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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 16:31


Mécanique quantique. Décohérence. Intrication
12/01/2016

Le Pr Roland Omnès est un grand physicien français, spécialiste en mécanique quantique (physique quantique). Il a bien voulu répondre à quelques questions pour nos lecteurs.

Pour en savoir plus sur Roland Omnès
Bibliographie. Ouvrages.

* Wikipedia (article en français)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Roland_Omn%C3%A8s

* Wikipedia (article en anglais, fortement conseillé)
https://en.wikipedia.org/wiki/Roland_Omn%C3%A8s

* Présentation de quelques ouvrages sur le site Odile Jacob
http://www.odilejacob.fr/catalogue/auteurs/roland-omnes/

Introduction.
JPB pour A
I. Cher Roland Omnes, merci de prendre le temps de répondre à quelques questions pour l'information de nos lecteurs. Nous en sommes d'autant plus heureux que vous êtes un des premiers, sinon le premier des spécialistes français de la mécanique quantique. Vous êtes mondialement consulté. L'occasion de cet entretien nous est donné par la lecture d'un article que vous venez de publier à l'adresse http://arxiv.org/abs/1601.01214

Roland Omnès RO: Etre "mondialement connu" est très loin de mon fait. Il en va de même pour être "le premier spécialiste français de la mécanique quantique". C'est trop d'honneur ou trop d'erreur, pourrait-on dire (si vous voulez bien le pardonner).
Il m'arrive parfois de dire plutôt que le nom que je porte (Omnès, ou Omnes) est bienvenu : C'est un nom breton d'origine incertaine (peut-être donné par des moines en fonction d'un office du jour). Vous savez qu'il signifie "tous" en latin et n'est donc pas loin de "tout le monde" ou "n'importe qui". C'est un nom merveilleux pour se sentir philosophe ou mathématicien, comme d'être placé au point quelconque ou d'être la droite quelconque. Mais c'est sans importance.

JPB. Votre article est trop complexe pour attirer d'emblée l'attention de scientifiques ou enseignants non physiciens, mais il ouvre différentes perspectives qui mériteraient d'être dès maintenant connues de ceux-ci. La première question à laquelle je vous propose de répondre, si vous le voulez bien, serait de résumer en quelques pages le contenu de cet article tout en le situant dans l'état actuel des points de vue admis par la communauté scientifique concernant la physique quantique

RO. Pardonnez-moi de ne pouvoir le faire. L'article que je viens de terminer est déjà un résumé sur bien des points. Il compte 36 pages denses et fait pratiquement l'impasse sur toute comparaison avec des propositions antérieures, hormis pour signaler les emprunts qui leur sont faits.

Quant au point de vue qu'il présente, il paraît très simple et je le résume :
Toutes les difficultés d'interprétation de la mécanique quantique proviennent de ce qu'on appelle "enchevêtrement", comme Schrödinger, d'une part, et Einstein, Podolsky et Rosen d'autre part l'ont montré dès 1935.

Or en 1974, deux théoriciens, Lieb et Robinson (voir leurs initiales dans la biblio de mon papier), ont trouvé qu'il existe un raffinement local dans cet enchevêtrement. Le mot "local" est essentiel. Il signifie que l'enchevêtrement n'est pas toujours absolu et total, comme on le rencontre dans les expériences où deux atomes, ou deux photons, ou un peu plus de deux sont enchevêtrés. L'enchevêtrement "local" est spécifique à des cas où l'un de deux systèmes enchevêtrés est macroscopique, c'est-à-dire constitué d'un nombre énorme (mais fini) d'atomes.

On n'a tiré que peu de conséquences de ce fait dans les fondements de la mécanique quantique (pour autant que je sache), si bien que l'enchevêtrement local est relativement peu connu dans ce domaine et que je l'ai "redécouvert" vers 2011 dans ce cadre.Je ne peux l'expliquer ici, sinon dire qu'on peut déduire cet effet de la fameuse équation de Schrödinger, qu'il est contenu dans l'histoire de la fonction d'onde (l'ensemble de ses valeurs au cours du temps), mais qu'il est insaisissable dans n'importe quelle de ses valeurs instantanées. Il est irréversible (ordonné dans le temps) et ceci est très important. Je l'appelle "intrication" dans mon papier, et non "enchevêtrement local" comme Lieb et Robinson le faisaient, pour des raisons de logique dans lesquelles il vaut mieux ne pas entrer.

Il se trouve (et là aussi, je ne peux pas entrer dans les détails) que cette intrication peut prendre la forme d'une incohérence dans les fonctions d'onde, quand on l'applique à l'enchevêtrement d'un système macroscopique avec ce qui l'environne. Mais ceci est un des points essentiels nouveaux que l'article soumet pour critique à la collectivité scientifique.La conséquence la plus surprenante (si surprenante qu'elle peut paraître hérétique) est qu'alors le fameux "collapse" (ou effondrement, le passage à l'unicité, la déconstruction) de la fonction d'onde résulterait de ces deux effets conjugués de l'intrication et l'incohérence. C'est trop important, potentiellement, pour ne pas souligner d'un trait épais qu'il y a des conjectures dans certains des arguments. Tout reste à vraiment démontrer et l'ours est très loin d'être tué.

JPB. Quand avez vous jugé bon d'entreprendre la tâche considérable consistant à mener à bien ce travail? Quel lectorat visez vous, théoriciens, praticiens voire industriels? Quelles réactions ou suites en espérez vous, au plan théorique ou pratique ?

RO. Je suis venu un jour à ces questions en me demandant: Que faire maintenant ? Quelle réflexion entreprendre sur un sujet assez beau pour ne pas s'altérer par ma réflexion et rester inchangé après moi ? Sur quoi méditer, en somme ? Quant au lectorat, je n'y ai pas songé. Pour le texte actuel, il s'agit de spécialistes, de collègues en somme, avec qui on est franc et direct et qui ne le sont pas moins. Quant à écrire, on verra, ou on ne verra rien si je me suis trompé. De toute manière je n'attends pour ma part rien de spécial et j'aime bien Pascal (Le "moi" est haïssable) en de telles matières.

JPB. Vous abordez dans l'article, entre autres questions, celle de la résolution de la fonction d'onde ou décohérence et celle de l'intrication. Les lecteurs de notre site sont assez informés pour savoir que ces questions, au plan pratique, posent des problèmes de très grande portée, par exemple dans le domaine des futurs ordinateurs quantiques. Quels sont vos pronostics à cet égard?

RO. Un jour, dans un congrès, un physicien proposait une conjecture, qu' il assurait n'avoir qu'une probabilité d'un cent-milliardième d'être fausse. Steven Weinberg (plus tard lauréat du Prix Nobel) sortit alors une dime de sa poche et dit : "Je prends le pari ! " J'étais parmi les spectateurs et l'anecdote me revient parfois en mémoire quand le mot "pronostic" est employé. Celui que vous me demandez me laisse rêveur et je plaide une incompétence assumée.

JPB. Nous avons beaucoup échangé sur ce site avec Mme Mioara Mugur-Shächter. Ses travaux paraissent importants, notamment sur le plan méthodologique. Qu'en pensez vous?

RO. J'ai du respect pour la personne et les travaux de Mme Mugur-Shächter, mais ils ont peu de recoupement avec les miens.

JPB. Au delà du champ strict de la mécanique quantique, notre attention a été ici attirée par de nombreuses recherches cherchant à identifier dans le cosmos des processus déterminés par la mécanique quantique. Ainsi, nous venons de faire référence à des hypothèses concernant, à travers celles de la gravitation quantique à boucles, la possibilité qu'au sein des trous noirs s'opèrent par effet tunnel la transformation du trou noir en trou blanc, c'est-à-dire en ré-émetteur de matière/énergie. Que pensez vous, très globalement, de ces approches cosmologiques?
Plus généralement, attachez vous de l'intérêt aux hypothèses comme celles de Seth Lloyd, selon lesquelles l'univers serait fondamentalement quantique?

RO. J'aime beaucoup Seth Lloyd. Il est brillant et passionnant. Il fait rêver et certains rêves deviennent parfois vrais. Je lui souhaite que ce soit le cas pour les siens.Quant à la cosmologie, if fut un temps où elle m'a passionné activement et où j'ai eu le bonheur de collaborer à ce sujet avec Evry Schatzmann, vers 1970. Nous avions une belle théorie, mais elle était prédictive et les observations l'ont rejetée. C'est très instructif pour apprendre ce qu'est la science. A présent, la cosmologie passionne toujours en moi le spectateur et l'admirateur des résultats nouveaux et profonds, provenant parfois de mes anciens élèves que j'admire.

Quant aux hypothèses autour, elles sont multiples, souvent fascinantes, pas toujours très crédibles aussi. Ainsi, vous m'apprenez que des trous noirs pourraient devenir des trous blancs. Je l'ignorais et n'ai pas d'opinion là-dessus, sinon le souvenir d'une intervention d'un de mes élèves (Xavier Artru) lors d'un séminaire que je faisais (jadis) sur des sujets voisins : "Ces trous noirs, c'est troublant", dit-il. On l'a répété depuis.

JPB. A une toute autre échelle du réel, de plus en plus de biologistes croient pouvoir observer, dans certains organes sensoriels ou même du cerveau, des mécanismes faisant appel, ne fut-ce que très brièvement, à des phénomènes de maintien de cohérence permettant l'équivalent de calculs quantiques par le vivant. Que pensez vous de ces voies de recherche? Et que pensez vous du travail de JohnJoe McFadden?

RO. Permettez-moi de plaider l'incompétence.


JPB. Finalement, quel « message » suggéreriez vous concernant l'avenir de la mécanique quantique et des formes qu'elle adoptera?

RO. Je ne suis pas devin, mais j'admire : Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal... (voir Victor Hugo pour la suite)

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