Cet article complète et remplace le précédent sous le même titre
Jean-Paul Baquiast 23/06/2016
Thomas Buchert est professeur de cosmologie à l'Université Lyon 1 et travaille au Centre .de Recherche Astrophysique de Lyon, dépendant de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Il a déjà publié, seul ou avec des collègues, un nombre remarquable d'articles concernant les grandes discussions actuelles en astrophysique. On en trouve les références sur son site (voir ci-dessous)
Thomas Buchert est professeur de cosmologie à l'Université Lyon 1 et travaille au Centre .de Recherche Astrophysique de Lyon, dépendant de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Il a déjà publié, seul ou avec des collègues, un nombre remarquable d'articles concernant les grandes discussions actuelles en astrophysique. On en trouve les références sur son site (voir ci-dessous)Thomas Buchert est professeur de cosmologie à l'Université Lyon 1 et travaille au Centre .de Recherche Astrophysique de Lyon, dépendant de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Il a déjà publié, seul ou avec des collègues, un nombre remarquable d'articles concernant les grandes discussions actuelles en astrophysique. On en trouve les références sur son site (voir ci-dessous)
Depuis quelques années, il a abordé un problème de plus en plus à l'ordre du jour en cosmologie. On pourrait le résumer de la façon suivante. Si l'on considère, en application du Principe dit Cosmologique, que l'Univers est identique à lui-même, quelque soit le point et l'époque de l'observation, les observations astrophysiques récentes ne permettent pas d'expliquer d'une part la force de la gravité permettant d'assurer la cohésion des galaxies et d'autre part la vitesse d'expansion de l'univers, laquelle se serait brutalement accélérée il y a environ 5 milliards d'années.
La force de gravité résultant des équations de la Relativité générale d'Einstein devrait être uniforme en quelque temps et en quelque lieu que ce soit dans l'univers. Or il est aujourd'hui constaté que cette force, telle qu'elle avait été évaluée dans les modèles d'univers précédents, serait insuffisante pour maintenir les systèmes cosmologiques (galaxies, amas de galaxies et même systèmes solaires) dans la forme que l'on observe. Dans ces systèmes, la force centrifuge résultant de leur rotation aurait du depuis longtemps provoqué leur dispersion. Pour expliquer que ce ne soit pas le cas, les théoriciens ont imaginé l'existence d'une matière noire, invisible avec nos instruments, présentes au sein des galaxies et constituées de particules qui n'ont pas encore été découvertes. Celles-ci, additionnées aux particules de la matière ordinaire, constitueraient une masse suffisante pour d'opposer aux effets centrifuges de la rotation.
Il devrait être de même de la vitesse d'expansion de l'univers, constatée quelques instants après le Big Bang dans l'hypothèse de l'inflation cosmologique et qui devrait en principe ralentir progressivement. Or l'on constate que l'expansion, loin de ralentir, s'est depuis accélérée, pouvant conduire d'ailleurs à un univers de plus en plus dispersé et de moins en mois dense. Mais là encore il faudrait découvrir l'énergie qui à l'échelle de l'univers, serait responsable de cette expansion accélérée. Comme les modèles explicatifs actuels ne permettent pas de le faire, la force en question a été nommée énergie noire.
Dans des articles précédents, nous avons évoqué ces deux hypothèses, matière noire et énergie noire, tout en constatant que les cosmologistes s'accommodent faute de mieux du vide explicatif mettant en défaut la force de gravité. On pourrait penser que tous les efforts de la cosmologie, théorique et observationnelle, devraient être appliqués pour résoudre ce double mystère, mais à l'impossible nul n'est tenu. Le mystère demeure.
La théorie d'Einstein
Rappelons en simplifiant beaucoup, que la théorie d'Einstein avait développé l'idée, depuis abondamment vérifiée, que la masse courbe l'espace environnant. Dans un univers où les masses se sont de moins en moins uniformément réparties, comme le montrent les observations du fond diffus cosmologique ou fond diffus micro-ondes, les dernières en date venant d'être produites par le satellite Planck, on peut imaginer que des gravités différentes, résultant de masses et de courbures d'espace différentes, se seraient progressivement installées.
Dans de tels « sous-espaces », si l'on peut se permettre le terme, les forces de gravité seraient de plus en plus fortes selon la concentration des masses. Point ne serait alors besoin d'imaginer une matière noire assurant la cohésion des galaxies et amas de galaxies. La gravité modifiée y régnant du fait de leur masse globale serait suffisante. De même, les vides de masse s'étant en parallèle formés progressivement ne permettraient plus en leur sein la convergence des rayons lumineux. Dans ce cas, des courbures négatives pourraient être observéés, à l'opposé des courbures positives ou nulles attribuées à un univers où les rayons convergeraient ou resteraient parallèles. A l'observation, au moins dans les vides, l'univers pourrait paraître plus grand qu'il ne l'est, ou qu'il se dilate à plus grande vitesse que prévu initialement.. Point ne serait besoin dans ce cas d'imaginer une énergie noire responsable de cette expansion.
La question qui reste posée, dans ces deux cas, concerne le poids relatif de cette gravité modifiée au niveau global de l'univers ou des structures que celui-ci contient. S'agirait-il d'effets finalement marginaux ne permettant pas d'expliquer la matière noire et l'énergie noire, ou au contraire d'effets résultant de ce que l'on pourrait appeler une nouvelle lois fondamentale de l'univers, s'ajoutant à toutes les autres? Par ailleurs, pourquoi l'expansion se serait-elle accélérée il y a 5 milliards d'années?
Les backréactionnistes
Les physiciens défendant l'hypothèse des effets marginaux sont encore en majorité. Ils se nomment en s'inspirant des termes anglais des antibackréactionistes. Autrement dit, ils refusent que les modifications de gravité envisagées puissent avoir des effets en retour (backreaction) suffisants pour expliquer les effets attribués à la matière noire et l'énergie noire. On cite parmi eux Stephen Green et Robert Wald qui ont présenté entre 2011 et 2014 des modèles mathématiques visant à le prouver. Mais de telles mathématiques sont discutables et demanderaient des moyens computationnels considérables pour les développer. Par ailleurs la mathématique de Green et Wald n'est simplement pas générale dans le sens que les effets de backreaction importants ne sont pas pris en compte. Ces articles avancent selon les backréactionnistes (voir § ci-dessous) des conjectures fortes mais sans preuve pertinente.
D'autres cosmologistes, à l'audience croissante, considérent comme erronée l'hypothèse de la matière noire et de l'énergie noire.. Ils observent que les effets en retour de modification de la gravité découlant des inhomogénéités de l'univers (backreaction) sont de plus en plus crédibles. Ils se nomment eux-mêmes des « backreactionnistes ». Parmi ceux-ci, l'un des plus éloquent est le Pr. Thomas Buchert précité. Il a présenté avec des collègues plusieurs articles dont le plus récent date de 2015. Il y indique que l'effet des inhomogénéités de l'univers pourraient produire des réactions en retour capables de générer qualitativement les effets attribués aux prétendues matière noire et énergie noire (voir sources citées ci-dessous). Les travaux sont en cours pour quantifier cet effet.
Pour être plus précis, selon lui, la théorie d'Einstein prédit une géométrie inhomogène pour une distribution de masses inhomogène. Le modèle cosmologique standard, pour sa part, décrit les inhomogénéities des sources, mais néglige les inhomogénéités dans la géométrie. Ce que proposent Thomas Buchert et ses collègues est d'en revenir à la théorie d'Einstein. Il ne s'agit pas d'une modification de la loi de gravitation. Ceci n'est pas toujours bien compris. L'approche de la backréaction est de prendre au sérieux la géométrie inhomogène dans la théorie d'Einstein, sans changement de la théorie et sans postulats de sources fondamentales.
Sur l'accélération de l'expansion il y a 5 milliards d'années, les backréactionnistes répondent que cette date correspond au moment où les structures se sont formées, donc, comme les structures ont un impact global sur l'expansion de l'Univers, le point est naturellement expliqué.
Antibackréactionnistes et backreactionnistes attendent la réalisation de modèles mathématiques d'univers suffisamment fins pour intégrer les effets des inhomogénéités observées dans les observations satellitaires actuelles du fond diffus micro-ondes ou pouvant provenir d'observations futures. Les travaux en ce sens sontengagés, mais ne permettent pas encore de départager les antibackréactionnistes et leurs adversaires backréactionnistes. Il est possible cependant que dans les mois ou les années qui viennent, les backréactonnistes comme Thomas Buchert se voient confortés dans leurs hypothèses. Les concepts mystérieux de matière noire et d'énergie noire disparaitraient alors, ce qui serait satisfaisant au regard d'une certaine rationalité scientifique. Mais il faudrait expliquer alors en détail les causes et les formes des effets constatés et attribués à la matière et énergie noires.
La cosmologie, comme nous l'avions remarqué dans d'autres articles, n'est pas prête à renoncer au recrutement de jeunes cosmologistes. L'emploi y est assuré, sinon les postes budgétaires correspondants. plus.com/2016/01/20/the-universe-is-inhomogeneous-does-it-matter/
Sources
* https://arxiv.org/abs/1505.07800
Is there proof that backreaction of inhomogeneities is irrelevant in cosmology?
T. Buchert, M. Carfora, G.F.R. Ellis, E.W. Kolb, M.A.H. MacCallum, J.J. Ostrowski, S. Räsänen, B.F. Roukema, L. Andersson, A.A. Coley, D.L. Wiltshire
No. In a number of papers Green and Wald argue that the standard FLRW model approximates our Universe extremely well on all scales, except close to strong field astrophysical objects. In particular, they argue that the effect of inhomogeneities on average properties of the Universe (backreaction) is irrelevant. We show that this latter claim is not valid. Specifically, we demonstrate, referring to their recent review paper, that (i) their two-dimensional example used to illustrate the fitting problem differs from the actual problem in important respects, and it assumes what is to be proven; (ii) the proof of the trace-free property of backreaction is unphysical and the theorem about it fails to be a mathematically general statement; (iii) the scheme that underlies the trace-free theorem does not involve averaging and therefore does not capture crucial non-local effects; (iv) their arguments are to a large extent coordinate-dependent, and (v) many of their criticisms of backreaction frameworks do not apply to the published definitions of these frameworks. It is therefore incorrect to infer that Green and Wald have proven a general result that addresses the essential physical questions of backreaction in cosmology.
* Autres sources provenant de Thomas Buchert
http://cdsads.u-strasbg.fr/cgi-bin/nph-bib_query?bibcode=2005CQGra..22L.113B&db_key=PHY&data_type=HTML&format=&high
=41163951fb16303
A system of effective Einstein equations for spatially averaged scalar variables of inhomogeneous cosmological models can be solved by providing a 'cosmic equation of state'. Recent efforts to explain dark energy focus on 'backreaction effects' of inhomogeneities on the effective evolution of cosmological parameters in our Hubble volume, avoiding a cosmological constant in the equation of state. In this letter, it is argued that if kinematical backreaction effects are indeed of the order of the averaged density (or larger as needed for an accelerating domain of the universe), then the state of our regional Hubble volume would have to be in the vicinity of a far-from-equilibrium state that balances kinematical backreaction and average density. This property, if interpreted globally, is shared by a stationary cosmos with effective equation of state {\bf p}_{\bf \rm eff} = -1/3 {\boldsymbol \varrho}_{\bf \rm eff} . It is concluded that a confirmed explanation of dark energy by kinematical backreaction may imply a paradigmatic change of cosmology.
Aussi http://cdsads.u-strasbg.fr/abs/2008GReGr..40..467B
Références
*Thomas Buchert http://www.galpac.net/members/buchert_fr.html
* Pages cosmologie http://www.cosmunix.de/
*Articles sur arxiv http://arxiv.org/a/buchert_t_1.html
* Pour l'article contre Green et Wald il existe un commentaire "insight" sur CQG+:
https://cqgplus.com/2016/01/20/the-universe-is-inhomogeneous-does-it-matter/
* Principe cosmologique Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_cosmologique
* Inflation cosmique Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Inflation_cosmique
* Inhomogénéité Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Inhomogeneous_cosmology
Pour approfondir
Nous avons soumis à Thomas Buchert une question plus technique avant de terminer la rédaction de l'article. Il a eu l'amabilité de nous répondre immédiatement. On trouve ci-dessous la question et ses réponses. La question est découpée ici en plusieurs paragraphes. Evidemment, bien d'autres questions pourraient être posées, et recevoir bien d'autres réponses.
* Question.
L'on comprend bien, en suivant les backréationnistes, que les observateurs que nous sommes se situent globalement dans une ère d'expansion accélérée de l'univers au sein de laquelle les vides commencent à dominer, ce qui force la courbure de l'espace à devenir négative. D'où les observations que nous pouvons faire concernant les supernovas (Riess et al.) qui nous paraissent s'éloigner de nous plus vite qu'elles ne le paraitraient dans un univers à courbure 0 ou positive.
Réponse.
Exact
* Suite de la question
Mais dans le même temps, nous sommes situés dans une galaxie (ou à ses bords) soumise à une forte attraction gravitationnelle centripète, qui d'ailleurs sauf erreur devrait être de plus en plus sensible au fur et à mesure que l'on se rapproche du centre (le trou noir central ?).
Réponse
Sur les petites échelles il y a deux joueurs en compétition: la masse attirante (réelle) et la matière noire pour le modèle standard. Avec la backreaction, ce dernier peut être pensé comme un effet de courbure positive, mais ensuite la backreaction contient plusieurs composantes avec des signes différents :
1. La dispersion de vitesse qui stabilise les structures. Elle a les deux possibilités. en effondrement elle joue contre la gravitation, en expansion avec.
2. La vorticité de vitesse qui joue contre la gravitation. NDLR. Le mot est très généralement associé au vecteur tourbillon porté par l'axe de rotation qui se calcule comme le rotationnel de la vitesse et a une intensité double de celle du vecteur rotation.
3. La pression qui peut aussi stabiliser la partie baryonique de la matière (protons, neutrons) , comme en 1.
4. Ensuite selon la backreaction "classique": la variance de l'expansion joue contre la gravitation et le cisaillement joue avec.
Tout ces termes sont couplés à la courbure. Donc, on ne peut pas dire sans modélisation précise ce qui se passe autour du centre.
* Suite de la question
On ne comprend pas comment dans ces conditions nous subirions deux effets contraires en même temps. Nous ne devrions ressentir que l'effet résultant de leur moyenne, et non tantôt l'un et tantôt l'autre selon l'objet d'observation que nous choisissons. Autrement dit, étant situé dans un espace fortement massif et courbé, nous ne pourrions pas faire les mêmes observations que nous ferions si nous étions au sein ou au bord d'un vide.
Réponse.
Oui. Mais il faut savoir sur quelle échelle on observe. Autour de la galaxie le redshift est pratiquement zero, mais dans un catalogue de galaxies on trouve des intervalles de redshift bien au-delà d'une échelle de 400 Mpc (un vide est entre 20 et 400 Mpc). Donc, on observe sur des distances grandes. L'effet local autour d'une galaxie ne compte pas pour une observation à très grande échelle. Les supernovae sont elles aussi observées dans des autres galaxies bien lointaine afin de juger sur l'accélération.
* Suite de la question
Là où nous situons, les rayons provenant d'une supernova devraient donc sauf erreur nous paraître convergents et non divergents....même si leur convergence apparente était « en réalité » diminuée par la divergence due au vide tenant la courbure négative de l'espace global. On comprends bien, en suivant les backréationnistes, que les observateurs que nous sommes se situent globalement dans une ère d'expansion accélérée de l'univers dans laquelle les vides commencent à dominer, ce qui force la courbure de l'espace à devenir négative. D'où les observations que nous pouvons faire concernant les supernovas qui nous paraissent s'éloigner de nous plus vite qu'elles ne le paraitraient dans un univers à courbure 0 ou positive.
Réponse.
Je pense qu'il faudrait faire une différence entre d'une part un modèle qui modélise bien la distribution de courbure et l'effet sur les équations cosmologiques aux différentes échelles, et d'autre part les rayons de lumière dans une métrique associée. Les rayons doivent être modélisés avec ce qu'on appelle "ray-tracing". La littérature sur ce sujet est dans son enfance; la plupart de la littérature prend toujours un modèle standard avec géométrie homogène. Les gens ont juste commencé de le faire dans un modèle inhomogène. Mais, là aussi il faut penser que la lumière prend longtemps pour passer d'une région avec courbure négative avant d'arriver chez nous. La distance lumineuse ne sera pas trop affectée par une autre courbure locale juste avant l'arrivée. C'est la distance lumineuse qui compte, pas l'angle de l'arrivée.