées. Malheureusement, ces chapitres sont véritablement difficiles. Nous les estimons hors de portée des non-spécialistes. Il est dommage que l'auteure n'ait pas essayé de les résumer sous une forme plus accessible, quitte à réserver l'exposé complet aux professionnels.

Nous n'avons ici ni le temps ni la compétence pour résumer l'argumentaire de chacun de ces chapitres, consacrés respectivement à la logique, aux probabilités, au concept de transmission des messages chez Shannon, à la complexité et finalement au temps, vu sous l'angle des changements identité-différence qui peuvent s'y produire.

Bornons nous à dire que, dans chacun de ces cas, on retrouve le postulat de MCR selon lequel on ne peut pas imaginer et moins encore rechercher une prétendue réalité ontologique ou en soi de phénomènes qui sont en fait des constructions du Fonctionnement-conscience et du Générateur d'Entité-objet tels que définis dans la première partie du livre. Prenons l'exemple de la logique. Si celle-ci était considérée comme un instrument du même type que les mathématiques (dont la plupart des mathématiciens n'affirment pas qu'elles existent en soi), on pourrait lui trouver quelque utilité, mais seulement pour donner de la rigueur aux raisonnements abstraits. Elle ne servirait pas à donner de meilleures descriptions du monde. Or la logique prétend au contraire décrire des classes d'objets, auxquelles elle applique des prédicats. Mais ces objets et ces prédicats sont présentés comme existant dans la réalité ou traduisant des relations réelles entre éléments de la réalité. La logique ne se pose donc pas la question du processus de construction par lequel on les obtient. Elle suspend dont quasiment dans le vide l'ensemble de ses raisonnements. Faire appel à ceux-ci risque alors d'être inutile, voire dangereux, en égarant l'entendement dans des cercles vicieux (comme le montre le paradoxe du menteur). La logique ne retrouvera de bases saines qu'en utilisant MCR pour spécifier les objets de ses discours.

Il en est de même du concept de probabilités tel que défini notamment par le mathématicien Kolmogorov. L'espace de probabilité proposé par ce dernier ne devrait pas être utilisé dans les sciences, sauf à très petite échelle. Il ne peut que conduire à des impasses. Si l'on pose en principe qu'il existe des objets en soi difficilement descriptible par les sciences exactes, dont la connaissance impose des approches probabilistes, le calcul des probabilités est un outil indispensable. Ainsi on dira que la probabilité de survenue d'un cyclone dans certaines conditions de température et de pression est de tant. Mais si, pour analyser plus en profondeur les phénomènes de la thermodynamique atmosphérique et océanique, on admettait que le cyclone n'existe pas dans la réalité, pas plus que l'électron ou le photon, mais qu'il est la construction ad hoc unique d'un processus d'élaboration de qualification selon MCR, le concept de probabilité changera du tout au tout. On retrouverait, à une échelle différente, l'indétermination caractéristique de la physique quantique et la nécessité de faire appel à des vecteurs d'état et à la mathématique des grands nombres pour représenter concrètement de tels phénomènes.

La mesure de la complexité oblige aux mêmes restrictions. Pour la science « classique » de la complexité, il existe des entités réelles (en soi) dont les instruments classiques de mesure ne peuvent pas donner, du fait de leur imperfection, de descriptions détaillées et déterministes. D'où une impression de complexité. Il faut donc tenter de mesurer les systèmes ainsi prétendus complexes par des méthodes détournées. Mais si l'on admettait que l'objet, complexe ou pas, est une création du Fonctionnement-conscience et relève dont de MCR dans la totalité de son étude, les choses se simplifieraient. On cesserait en fait de parler de complexité. On se bornerait à dire que l'on a créé une Entité-objet accessible aux opérations de qualifications, qui n'aurait pas d'intérêt en soi, mais seulement comme élément d'un processus plus général de construction de connaissances.

Mioara Mugur-Shächter ne le dit pas, mais le même raisonnement pourrait selon nous s'appliquer au concept de système. La science des systèmes s'évertue à identifier ceux-ci dans la nature et se noie évidemment dans le nombre immense des candidats-systèmes qu'elle peut identifier. Mieux vaudrait admettre d'emblée que le système en général, tel système en particulier, n'existent pas en soi, mais doivent être spécifiés en tant qu'Entités-objets créées par un Générateur ad hoc.

Le même type de raisonnement s'appliquera à la théorie de Shannon et au concept de temps, tels que présentés dans l'ouvrage.

Commentaires

Plusieurs questions se posent, une fois le livre refermé. En voici quelques unes, rapidement évoquées :

Prolongements médiatiques?

Si l'on considère, comme nous le faisons, qu'il s'agit d'une œuvre maîtresse, le premier souci qui devrait incomber, non seulement à l'auteure mais à ses disciples et lecteurs, serait de lui donner des prolongements. Mais pour cela, il faudrait que MCR soit mieux connue, discutée, amplifiée, enrichie dans les nombreuses directions, tant épistémologiques qu'applicatives, ouvertes par Mioara Mugur-Shächter. Est-ce le cas ? Sans doute pas pour le moment, hormis un cercle très étroit.

S'agit-il d'une question de communication ? L'auteure fait-elle appel comme il le faudrait aux nouveaux médias. A priori, la réponse est négative. Google donne environ 240 références sur son nom, ce qui est infime. Son site personnel, http://www.mugur-schachter.net/ n'a reçu que 230 visiteurs depuis sa création en février 2006. Les seules références critiques en français sont nos précédents articles. C'est très honorable pour nous mais ce n'est pas à la hauteur de l'oeuvre. Il faudrait donc que Mioara Mugur-Shächter fasse un effort considérable de meilleure diffusion par Internet. Celle-ci est aujourd'hui la clef du succès dans le monde scientifique et surtout dans le grand public Notre expérience nous montre que les journalistes scientifiques, notamment, ne vont pas directement aux sources mais s'appuient sur les références qu'ils trouvent en ligne.

Mais alors se pose à nouveau la question de la forme déjà signalée. Il faut absolument que MMS soit déclinée dans des versions diversifiées, attrayantes, éventuellement pour certaines d'entre elles dramatisées ou illustrées. Ceci suppose un effort considérable, qui n'est sans doute pas à la portée d'une personne seule, mais qu'il faudrait faire.

Prolongements scientifiques et méthodologiques?

MCR restera un exposé théorique dense et peu utilisable par les scientifiques, ingénieurs et autres concepteurs de systèmes cognitifs si la méthode n'est pas transformée en une sorte de langage de programmation (ou tout au moins pour commencer en un langage d'analyse fonctionnelle) qui puisse être utilisé de façon indifférenciée. La difficulté à vaincre est en effet la résistance des chercheurs et concepteurs. Même s'ils estimaient que les postulats réalistes qui sous-tendent leurs travaux ne résistent pas à la critique, ils ne feraient pas l'effort de changer de méthodologie si le coût d'investissement dépassait les bénéfices attendus d'une nouvelle méthode. En effet, le réalisme n'entache pas d'erreurs pratiques (en dehors pour le moment de la physique quantique) les résultats obtenus dans la plupart des applications. Certes, le postulat réaliste bloque les développements ultérieurs dans la plupart des cas. Mais les concepteurs ne se soucient pas en général du futur, mais de la rentabilité à court terme.

Il nous semble qu'un travail d'aide à la programmation analogue à celui réalisé par Stephen Wolfram avec son logiciel Mathematica serait réalisable et trouverait des clients. Les premiers utilisateurs, comme l'indique d'ailleurs Mioara Mugur-Shächter, devraient être les concepteurs de robots autonomes, désireux de doter ceux-ci d'une capacité interne (non programmée de l'extérieur) pour se doter de représentations de leur environnement ayant du sens pour eux.

Prolongements épistémologiques ?

Nous estimons, à tort ou à raison, que MCR si brillamment conçue par Mioara Mugur-Shächter comme une méthode canonique de description susceptible de s'appliquer non seulement aux sciences mais à l'ensemble des langages descriptifs, est bien plus que cela. Il s'agirait de la formalisation spontanée, réalisée pour la première fois, sinon dans l'histoire de l'univers, du moins dans l'histoire de la Terre, d'un processus de construction de toutes les formes organisées existant dans le monde. Si en effet nous considérons que l'univers s'est construit à partir du Vide Quantique par matérialisation aléatoire réussie de particules quantiques nées des fluctuations dudit Vide, il faut bien qu'un processus très puissant ait poussé à la complexification des composants élémentaires de matière et à l'apparition, par émergence, des complexités biologiques et mentales que nous connaissons. Cette idée rejoint, nous semble-t-il, celles présentées par les physiciens selon lesquelles l'univers serait un calculateur – et qui plus est, selon Seth Lloyd qui vient de donner à cette hypothèse une forme rigoureuse, un calculateur quantique(6).

Dès qu'une entité matérielle organisée, sous forme d'une molécule fut-elle simple, extrait du Vide une particule quantique (où ce qui correspond à ce terme dans la théorie quantique des champs) et l'intègre à sa structure, elle transforme ce qui n'était alors pas descriptible en une Entité-objet Qualifiable. En effet, se faisant, l'entité matérielle considérée se transforme, pour reprendre les termes de Mioara Mugur-Shächter, en Générateur d'Entité-objets. La nouvelle Entité-objet ainsi crée est Qualifiée par les relations qu'elle entretient avec le Générateur. L'opération répétée le nombre de fois qu'il faut aboutit à l'émergence d'un Fonctionnement (in)conscience, avec ses téléonomies, qui entrera dans la grande compétition darwinienne entre molécules primordiales. Le même schéma se reproduira lorsque apparaîtront les premières entités biologiques et que celles-ci, elles-mêmes, se doteront d'aptitude à la conscience(7). Les constructions matérielles et intellectuelles de la société scientifique terrestre feraient ainsi partie d'un univers beaucoup plus vaste, celui des Descriptions relativisées de base Transférées (pour reprendre le terme de MCR) cosmologiques.

Mais alors, demanderont les esprits curieux, pourquoi, si MCR représente un mouvement cosmologique aussi profond, a-t-il fallu attendre Mioara Mugur-Shächter et, avant elle, les premiers physiciens quantiques, pour qu'il prenne une forme langagière enfin intelligible ? C'est tout le problème de la construction de l'univers en général et du rôle de la science, processus constructif méthodique en particulier qui est alors posé. Pourquoi serait-ce seulement à notre époque (et par la voix de Mioara Mugur-Shächter) que les Terriens prendraient conscience de leurs aptitudes à construire cet univers et lui donner (éventuellement) des finalités compatibles avec leur survie ? Et, plus généralement, est-ce que d'autres Fonctionnement conscience existeraient ailleurs dans l'univers pour proposer des perspectives convergentes (ou divergentes) ? Nous laissons à la sagacité de nos lecteurs le soin de répondre à ces questions.

 

Notes
(1) Voir http://www.automatesintelligents.com/echanges/2004/avr/mioara.html ainsi que http://www.automatesintelligents.com/echanges/2004/juin/mrc.html et http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2004/55/mrc.htm On lira également un interview de l'auteure http://www.automatesintelligents.com/interviews/2004/juin/mugurschachter.html
Un article sur MCR a été présenté sur notre blog Philoscience: http://philoscience.over-blog.com/article-1542920-6.html remonter d'où l'on vient
(2) Method of Relativized Conceptualisation. Quantum Mechanics, Mathematics, Cognition and Action (Kluwer Academic, 2002). Un article de la revue Le Débat mars avril 1997 avait précédemment posé le problème: http://ns3833.ovh.net/%7Emcxapc/docs/conseilscient/mms1.pdf
(3) Nous pensons avoir montré qu'en paraphrasant dans le langage courant et sur des exemples simples les algorithmes proposés par le livre, il était possible de le rendre plus accessible (voir note 1). Mioara Mugur-Shächter annonce qu'elle a entrepris la rédaction d'un ouvrage destiné au grand public. Il s'agit d'une très bonne initiative. Mais que nos lecteurs n'attendent pas la parution de ce dernier pour s'intéresser au présent livre.
(4) Ceci apparaît, comme le note d'ailleurs Mioara Mugur-Shächter, dans le fait que beaucoup de physiciens quantiques continuent à trouver la physique quantique compliquée, voire incompréhensible. On cite toujours Feynman qui aurait dit que celui qui prétend comprendre la physique quantique montre qu'il n'y a rien compris. En fait, si le formalisme mathématique de la mécanique quantique est compliqué, il n'est pas le seul. Ce qui est compliqué, voire impossible, c'est de prétendre mettre derrière le formalisme des réalités en soi contradictoires, incompréhensibles par l'entendement humain. Mais à ce titre les Ecritures sont également compliquées voire incompréhensibles quand elles évoquent un Dieu en trois personnes. MCR vise précisément à éviter cette tentation métaphysique sinon mythologique appliquée à une science, la physique quantique, qui est devenue celle de tous les jours. La même observation vaudrait évidemment aussi pour ce qui concerne la cosmologie théorique. remonter d'où l'on vient
(5) Selon Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9ologie), la téléologie est l'étude des systèmes finalisants acceptant différentes plages de stabilité structurelles et capables, en général, d'élaborer des buts ou de modifier leurs finalités, (en anglais:purposeful systems"). Dans les systèmes humains psycho-socio-politique, cette téléologie peut très bien se nommer de "autodétermination". La téléonomie est l'étude des systèmes finalisés par une stabilité; recherche de la stabilité structurelle et non du changement, (en anglais: "goal seeking systems"). En psychologie et en sociologie, la téléonomie peut très bien se nommer de "autonomie". Ces mots sont suspects pour les matérialistes. Mais il est tout à fait possible d'accepter les définitions ci-dessus sans se référer à des causes finales imposées par une divinité quelconque. remonter d'où l'on vient
(6) Voir notre article http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2006/avr/lloyd.html remonter d'où l'on vient
(7) Nous renvoyons sur ce point au livre de Gilbert Chauvet http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2006/fev/comprendre_vivant.html remonter d'où l'on vient

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commentaires

C
Bonjour,Très intéressante note de lecture pour une oeuvre qui gagne en effet à être connue, au même titre que d'autres travaux du constructivisme.J'attire l'attention sur l'encyclopédie en ligne Wikipédia, qui pour sa partie anglais est régulièrement dans le top des sites visités, dans laquelle il pourrait y avoir les articles MCR et MMS, ainsi qu'une présentation dans l'article francais "Épistémologie constructiviste" http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pist%C3%A9mologie_constructivisteet anglais "Constructivist epistemology" http://en.wikipedia.org/wiki/Constructivist_epistemology#Radical_constructivismA bon entendeurCordialementChrisd, contributeur sur wikipédia
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G
Merci d'avoir attiré mon attention sur cette auteure et son travail. Je recommande à tous de commencer par le manuscrit grand public, accessible avec un bagage mathématique se limitant à celui appris en terminale D il y a plus de 22 ans... Vous trouverez ici http://www.mugur-schachter.net/maispourquoi.pdf102 pages époustouflantes, qui vous permettrons enfin de comprendre les concepts de la mécanique quantique d'un point de vue qualitatif grace à une procédure uniquement cognitive ! Et de commencer à en mesure la portée conceptuelle, particulièrement dans le champ de l'épistémologie. Assurement une grande dame.
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